Samir, un résident israélien, père de deux enfants, s’était approché d’un groupe de policiers qui venaient d’arrêter son frère au coin d’une rue non loin de chez lui, et il leur avait demandé de le relâcher. Les versions divergent sur la succession des événements mais il n’y a aucune contestation à propos des faites suivants : Samir n’était pas armé et le policier Shmuel Yechezkel lui a tiré de près dans le dos.
La police israélienne a été prompte à propager une version fallacieuse de l’incident, présentant ce meurtre comme un acte de légitime défense. Il s’agit là d’une réponse typique et quasi automatique de la police, de celles qui inversent les rôles entre victime et agresseur. Lorsqu’un Arabe est tué, on dit qu’il a été violent ; lorsqu’il se fait tabasser, on dit qu’il a d’abord frappé le policier ; quand il est opprimé, c’est lui qui est coupable.
Typique également, l’absence d’intérêt du public pour la mort de Samir. Le meurtre d’un Arabe n’est, après tout, pas le genre d’événement à faire les grands titres en Israël.
La manifestation non-violente organisée par les amis de Samir en réponse à ce meurtre a pourtant retenu l’attention. Les Juifs israéliens ne digèrent pas facilement la présence d’Arabes en colère dans les rues et beaucoup n’ont pas hésité à menacer ouvertement les manifestants : « Il faut une réponse immédiate et forte » et « il faudrait une attaque au missile sur leur village » étaient quelques unes des réactions qui ont paru dans la presse locale.
Mais il apparaît maintenant, un an et demi plus tard, que l’appareil judiciaire israélien partage la perception du public, bien que sur un mode d’expression moins véhément.
Le juge Noam Solburg a récemment acquitté le policier Yechezkel. Ironiquement, le juge établit dans son verdict que Samir n’avait pas menacé Yechezkel, qu’à aucun moment il n’y avait eu de contact physique entre Samir et le policier, et que Samir s’éloignait du policier lorsqu’il a été abattu d’une balle dans le dos. « L’accusé a fait une terrible, une effroyable erreur », conclut le juge, ajoutant que « le défunt a été tué sans raison ».
Le juge a néanmoins disculpé Yechezkel parce que, selon son opinion, l’idée que le policier se soit senti agir en situation de légitime défense n’est pas totalement hors de doute. Donc, lorsque « l’erreur » tue un Arabe, personne n’en paie le prix - sauf, bien sûr, la victime, sa femme et ses enfants.
Le verdict du juge Solburg adresse un message à la famille de Samir et à tous les citoyens arabes d’Israël : ils ne doivent pas attendre justice et protection de l’Etat d’Israël. Alors que la fonction de la loi est de protéger les citoyens et que la responsabilité de la police est de faire observer la loi, ces vérités de base sont bien souvent ignorées lorsqu’il s’agit d’Arabes. Depuis septembre 2000, trente-quatre citoyens arabes ont été tués par la police, des gardiens de sécurité et des soldats. Pourtant, seules quatre inculpations ont été prononcées, et seulement après une solide campagne publique. Aucun de ces cas n’a abouti à une condamnation.
Quelquefois, pourtant, la naïveté essaie obstinément de mettre en cause la réalité politique. Lorsque Samir a été tué, nous pensions qu’il valait la peine de réclamer justice. Au départ, la famille de Samir avait refusé d’autoriser une autopsie. Ce n’est qu’après de fortes pressions exercées par des amis et des juristes qui arguaient que sans preuve matérielle, le policier repartirait libre, que la famille a donné son accord, contre ses convictions religieuses, pour permettre la procédure médico-légale. Le rapport du médecin est sans équivoque : Samir a été abattu d’une balle dans le dos, tirée de près.
Le juge Solburg n’a apparemment aucune patience pour la naïveté et il a veillé à ce que la réalité politique sorte victorieuse. Il n’a pas permis aux résultats de l’autopsie ou, en d’autres termes, à « la dimension objective » de l’affaire de changer quoi que ce soit à son verdict et il a donc adressé aux citoyens arabes d’Israël le message très clair que la preuve ne constitue pas le critère le plus important pour établir la culpabilité. Il ne sera dès lors pas étonnant que la famille de la prochaine victime refuse de donner son consentement pour une autopsie.
Ce verdict envoie également un message clair à la police : « Ne vous en faites pas ». Les policiers israéliens peuvent être tranquilles : tout sera fait pour couvrir la violence à l’encontre d’Arabes. Si les affaires internes ne font pas le boulot, alors on peut trouver un juge qui acquittera le policier, même si l’officier de police est coupable d’avoir abattu un homme de sang froid.
En outre, ce verdict renforce l’idée qui court dans le public juif que tout sang n’est pas pareil. Non pas que cela doive réellement surprendre qui que ce soit. Il y a un an et demi, lorsque Samir a été tué, nous avions écrit un article ( ) pour la presse israélienne qui s’achevait par ces lignes :
« Samir n’est plus. Nous voudrions pouvoir espérer qu’il se trouvera quelqu’un d’assez courageux pour appliquer la loi dans toute sa rigueur à l’encontre de celui qui lui a tiré dans le dos. Nous aimerions croire que ce cas fissurera les moules du mensonge, de la dissimulation et du racisme qui alimentent le cercle de la violence. Nous aimerions savoir que les enfants de Samir seront les derniers à devenir orphelins par la violence de la Sécurité Générale (Shabak), de la police et de l’armée. Mais non. Nous ne nous faisons pas d’illusions. »
A notre grand regret, notre pessimisme n’était pas déplacé.