Si l’on se limite à la recherche des responsabilités, il y a beaucoup à dire. Car même si de nombreuses factions palestiniennes devaient participer à cette rencontre sous patronage égyptien, tout le monde sait que les principaux acteurs en auraient été les rivaux titanesques palestiniens, le Hamas et le Fatah. Malheureusement, leurs luttes intenses ont divisé la société palestinienne de manière quasi-chirurgicale – si vous n’êtes pas un fervent supporter de l’Autorité Palestinienne, vous êtes catalogué soutien du Hamas.
Cette division, apparemment nette, qui ces dernières années a été une donnée majeure de la scène politique palestinienne jusqu’à l’occuper en totalité, se décline en plusieurs clans dans la rue palestinienne. Il y a ceux qui critiquent les deux partis et qui se considèrent comme des indépendants ou bien ceux qui se revendiquent encore des concepts de gauche que les mouvements communistes/marxistes palestiniens s’étaient appropriés il y a bien longtemps durant leurs heures de gloire. Cependant, étant donné le poids du Hamas et du Fatah – le premier parce qu’il contrôle la Bande de Gaza, le second en raison de son rôle historique à la tête du mouvement palestinien, la bataille se limite à ces deux protagonistes. Tous les autres, peu importe la sincérité de leurs intentions, ont été repoussés aux marges de la vie politique palestinienne.
Le 9 novembre, les Palestiniens devaient se rendre au Caire, prétendument pour s’asseoir, mettre à plat leurs différences et s’accorder sur une plateforme commune pour former un gouvernement d’unité nationale. C’était en tout cas ce que l’on pouvait espérer. Le Hamas s’est retiré au tout dernier moment, moins de 24 heures avant la date prévue pour la rencontre. L’Egypte a annoncé en toute hâte le report de la rencontre et les délégations qui se rendaient au Caire ont fait demi-tour vers la Palestine. L’Egypte a annoncé un peu plus tard que la rencontre serait reprogrammée sous deux semaines, mais de toute évidence, le mal est déjà fait.
Malheureusement, cette rencontre manquée n’est pas vraiment une surprise. Pendant les semaines qui l’ont précédée, chaque camp avait multiplié les accusations contre le projet d’accord égyptien et ajouté des conditionnalités. Finalement, le Hamas a refusé de participer à la rencontre tant que le gouvernement de Cisjordanie, soutenu par le Fatah, maintenait en détention des prisonniers politiques affiliés au Hamas, tout particulièrement après que le gouvernement Hamas de Gaza ait libéré des prisonniers du Fatah, selon lui « dans un geste de bonne volonté ». Le président Mahmoud Abbas et son gouvernement ont affirmé alors et maintiennent encore aujourd’hui qu’il n’en est rien. Les détenus des prisons de l’Autorité Palestinienne sont incarcérés pour des faits de droits communs et non pour raisons politiques, et ne peuvent en conséquence être libérés pour des raisons politiques.
Sans détailler les nombreuses autres raisons ou excuses qui ont fait capoter la rencontre avant même qu’elle ne commence officiellement, il s’avère que la question des prisonniers n’a été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Pour certains, partisans de la rhétorique du Hamas, c’était une réaction normale. Pour d’autres, c’était une échappatoire peu glorieuse. Mais pour ceux dont l’objectif principal est de former un front palestinien uni, c’était tout simplement dramatique.
La situation dans son ensemble est également dramatique. Dans les faits, la Palestine aujourd’hui est une société extrêmement divisée, à la fois idéologiquement et géographiquement, sans même parler de la virulente occupation israélienne qui continue d’opprimer tous les Palestiniens et qui ainsi détruit presque toute réalisation palestinienne.
A Gaza, le gouvernement Hamas reste visiblement et fermement convaincu de sa légitimité en tant qu’autorité gouvernementale élue. Bien sûr qu’il a raison, puisqu’il a effectivement remporté les élections parlementaires en 2006 de manière irréprochable. D’un autre côté, le président Abbas a également été élu légitimement un an plus tôt et considère que la prise de contrôle de la Bande de gaza par le Hamas est un coup d’état illégitime.
Cependant, même si le Hamas et le Fatah sont les principaux protagonistes de ce champ de bataille dévasté, il y a des acteurs extérieurs majeurs qui les influencent grandement dans leurs stratégies, notamment autour de la rencontre manquée du Caire.
Premier sur la liste, l’Egypte, reconnu comme l’un des états arabes les plus modérés, qui a déjà signé un accord de paix avec Israël et qui s’aligne ouvertement sur les positions occidentales. Cela pris en considération, l’Autorité Palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas part avec un avantage quand elle retrouve comme médiateur l’Egypte, car tout deux appellent de leurs vœux un gouvernement palestinien plus malléable à Gaza et des dirigeants plus modérés.
De l’autre côté, le Hamas ne souhaite pas abandonner son contrôle sur la Bande de Gaza, qu’il estime légitime, et il y est incité par des puissances islamiques comme l’Iran. Aller au Caire sans que les innombrables conditionnalités qu’il avait posées soient prises en compte aurait placé le Hamas devant le risque de perdre ce qu’il est si déterminé à conserver, peu importe les conséquences.
Bien sûr, il y a bien d’autres raisons dont on pourrait discuter et qui rendent l’unité nationale si peu probable aujourd’hui. Les Palestiniens ont découvert tous les pièges de l’action gouvernementale alors même qu’ils n’ont pas véritablement d’état à gouverner, et concrètement cela a entraîné une multitude de problèmes et le dangereux sentiment chez nos dirigeants que quelque chose leur est du : ils sont tombés dans le piège d’un illusoire sentiment de pouvoir. En conséquence, notre jugement a été altéré et nos énergies ont été détournées de leur véritable but, la libération de la Palestine.
On ne peut pas nier que le Hamas et le Fatah soient des vrais acteurs à prendre en compte sur la scène palestinienne et internationale, que l’on soutienne ou non leurs stratégies politiques. Les deux parties affirment se préoccuper des intérêts du peuple et incarner nos aspirations nationales. Mais leurs actes disent le contraire. Même s’ils croient tous les deux que ces divisions internes servent leurs buts immédiats, elles ne servent pas notre camp sur le long terme. Au contraire, le seul à vraiment bénéficier de ces divisions est Israël, qui est ravi de voir les Palestiniens s’entre-déchirer, littéralement et métaphoriquement.
Plus important encore, c’est notre peuple que cela pénalise. Avoir raison n’est tout simplement pas suffisant. Les dirigeants du Hamas et du Fatah doivent se débarrasser des œillères partisanes qui les aveuglent et abandonner leur soif inextinguible de pouvoir. Oui, d’un point de vue idéologique, les deux partis ne peuvent pas être plus éloignés. Et ils ne seront peut-être jamais d’accord. Cependant, s’ils veulent être ne serait-ce qu’un tant soit peu fidèles à leurs déclarations, ils sont dans l’obligation de se rapprocher et de former un front uni. Après tout, ce sont des dirigeants. S’ils ne sont pas en mesure de diriger, la situation sera plus dramatique que jamais pour nous tous. Cette cause, que nous avons tous défendue si ardemment, sera perdue, pas à cause de nos ennemis, mais à cause de nous.