Les gouvernements dans le monde entier se tournent vers des mesures extrêmes pour enrayer la propagation du virus COVID-19, en adoptant des politiques qui auraient paru impossibles ou intolérables il y a à peine un mois.
Les écoles et les universités dans le monde ferment. Des pays européens tels que l’Espagne, l’Italie et la France ont imposé des couvre-feux. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont approuvé des engagements budgétaires qui, il y a seulement deux semaines, auraient été condamnés comme fantaisistes ou socialistes.
En plus de ces mesures, beaucoup de gouvernements sont en passe d’adopter des réponse technologiques qui pourraient les aider dans la lutte contre le coronavirus.
Le 18 mars, le ministre israélien de la Santé a annoncé qu’il avait commencé à utiliser des technologies de surveillance de masse pour contrôler les mouvements des personnes infectées ou soupçonnées de l’être. Le programme est en train d’être facilité par le Shin Bet, le service de renseignements intérieur, bien connu pour le repérage des suspects pour des raisons de sécurité, en Israël et dans les territoires palestiniens occupés.
Dès ce jour, 400 personnes avaient été informées par un SMS que leurs mouvements avaient été suivis, en déclarant qu’ils avaient été en contact avec un porteur du virus et que par conséquent, ils devaient s’isoler.
Israël n’est pas le seul pays à rechercher des solutions de haute technologie à la pandémie mondiale.
La Russie utilise actuellement des technologies de l’intelligence artificielle pour identifier les personnes qui ont beaucoup de température ou qui ne respectent pas les couvre-feux, qui font circuler de fausses informations sur les médias sociaux et même, qui vident les rayons dans les supermarchés.
La police espagnole utilisent des drones pour contrôler et faire respecter les couvre-feux. Les sociétés de télécommunications d’Autriche et d’Allemagne ont remis à leur gouvernement des données rendues anonymes de géolocalisation de leurs clients.
Une vague de nouvelles applications téléphoniques, pour contrôler la propagation du virus et pour diffuser des informations officielles, est aussi utilisée à l’échelle mondiale. Pourtant, certains de ces outils se sont heurtés à des problèmes. En Corée du Sud, par exemple, des inquiétudes ont commencé à s’exprimer quand des détails sur la vie privée de personnes, tels que ceux concernant des affaires extra-maritales, ont été révélés par des SMS d’urgence du gouvernement.
À ce jour, seuls la Chine et l’Iran, et désormais Israël, utilisent de manière officielle des techniques de surveillance au niveau de l’état pour lutter contre le virus. Ceci a déclenché quelques controverses sur la manière dont Israël, qui affirme être une démocratie, met en oeuvre des pratiques privilégiées par les régimes autoritaires.
Des controverses qui ne portent pas sur le fait que Israël emploie de telles techniques mais sur le fait qu’elles soient mises en oeuvre envers les citoyens juifs, déclare Nadim Nashif, le directeur exécutif de 7amleh, association palestinienne de défense des droits numériques. Le Shin Bet, explique-t-il, a une longue histoire d’utilisation de ces technologies sur des citoyens palestiniens d’Israël et résidents palestiniens de Jérusalem-Est.
Les inquiétudes au sujet de la vie privée individuelle sont légitimes à la lumière des mesures prises par le gouvernement, estime Nadim Nashif, qui soutient que, contrôler le téléphone des individus revient à contrôler tout leur cadre de vie. « Il ne s’agit pas seulement de géolocalisation ; ce sont les appareils photo, les microphones, le contenu de ce téléphone, les gens de notre entourage. Tout le monde y est exposé. »
Aucune surveillance
Bien que le gouvernement israélien ait déclaré que ses capacités de surveillance ne seraient pas utilisées pour accéder aux données de géolocalisation, les inquiétudes demeurent en raison des divergences entre les déclarations du gouvernement et la manière dont cette politique est mise en oeuvre.
« Le gouvernement a approuvé en pleine nuit les réglementations sur l’urgence, même si la Commission des Affaires Étrangères et de la Défense avait commencé hier à débattre de la question – sans que lui soit donnée la possibilité d’y procéder de façon sérieuse et complète », a écrit le 17 mars sur Twitter Gabi Ashkenazi, le président de la commission et membre dirigeant du parti Bleu et Blanc. (Ashkenazi, par l’intermédiaire d’un représentant, a décliné la proposition d’interview pour cet article ou de répondre à des questions sur la manière dont la politique du parti Bleu et Blanc sur le COVID-19, s’il était au pouvoir, serait différente de celle du Likoud).
Dans la plupart des démocraties, la transparence et la proportionnalité des politiques étatiques sont jugées comme indispensables pour garantir la légitimité de la mise en oeuvre de tels pouvoirs. Pourtant en Israël, le gouvernement essaie d’entraver cette surveillance : les travaux de la Knesset ont été interrompus sur l’ordre de Yuli Edelstein, le président du Parlement et membre du parti au pouvoir, tandis que la légalité du programme de surveillance est remise en cause devant la Haute Cour de Justice (le 19 mars, le tribunal a rendu une ordonnance provisoire qui interdit la politique de repérage sauf si une commission de surveillance est créée avant le 24 mars par la Knesset).
