Bir Naballah est une cage. On peut l’appeler « l’enclave de Bir Naballah » dans le langage politiquement correct de « l’occupant », mais cela ne change rien aux faits. C’est une cage. Peut-être un enclos. Une autre atrocité surgie du parcours sinueux de la clôture de séparation.
Dans le passé, le village était pratiquement un faubourg de Jérusalem, tout comme trois autres villages voisins. Ils sont aujourd’hui cernés de barreaux, de clôtures et de murs en béton, avec une unique porte les reliant au monde extérieur.
Cette route passe par un tunnel sous l’autoroute 45 et conduit à Ramallah. Pas à Jérusalem, le centre de la vie des villageois jusqu’à l’établissement de l’enclos : seulement à Ramallah.
A partir de là, et seulement à partir de là, ils sont autorisés à tenter leur chance, au checkpoint de Qalandiya, pour essayer d’atteindre Jérusalem.
Naturellement, les « prisonniers » ne sont pas autorisés à emprunter l’autoroute 45 pour se rendre où ils veulent. Cette autoroute est interdite aux Palestiniens. Seule la « puissance dominante » est autorisée à y rouler, pas ceux qui sont dominés. Ils peuvent seulement ramper par-dessous.
Dans le langage policé de l’occupant, l’unique issue à l’enclos porte le nom festif de « Cadre de Vie ».
Des habitants de l’enclos ont introduit une requête auprès de la Cour Suprême, contre leur incarcération. La Cour, dirigée alors par le juge Barak aujourd’hui à la retraite, les a patiemment écoutés puis a statué :
En effet, si la route « Cadre de Vie » n’avait pas été construite, nous croyons que le sort de la clôture dans la zone de Bir Naballah aurait été semblable à celui de la clôture dans l’enclave d’Alfei Menashe (où la Cour Suprême a modifié la tracé de la clôture qui enfermait des villages palestiniens.)
Cependant, grâce à la route « Cadre de Vie », la situation qui se présente à nous est différente... Le lien entre les villages et la zone de Ramallah a été maintenu au moyen de la route Bir Naballah-Qalandiya. Cette route est ouverte au trafic et elle permet le déplacement libre et ininterrompu des habitants de la région vers la zone de Ramallal, ou vers Jérusalem via le passage de Qalandiya. (Cour Suprême 4289/05)
Ce qui suit est une expérience de la routine sur la route « Cadre de Vie », dans le sens de la sortie de l’enclos de Bir Naballah.
Retenu pour interrogatoire
Mercredi 2 mai 2007, cinq heures de l’après-midi. Comme d’habitude, un checkpoint a été établi sur la route « Cadre de Vie ». Une longue file de voitures est alignée. Il y a une longue file de l’autre côté du checkpoint également.
C’est l’unique interprétation militaire des paroles du juge sur « le déplacement libre et ininterrompu ». Et comme il est d’usage sur la route « Cadre de Vie », des gens sont aussi « retenus pour interrogatoire ». Il s’agit d’un type de punition locale, le lot de Palestiniens que des soldats prennent en grippe.
Est ainsi « retenu pour interrogatoire » un chauffeur de taxi trouvé en possession d’un tournevis. Viendrait-il à l’esprit de qui que ce soit qu’un innocent chauffeur de taxi pût posséder un tournevis ? Le malheureux petit tournevis a donc été estampillé « arme dangereuse » et son propriétaire retenu. Cela fait près de deux heures qu’il est retenu.
Pendant ce temps, les files s’allongent, le chaos habituel est patent, les voitures et les gens passent lentement, jouissant de l’excellent « Cadre de Vie ».
Le chauffeur de taxi décortique quelques graines de tournesol et jette les écorces sur la route.
Quel culot ! Seul un Arabe peut être un tel animal. Quelqu’un a-t-il jamais vu un juif cracher des écorces de graines de tournesol en public ? Un soldat obsédé de propreté s’aperçoit de cette abomination et intervient promptement.
Sur un ton d’irritation mais avec quelque chose du pédagogue, il ordonne au chauffeur de taxi de ramasser les écorces. Le checkpoint est environné de monceaux de détritus de l’armée, mais le destin des détritus israéliens n’est pas le destin des détritus palestiniens.
Une des personnes présentes adresse un commentaire à un soldat qui lui fait cette réponse : « OK, on va bientôt rassembler quelques Arabes en plus pour nettoyer ».
Le chauffeur de taxi commence à balayer la route sous l’œil sévère de l’armée de défense d’Israël.
Il faut être d’acier pour ne pas être balayé dans des souvenirs anciens. Aucun soldat n’est scandalisé par ce qui s’offre à ses yeux. Ce n’est qu’à sept heures du soir, près de trois heures après avoir été arrêté à cause d’un tournevis, que le chauffeur de taxi est libéré.
Et cela se produit jour après jour, semaine après semaine, année après année. Telle est la route « Cadre de Vie » au nom de laquelle l’honorable juge Barak permet l’incarcération des habitants de Bir Naballah dans un enclos.
Serait-ce dépasser les bornes que de proposer aux juges de la Cour Suprême de quitter leurs sièges pour rendre visite à la route « Cadre de Vie » et constater par eux-mêmes ce que valent leurs verdicts ?
Note : Première réaction des lecteurs, signée « Abdel, Naplouse, Palestine » et titrée « Vous devriez venir voir à Hawara » :
« L’autre jour, au barrage routier de Hawara (Naplouse)... une ambulance est arrivée avec à son bord, le conducteur, un homme et un infirmier à l’arrière, avec un enfant de 8 ans sur la couchette. L’enfant était très malade et était transféré vers un hôpital de Naplouse. L’enfant était relié par un tube à une pochette d’intraveineuse. Pleins de miséricorde, les soldats ont refusé de laisser passer l’ambulance et ont insisté pour que l’homme prenne son enfant hors de l’ambulance et que l’ambulance s’en retourne. Alors le pauvre homme a pris son fils sur son épaule et, tenant la pochette d’IV dans l’autre main, est sorti de l’ambulance. Ce n’est pas encore tout. Les soldats lui ont donné l’ordre de reculer jusqu’au bout de la file avec son gamin. L’enfant était à ce moment-là inconscient. J’étais dans la file avec tous les autres et nous sommes restés là avec le père et son fils, deux heures durant (au soleil). Je n’ai jamais vu un homme pleurer autant... C’est une des scènes les plus déchirantes que j’ai jamais vues. La moitié des gens présent au barrage avaient des larmes dans les yeux et certains essayaient de parler aux soldats. Rien n’y a fait...
Il n’y a plus de pitié en ce monde... Vous n’imaginez pas à quel point des choses comme ça arrivent souvent. Comment ce genre de merde peut-il assurer la sécurité d’Israël ? Quelqu’un pourrait-il m’expliquer ? »