Moins de trois mois après l’installation
du gouvernement
palestinien dirigé par le
Hamas et quelques semaines à peine
après la publication, fin mai, par les dirigeants
palestiniens de tous les courants
politiques emprisonnés par Israël, d’un
« document de conciliation nationale
des prisonniers », Fatah et Hamas ont
finalement adopté fin juin un accord sur
une plateforme politique et stratégique
commune. C’est sur la base du « document
des prisonniers » que s’est ouvert
le 25 mai dernier un « dialogue national
» dans le territoire occupé. Y participent
non seulement les représentants
des institutions (présidence, Fatah, et
parlement, à majorité Hamas depuis les
dernières élections législatives)
l’ensemble des courants politiques palestiniens,
mais aussi les représentants de
ce qu’on appelle la société civile, à commencer
par les ONG. Ce texte en appelle
à l’unité nationale, à la libération des
prisonniers politiques, et trace les grandes
lignes d’un projet et d’une stratégie politiques
: il assure que l’OLP est la seule
représentante légitime du peuple palestinien,
il affirme les droits du peuple
palestinien à la liberté, au retour de ses
réfugiés, à l’indépendance et à l’autodétermination,
à commencer par celui
d’établir un Etat indépendant dans tous
les territoires occupés par Israël depuis
1967 avec Jérusalem-est pour capitale,
et il rappelle le droit des Palestiniens à
la résistance par tous les moyens, dans
les territoires occupés depuis 1967,
La communauté internationale ne s’y
est pas trompée qui a d’abord voulu lire
en filigrane dans ce texte, qui mentionne
les frontières de 1967 tant pour l’Etat
palestinien à instaurer que comme périmètre
de la résistance, une reconnaissance
implicite de l’Etat d’Israël. Lequel,
en revanche, treize ans après la signature
des accords d’Oslo et la reconnaissance
dissymétrique entre cet Etat
et l’OLP, ne reconnaît toujours pas l’Etat
palestinien, moins encore dans ces frontières.
Le 25 mai, le président palestinien avait
donné dix jours aux organisations politiques
pour parvenir à un accord dans le
cadre de ce « dialogue », faute de quoi
il convoquerait un référendum. Le 5 juin
signait l’échec de la première phase de
concertation, et le président Mahmoud
Abbas annonçait le 10 la tenue du référendum
le 26 juillet, en dépit des protestations
du gouvernement et des députés
du Hamas. L’accord, dont Fatah et
Hamas se disaient proches dès le
dimanche 18 et adopté le 27 juin est en
tout cas historique à plus d’un titre.
D’abord, parce qu’il entérine un projet
d’union nationale, lequel est finalement
dans ses grandes lignes assez proche de
celui que défendent le Fatah et plus largement
l’OLP. Ensuite, parce qu’il atteste
une évolution politique sensible du mouvement
Hamas. Intégré dans le système
politique depuis les élections municipales
et plus fortement depuis les législatives,
assumant les rênes d’un gouvernement
de cohabitation avec un
président du Fatah, il montre sa capacité
à tenir compte des donnes diplomatiques
régionales et internationales, sans pour
autant renoncer ni à ses principes, ni
aux cartes qu’il entend ne pas gaspiller
sans contrepartie, en particulier quant
à la reconnaissance officielle d’Israël.
Enfin, même si les dirigeants israéliens
ont qualifié le projet de référendum
palestinien de futile, l’accord sans conséquences,
décrété que le processus en
cours ne concerne que le débat interne
palestinien, et assuré n’envisager de
négociations que si le Hamas respecte
trois conditions préalables qu’ils se refusent
à eux-mêmes (arrêt des « violences »,
voire démantèlement des forces palestiniennes
armées ; respect des accords
signés depuis Oslo et reconnaissance
d’Israël), il n’empêche : le texte se veut
un message clair à la communauté internationale
et renvoie la balle dans le camp
israélien...
Massacres israéliens contre référendum palestinien
Difficile de ce point de vue de croire
totalement au hasard de calendrier. Vendredi
9 juin, jour de repos palestinien,
à l’heure où les bords de mer se peuplent
de badauds, l’armée israélienne a
bombardé une plage de Gaza. Les tirs sont
venus de la mer dont les berges sont
enfin accessibles aux habitants, la mer
sillonnée par les navires de guerre israéliens
qui en barrent l’horizon. Bilan :
huit morts. Parmi eux, un couple et ses
trois enfants, laissant une fillette au traumatisme
de la perte de tous les siens.
Au-delà de l’émotion qui a -mollementgagné
la communauté internationale et
une partie de la société israélienne, la
colère a submergé des Palestiniens, exaspérés
de subir, depuis des semaines,
quelque 300 tirs d’obus journaliers dans
ce petit territoire évacué par l’armée
mais transformé en prison à ciel ouvert,
dans le silence du monde, et de voir,
toujours et encore, couler le sang.
Les dirigeants israéliens ont d’abord
annoncé une enquête interne, réfuté toute
enquête internationale, annoncé que le
carnage proviendrait de l’explosion
d’une roquette palestinienne, puis qu’il
s’agirait peut-être d’un ancien obus israélien
non explosé, annoncé que l’armée
israélienne était la plus éthique du monde, plaidé quoi qu’il arrive la « légitime
défense » fût-ce au détriment de la vie
de civils... Toujours est-il que cette tuerie
est intervenue au moment précis où
le président de l’Autorité nationale palestinienne
s’apprêtait à annoncer la tenue
du référendum sur le document des dirigeants
emprisonnés de toutes les factions
politiques palestiniennes (voir page
14), pour amener la société palestinienne
à se prononcer sur leur plan stratégique
unitaire.
Mahmoud Abbas, qui s’est rendu peu
après dans la bande de Gaza, a dénoncé
un « crime de guerre ». Le mouvement
Hamas, lui, a annoncé qu’il pourrait
mettre un terme à la trêve qu’il respectait
depuis près de dix-huit mois en
dépit de la poursuite des assassinats
dits « ciblés » et des morts « collatéraux
» qui les accompagnent, en dépit
du maintien en détention de quelque
10.000 prisonniers politiques, en dépit
de la poursuite de la colonisation, des
destructions de maisons et autres mesures
d’asphyxie.
Le scénario effarant mais connu, éprouvé,
réitéré jusqu’à l’écoeurement, sert en
tout cas ici trop parfaitement le projet
du gouvernement israélien qui en répète
la sentence, de Tel-Aviv à Washington,
Berlin ou Paris : faute de négociation
avec une partie palestinienne décrétée
introuvable, il fixera unilatéralement
les frontières de l’Etat dès les prochains
mois, en annexant les grands blocs de
colonies et en confirmant l’annexion
d’une Jérusalem à la superficie étendue
aux faubourgs de Ramallah, au
Nord, de Bethléem, au Sud et de Jéricho,
à l’Est. Rien de nouveau dans ce
discours sur l’absence de partenaire,
censée justifier tous les faits accomplis.
Le précédent gouvernement n’avait
eu de cesse que d’isoler diplomatiquement
et d’assiéger physiquement le président
Yasser Arafat, puis de contourner
Mahmoud Abbas au profit d’une
stratégie unilatérale. Le gouvernement
d’Ehud Olmert a trouvé dans l’élection
d’une majorité de députés du Hamas
au sein du nouveau parlement palestinien,
puis dans la nomination du gouvernement,
l’alibi facile pour justifier
la poursuite de cette politique. Il lui suffit
d’estampiller le Président de l’ANP,
jusque là esquivé, comme dorénavant
impuissant. C’est que l’hypothèse d’un
« oui » au référendum risquait sinon
d’enrayer sa stratégie du moins d’en
amoindrir la validité auprès de chancelleries
occidentales prêtes à le suivre,
de Washington à Londres... La reprise
d’une escalade, entre bombardements
contre la population civile palestinienne
d’un côté et tirs de roquettes voire attentas
possibles de l’autre, ne pourrait que
nourrir dès lors la thèse du chaos, permettant
à la colonisation et aux faits
accomplis unilatéraux de proliférer,
facilitant l’avènement de l’annexion
annoncée. C’est dans ce contexte que
s’intensifient les bombardements de la
bande de Gaza, censés « riposter » aux
tirs de roquette artisanaux palestiniens
sur la ville israélienne de Sdérot. De
nouveau, le 13 juin, neuf Palestiniens
étaient tués à Gaza par un raid aérien
israélien, probablement d’un avion sans
pilote. Parmi eux, selon le médecin Joumaa
Al-Saqaa de l’hôpital Al-Chifa de
Gaza, deux enfants. Un second raid
aérien, également contre une voiture
dans le nord de la bande de Gaza, a fait
quatre blessés. M. Abbas a accusé Israël
de « terrorisme d’Etat ». « Ce terrorisme
d’Etat ne nous ébranlera pas », a-t-il
assuré.
L’unité nationale face au spectre de la guerre civile
Mahmoud Abbas a cependant, ou précisément
pour cela, annoncé le 11 juin
la tenue du référendum le 26 juillet. Il
s’agissait selon lui, pour l’essentiel, d’une
tentative de réponse à une double crise :
crise majeure de reconnaissance par la
communauté internationale avec ses
conséquences économiques gravissimes,
(voir page 28) et crise politique interne.
Car sur la scène palestinienne, les concurrences
politiques qui se sont exprimées
durant la campagne électorale se sont
poursuivies depuis la mise en place du
gouvernement, et se sont même aggravées
face à la crise économique et sociale
imposée par le blocus israélien puis international
; le gouvernement ne dispose
plus d’un budget suffisant pour payer
les salaires des fonctionnaires, bloqués
depuis le mois de mars. Pour autant se
manifeste une volonté d’unité nationale,
censée éviter que les affrontements actuels
entre des militants du Fatah et du Hamas
ne dégénèrent en guerre civile, et soudant
la résistance et l’ensemble des institutions
autour d’un projet politique et d’une
stratégie communs.
La crise interne exprime d’abord des besoins d’éclaircissements institutionnels
: elle met à l’épreuve la répartition
des prérogatives entre la présidence, en
la personne de Mahmoud Abbas élu l’an
passé, et le gouvernement, dirigé par le
Hamas à l’issue de sa victoire électorale
du 25 janvier 2006. La question du contrôle
des forces de sécurité en est l’une des
traductions. Le ministre de l’Intérieur a
ainsi mis en place, dans la bande de Gaza,
une force sous son contrôle dont le président
récuse la légitimité, puis a décidé
de la retirer de certains quartiers au nom
de la paix civile. Mais elle manifeste
aussi la compétition entre Hamas et militants
du Fatah abasourdis par leur défaite
aux législatives. De fait, la confrontation
a pris des formes armées meurtrières -faisant
une vingtaine de morts en quelques
semaines, singulièrement dans la bande
de Gaza- alimentant une spirale dangereuse
à laquelle gouvernement et présidence
appellent à mettre un terme. Après
des affrontements entre hommes armés
des deux organisations -dont des membres
des forces de sécurité -, des combattants
du Fatah ont répondu, le 12 juin, à l’attaque
du siège de la sécurité préventive à Rafah
par des activistes du Hamas, par l’incendie
des bureaux du Premier ministre, par
celui de l’immeuble du conseil législatif
à Ramallah et par l’attaque de locaux du
Hamas en Cisjordanie. Président de la
« Commission palestinienne indépendante
pour les droits humain », le Dr Mahmoud
Akker commente, le 13 juin : « le
siège économique crée dans la rue palestinienne
une situation propice au déclenchement
d’une guerre civile avec toutes
les conséquences qu’elle aura ». Une
situation qui inquiète notamment les associations
de défense des droits humains,
lesquelles en appellent au retour de la
sécurité interne et de l’Etat de droit.
L’appel des prisonniers
C’est dans ce contexte général, et tandis
que le siège israélien s’intensifiait,
qu’est intervenue en mai l’initiative des
prisonniers politiques. Un texte à
l’audience d’autant plus large que ces
prisonniers sont totalement légitimes
auprès de la population des territoires
occupés, quasiment toutes les familles
ayant ou ayant eu au moins un de ses
membres emprisonné, et qu’il est signé
par des dirigeants de premier plan de
tous les courants politiques. Leur « document
de conciliation nationale des prisonniers
» (voir le texte intégral p.14)
s’adresse d’abord à la scène palestinienne,
et ne se veut pas un plan de paix
ou de négociation. Il est davantage un
texte d’orientation politique et stratégique.
Il réaffirme d’abord la nécessité
d’unité nationale. Il bannit le recours
aux armes entre Palestiniens. Il met
ensuite en exergue l’OLP comme seule
représentante légitime du peuple palestinien
et en appelle à une intégration en
son sein de tous les courants palestiniens.
Une problématique d’autant plus
importante que c’est théoriquement
l’OLP qui négocie et en son nom que les
accords sont signés, nonobstant sa marginalisation
de fait depuis Oslo. « Les
négociations sont de la compétence de
l’OLP ou du président de l’Autorité
palestinienne (...) à condition que tout
accord crucial soit approuvé par le
Conseil national
palestinien (le parlement
de l’OLP,
dont sont théoriquement
membres de
droit les députés du
Conseil législatif,
ndlr) ou soumis à
référendum », précise
le texte. Reste
à savoir dans quelles
proportions s’y intégreraient,
le cas
échéant, les organisations
de la résistance
islamique...
La communauté
internationale a surtout
retenu un autre
aspect du texte :
affirmant les droits
du peuple palestinien
à la liberté, au
retour de ses réfugiés,
à l’indépendance
et à l’autodétermination,
il
souligne que ces
droits passent par
celui d’établir un Etat indépendant dans
tous les territoires occupés par Israël
depuis 1967 avec Jérusalem-est (« al-
Quds ash-Sharif ») pour capitale et mentionne
la charte des Nations unies et le
droit international. Il affirme aussi le
droit des Palestiniens à la résistance par
tous les moyens, dans les territoires
occupés depuis 1967, en articulation
avec l’action politique, diplomatique,
et la négociation.