Au-delà des inquiétudes concernant la vie privée et le fait de rendre des comptes, les critiques se préoccupent aussi de l’implication à long terme du Shin Bet pendant cette crise. Faisant référence au Patriot Act (Loi sur le Patriotisme) adopté aux États-Unis et les nombreuses violations des droits de l’homme perpétrées en son nom par le gouvernement américain après le 11 septembre, Eva Blum-Dumontet, chargée de recherche à Privacy International craint ce qui se produira quand la situation d’urgence prendra fin.
En Israël, les mesures de surveillance sont promulguées sans délai défini, soulevant la question de savoir quand elles cesseront et qui en décidera. « Elles ont été adoptées sans aucune forme de contrôle… ceci est quelque chose qui nous inquiète énormément », explique Eva Blum-Dumontet.
D’autres politiques moins dangereuses pour les libertés citoyennes ont fait la preuve de leur utilité pour arrêter la propagation du virus, ajoute-t-elle. Celles-ci comprennent des aides financières pour ceux privés d’emploi, le soutien de la collectivité, des messages du gouvernement forts et clairs et par-dessus tout, un service de santé solide. « Avant de nous lancer dans des mesures de surveillance très sévères qui laisseront des effets durables sur nos droits humains …(nous devons analyser) les mesures que nous pouvons déjà prendre », conseille-t-elle vivement.
Toutefois, il sera sans doute difficile d’inverser les tendances du gouvernement. Un PDG d’une société israélienne, spécialisée dans l’analyse vidéo des caméras de télévision en circuit fermé basée sur l’intelligence artificielle, qui a requis l’anonymat en raison de son travail dans le cadre de contrats avec le gouvernement, déclare que les autorités abrogent rarement les pouvoirs en matière de sécurité une fois que ceux-ci leur ont été accordés — et beaucoup d’Israéliens le savent. « A mon avis, la plupart des citoyens n’ont rien à cacher, et si quelque chose peut aider à contrôler le virus et à nous ramener à une forme normale de vie, tout le monde l’acceptera », dit-il.
La collaboration entre public et privé
Les technologies innovantes, la sécurité de l’État et les start-ups ont en Israël des relations plutôt symbiotiques : dans le cas des relations, hostiles ou non, avec les pays voisins ; dans le cas de l’occupation militaire des territoires palestiniens ; c’est aussi le cas dans la guerre contre le coronavirus.
Ces derniers jours, l’Autorité israélienne de l’innovation, ainsi que d’autres organismes gouvernementaux, ont lancé un appel à candidatures pour le financement de sociétés technologiques proposant des solutions innovantes dans le dossier du Covid-19.
Il peut s’agir d’entreprises médicales ayant des fonctions directes pour enrayer la propagation ou des plateformes d’aide à distance, comme cette application de communication permettant aux personnes âgées de rester en contact avec leur famille. Des plateformes de surveillance et de sécurité aidant le gouvernement à appliquer les codes de quarantaine pourraient également être envisagées.
Bien que le PDG qui a parlé à +972 n’ait pas entendu parler de sociétés de haute technologie travaillant avec le gouvernement israélien contre le COVID-19, il a reconnu que de tels projets seraient de toute façon confidentiels et qu’ils sont probablement déjà en cours.
Il a pointé sa propre société agitée par des débats internes sur la manière dont le gouvernement pourrait utiliser sa technologie pour contrer la propagation du virus.
Le logiciel de la société, conçu pour contrôler les images des caméras et repérer les individus suspects, pourrait être rapidement recalibré pour identifier les comportements sociaux auxquels le gouvernement souhaite mettre un frein. Cette technologie, actuellement utilisée pour chercher les hommes portant des armes, pourrait servir à prévenir les autorités quand des gens se regroupent en grand nombre ou se tiennent trop près les uns des autres, explique-t-il.
Évidemment, de telles applications peuvent être utiles pour contribuer à contenir le coronavirus mais celles-ci font aussi courir de graves dangers au respect de la vie privée. Il y a une grande différence entre la contribution du secteur privé à la découverte d’un vaccin, et sa collaboration avec l’État pour surveiller les citoyens de celui-ci.
Les sociétés chinoises de technologie Baidu et Megvii, par exemple, soutiennent la lutte de leur gouvernement contre le virus en mettant en oeuvre des systèmes de surveillance assistés par intelligence artificielle, dont beaucoup craignent qu’ils continuent à être utilisés à des fins autoritaires. Assisterons-nous bientôt en Israël à de tels partenariats ?
Une société israélienne, le groupe NSO - tristement célèbre pour ses outils offensifs électroniques très appréciés des régimes répressifs - a déjà proposé ses services dans la lutte contre le coronavirus. Et pour certains, c’est une source d’inquiétude.
« Le problème que nous voyons souvent dans le partenariat public-privé est que ces sociétés façonnent le discours sur ce qu’il faut faire en matière de sécurité nationale », analsye Eva Blum-Dumontet.
Les décisions sur la façon de faire face au COVID-19 doivent être prises par des gouvernements démocratiquement élus en concertation avec les responsables de la santé ; les sociétés privées impliquées dans la surveillance ou les entreprises ayant un bilan douteux en matière de droits de l’homme ne doivent pas déterminer cette réponse.
*Robert Swift est écossais. Journaliste indépendant et écrivain,il est installé à Jérusalem. Son travail se concentre sur la technologie, les problèmes politiques du Moyen-Orient et les questions sécuritaires et militaires.
Traduction Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers