La tâche assignée au journaliste de
la chaîne de télévision éducative Al
Quds par la rédaction semblait simple :
aller dans la rue vérifier la réaction de l’opinion
à la suggestion du président Mahmoud
Abbas d’organiser un référendum
basé sur l’accord des prisonniers palestiniens.
D’habitude, filmer vox pox (des réactions
rapides de gens dans la rue) prend environ
vingt minutes. Mais cette fois ci, Numan
Kabaah, à qui on avait confié cette tâche,
a eu du mal à enregistrer des réactions
représentant différents points de vue. Au
bout de deux heures et vingt interviews,
il n’avait pas trouvé un seul Palestinien
opposé au référendum. De la rue Rukab
à la Manara (la Place des Lions) à Ramallah
puis près du marché d’Al Bireh, personne
qui soit contre un plébiscite susceptible
de mettre un terme à la controverse
actuelle en Palestine.
Cette controverse a entraîné deux résultats
d’élections apparemment opposés
en une seule année. Abbas a été élu président
de l’Autorité palestinienne sur une
plateforme pour la paix qui appelait à des
discussions directes avec Israël, quand
Ismael Haniyeh et les membres de sa
liste « Pour le changement et la réforme »
ont gagné l’élection législative sur une
plateforme qui ne fait mention d’aucun
dialogue avec Israël.
Israël et la communauté internationale
ont imposé un blocus injuste au gouvernement
palestinien parce que, dans le
programme de Haniyeh, il n’est pas mentionné
que son administration reconnaîtrait
Israël, accepterait les accords précédemment
signés par l’OLP et rejetterait
le terrorisme. Bien que leur plateforme
ait été pour l’essentiel focalisée sur les
questions internes, les élus ont affirmé
que leur victoire électorale était aussi un
vote pour le programme externe du mouvement
islamique Hamas.
Rien qu’en suggérant un référendum sur
cette question spécifique, avant même
d’en connaître les résultats, on peut affirmer
qu’Abbas a marqué des points sur plus
d’un terrain politique. En effet, il a considérablement
affaibli les tentatives du gouvernement
de Haniyeh de se prévaloir
d’un mandat pour rejeter les négociations
avec Israël et sa reconnaissance. Il a
également embarrassé le Premier ministre
israélien Ehud Olmert, dont le plan unilatéral
est basé sur l’idée selon laquelle
il n’y aurait pas de partenaire palestinien
sérieux qu’il puisse reconnaître.
Tout de suite après l’appel au référendum,
la popularité d’Abbas a augmenté
et l’image d’un président faible et impuissant
dépeint par Olmert avant son départ
pour Washington s’est estompée.
Des sondages effectués dans la semaine
suivant l’appel montrent que plus des
deux tiers des Palestiniens approuvent
le référendum. Mais la preuve la plus
éclatante vient peut-être du Hamas luimême
car les positions de plusieurs de
ses porte-paroles ont été confuses, voire
contradictoires. En effet, pendant et après
les récentes élections législatives, divers
dirigeants du Hamas ont déclaré que,
s’ils devaient prendre des décisions sur
la reconnaissance d’Israël, ils soumettraient
cette question au suffrage populaire.
Dans son premier entretien après
son élection comme président du parlement,
le Dr Azziz Dweek a déclaré à la
journaliste libanaise Giselle Khoury, sur
la chaîne satellite Al Arabiya, qu’il soutiendrait
un référendum sur cette question
si besoin était. Dweek a réitéré cette position
peu après l’appel d’Abbas, avant de
se contredire en déclarant que l’idée du
référendum présentée par le président
était inconstitutionnelle.
Le référendum d’Abbas a mis au jour des
divergences latentes à l’intérieur du mouvement
de résistance islamique, que le
Hamas essayait de cacher, avec au moins
trois positions différentes vis-à-vis de la
reconnaissance d’Israël.
Ironiquement il apparaît que la position la
plus modérée au Hamas est celle des
prisonniers : ceux qui vivent dans la plus
grande prison de l’occupation et du siège
ne sont pas aussi modérés et ceux qui sont
complètement libres en Syrie sont les
plus radicaux. Tout le monde sait que
l’équilibre des forces est défavorable aux Palestiniens - même si les plus optimistes
pensent qu’il peut se déplacer en
faveur des Palestiniens -, aussi la divergence
d’opinions se manifeste souvent
à propos de l’acceptation d’un compromis
: faut-il s’y résoudre tout de suite ou
attendre la possibilité d’un meilleur accord
plus tard ?
Or, plus les gens vivent dans des conditions
restrictives, plus ils éprouvent le
besoin d’une amélioration de leur situation
à court terme. Les dirigeants du
Hamas à Damas, eux, peuvent attendre
longtemps parce que leur vie quotidienne
n’est pas touchée par l’occupation, le
siège et l’emprisonnement. Un proverbe
arabe dit : « Ceux qui reçoivent le fouet
ne sont pas comme ceux qui comptent
les coups. »
Il y a une raison encore plus importante
pour que les prisonniers et les personnes
sous occupation aient un point de vue
plus pragmatique : l’évolution des positions
des Palestiniens et des Arabes
depuis les cinquante dernières années
ne donne guère d’espoir que la situation
s’améliorera dans les dix ou vingt ans à
venir ; bien au contraire, elle révèle une
érosion du programme politique. En
conséquence, ceux qui sont derrière les
barreaux ou derrière les checkpoints ne
veulent pas gâcher leur vie à attendre
cinq ou dix ans de plus que leurs dirigeants
acceptent ce qu’ils rejettent maintenant.
Le référendum d’Abbas offre aux Palestiniens
des territoires occupés la chance
de faire entendre leur avis, non pas sur
la question de la gouvernance et de la corruption
mais sur la question stratégique
des frontières de l’Etat dans lequel nous
voulons vivre et sur la manière dont nous
voulons traiter avec nos voisins. En utilisant
le document des milliers de Palestiniens
derrière les barreaux et en l’offrant
aux millions de ceux qui vivent sous occupation
et sous siège, Abbas a découvert
La question qui pourra purifier l’air et
mettre le peuple palestinien sur la voie
de l’indépendance : la démocratie et la
liberté.
© Daoud Kuttab, 2 juin 2006