Entre dialogue et consultation populaire
Le « dialogue national » constitué autour
de ce document est appelé à ne pas s’arrêter
au texte mais à se poursuivre, ce qui
constitue un gage de démocratie contre
le spectre de « guerre civile ». Autre élément
important : s’il concerne principalement
les territoires occupés, les forces
politiques qui y participent représentent,
elles les Palestiniens dans leur totalité
(occupation et exil forcé). Mais dialogue
ne signifie pas accord, et le Hamas a tout
d’abord émis de fortes
réserves. Il rappelle que
les concessions des
négociateurs palestiniens
depuis Oslo, dans
un rapport de force
totalement dissymétrique,
n’ont conduit à
aucune réciproque de la
part des dirigeants
israéliens. Il souligne
également que les
années d’un « processus
» qui n’avait de paix
que le nom, ont permis
au pouvoir en place
à Tel-Aviv d’accélérer
la colonisation et
de poursuivre sa politique
destructrice et
meurtrière sans réaction
de la communauté
internationale. Ce qui
fut l’un des thèmes de
sa campagne électorale,
cependant plus
largement centrée sur
les dossiers intérieurs
et notamment sur la
nécessaire probité du pouvoir. Il considère
que l’occupant doit s’engager luimême
dans le retrait des territoires occupés
depuis 1967 avant d’envisager une longue trêve ou l’hypothèse d’une reconnaissance.
Le débat en tout cas n’est pas
clôt, entre les différentes composantes du
mouvement de la résistance islamique,
dont la direction est partagée entre les
territoires occupés -ainsi d’Ismail Haniyeh
ou de Mamoud Zahar- et l’exil, en particulier
à Damas -comme c’est le cas
de Khaled Mecha’al, ou de Moussa Abu
Marzuq.
Le référendum qu’avait convoqué le
président palestinien pour le 26 juillet
n’était censé concerner que la population
des territoires occupés. Pour la première
fois, cette partie du peuple palestinien
aurait été appelée à se prononcer
clairement sur de tels enjeux. L’enjeu
pour Mahmoud Abbas : reprendre la
main pour tenter de sortir de la crise.
« Il est temps d’aller de l’avant pour
mettre un terme aux souffrances du
peuple palestinien », plaide-t-il, au nom
de l’urgence. Le Hamas, mais aussi le
Jihad islamique et le FPLP, appelant à
la poursuite du dialogue national, ont
vivement protesté. D’abord sur le fond,
puisqu’ils refusent de céder aux pressions
internationales. Ensuite sur la
méthode. Le Hamas a évoqué un risque
de « division historique ». Il estime que
le vote a déjà eu lieu lors des législatives.
Et il a jugé le référendum non
constitutionnel : la Loi fondamentale,
qui définit les prérogatives du président,
n’en mentionne pas l’hypothèse. Député
du mouvement, Moushir Masri a estimé
qu’il s’agissait d’un « coup d’Etat contre
le choix du peuple palestinien et la légitimité
» conférée au Hamas par les urnes.
Le Hamas s’est dit décidé à l’empêcher
par tous les moyens juridiques et à en
appeler au boycott. Il a assuré qu’Abdelkhaleq
Natche (Hamas) et Bassam as-
Saadi (Jihad) retiraient leur signature
du texte des prisonniers à la suite de
l’annonce du référendum. Mahmoud
Abbas considère, lui, que la Loi ne mentionne
pas davantage un interdit et que
les élections ne portent pas sur l’ensemble
de ces questions stratégiques.
« Le fait que le document vienne des prisonniers
et ait le consentement des premiers
dirigeants lui a donné une grande
crédibilité et a permis au président Abbas
de reprendre l’initiative et de mettre le
Hamas sur la défensive pour la première
fois depuis l’élection du CLP du
25 janvier », analyse le politologue Ghassan
al-Khatib [1]. Le pari d’Abbas était
cependant risqué. D’une part, une partie
de la population estime que certains
militants du Fatah sont avides de
reprendre le pouvoir et ne le souhaite
pas. Le gouvernement israélien l’a compris
qui cherche, aussi, à discréditer
Mahmoud Abbas, notamment en annonçant
autoriser le transfert d’armes pour
sa garde personnelle... Khalil Shikaki,
politologue également, indique surtout
que si une grande majorité de la population
soutient le texte, celle-ci n’était pas
forcément prête pour autant à le signifier
dans un vote. Le temps du dialogue
a permis d’aboutir à un accord. Pour
l’unité nationale et pour la stratégie
palestinienne, le moment est historique.
Un accord entre les organisations palestiniennes
amènera-t-il à un gouvernement
d’union nationale ? Pour le Hamas,
la question n’est pas à l’ordre du jour.
Il est trop tôt pour le dire. L’armée israélienne
a entrepris une nouvelle offensive
sans précédent. Qui vise aussi l’unité
palestinienne.
– Isabelle Avran