Le 7 janvier 2007, les autorités
israéliennes ont démenti les informations
de l’hebdomadaire britannique
The Sunday Times - toujours
bien informé sur le nucléaire israélien [1].- selon lesquelles l’armée israélienne
aurait mis au point un plan d’attaque et
de destruction des installations nucléaires
iraniennes : « Cette histoire est inexacte,
Israël appuie à 100% les efforts de la
communauté internationale pour stopper
le programme nucléaire iranien »,
a déclaré le porte-parole du ministère
des Affaires étrangères [2].
Ce « démenti » n’est en rien une infirmation
de la thèse du Sunday Times.
Comme d’habitude, il minimise l’information.
L’histoire est « inexacte » mais
ne peut nier l’existence du plan. Et, tout
en affirmant soutenir les efforts de la
communauté internationale, il se prépare
à dire qu’il faut « tirer les conséquences
du marché de dupes de négociations
reconduites indéfiniment, sans
résultat » [3]. Il faut « des réactions occidentales
renforcées » [4] (car les dirigeants
israéliens craignent le veto russe
ou chinois au Conseil de sécurité). En
clair, il faut la guerre ... « afin d’éviter
le pire ».
L’armée d’Israël s’est soigneusement
préparée pour cette guerre qui prévoit,
toujours selon The Sunday Times,
l’emploi de mini-bombes nucléaires
pour percer les bunkers. Tout le problème
est d’obtenir la couverture stratégique
des Etats-Unis. Israël se trouve
ainsi à l’heure de choix décisifs pour
son avenir même.
Un Etat nucléaire
L’histoire de la construction par Israël
d’un arsenal nucléaire puissant et sophistiqué,
sans jamais en admettre l’existence,
commence l’année même de sa
naissance.
En 1948, une unité scientifique de l’armée
commence les prospections qui mènent
à la découverte d’uranium dans le désert
du Néguev. En même temps, l’institut
Weizmann se concentre sur la recherche
nucléaire en collaboration étroite avec
les Etats-Unis qui lui fournissent les
équipements et les technologies. Pour
produire le plutonium nécessaire à la
fabrication de la bombe, Israël a besoin
d’un réacteur qu’il obtient de la France.
Il sera construit à Dimona dans le Néguev.
En 1966, l’installation de Dimona commence
à produire des armes nucléaires [5].
Au bout du compte on peut dire
qu’aujourd’hui Israël a ainsi construit
environ 400 armes nucléaires d’une puissance
cumulée de 50 mégatonnes équivalent
à 3850 bombes d’Hiroshima.
Comme vecteurs nucléaires, les
forces armées israéliennes sont
dotées de 300 chasseurs-bombardiers
(F16 et F15) armés
de missiles israélo-américains.
Trois sous-marins
fournis par l’Allemagne sont
aussi dotés de missiles de
croisière nucléaires. Enfin,
il faut ajouter 50 missiles balistiques
Jéricho II sur rampes
mobiles de lancement de longue
portée (1500 à 3000 km).
Malgré les résolutions répétées par lesquelles
l’Assemblée générale des Nations
unies a confirmé « sa condamnation du
refus d’Israël de renoncer à la possession
des armes nucléaires » et a demandé
au Conseil de sécurité de prendre des
« mesures urgentes pour
qu’Israël applique la
résolution 487 du
Conseil lui-même
dans laquelle il
demande que celui-ci mette
ses installations nucléaires sous la juridiction
de l’AIEA » (Résolution 44/121
du 15 décembre 1988), l’arsenal nucléaire
israélien, toujours plus déstabilisant et
dangereux, continue à être « ignoré » par
les gouvernements des « grandes démocraties
occidentales ».
Ainsi, en refusant d’emblée, dès 1968,
de signer l’accord du Traité de non-prolifération
(TNP) au motif qu’on ne peut
se fier au système de contrôle international
mis en place par l’AIEA (Agence
internationale de l’énergie atomique),
Israël manifeste son refus de se voir
contrôler par celle-ci. Ipso facto, il
démontrait son intention de mener à
bien, sans entrave, un projet nucléaire
militaire qui ouvrait la porte à la fois à
la prolifération nucléaire régionale et à
l’emploi d’armes nucléaires. La production
par Israël de missiles de longue
portée devant d’évidence porter des têtes
nucléaires démontre bien sa volonté de
se préparer à l’hypothèse de la guerre
nucléaire.
L’option nucléaire
En fait l’option nucléaire a été au centre
de la stratégie de sécurité d’Israël depuis
plus de cinquante ans.
Depuis presque
autant de temps, les pays arabes, en commençant
par l’Egypte dans les années soixante,
ont tenté de réaliser une sorte d’équilibre
de la terreur nucléaire avec Israël.
N’ayant pu y parvenir, certains pays ont
développé une capacité de dissuasion
face à l’arsenal nucléaire israélien, avec
des armes chimiques. Les enjeux
nucléaires dans le contexte du conflit
israélo-arabe ont été particulièrement
visibles dans le cas de l’Irak.
La première fois que les armées israéliennes
mirent en jeu leur arsenal
nucléaire, constitué alors d’à peine
quelques bombes, fut en juin 1967 pendant
la Guerre des Six jours. Plus précisément
la centrale de Dimona pouvait
être une cible de l’aviation égyptienne.
C’est pour éviter ce risque que le Premier
ministre israélien Lévi Eshkol aurait
décidé la destruction préventive de l’aviation
égyptienne. Au lieu de jouer un rôle
de dissuasion le nucléaire aurait joué
un rôle d’escalade [6].
Les forces israéliennes se préparèrent
de nouveau à utiliser les armes nucléaires,
quand au début de la guerre d’octobre
1973 elles se trouvèrent en difficulté
face à l’attaque syro-égyptienne. La
décision de mise en alerte nucléaire fut
prise secrètement le 8 octobre par la
Première ministre Golda Meir et par le
ministre de la défense Moshe Dayan.
Treize missiles Jéricho-1 armés de têtes
nucléaires furent déployés pour être
éventuellement lancés sur l’Egypte et
la Syrie [7].
En 1991 durant la première guerre du
Golfe, en 2003 durant la seconde, les
forces israéliennes se sont préparées à
utiliser des armes nucléaires contre l’Irak.
Et en dehors des crises il est certain
qu’une bonne partie de ces armes sont
prêtes à être lancées à tout moment...
Monopole nucléaire et doctrine de guerre préventive
Tour en développant quantitativement
et qualitativement leur propre arsenal
nucléaire, les gouvernements israéliens
ont cherché par tous les moyens possibles
à conserver au Moyen-Orient le
monopole de ce type d’armes. Il s’agit
là d’un choix stratégique majeur : Israël
affirme sa détermination à empêcher la
réalisation de tout programme nucléaire
dans la région.
C’est dans ce cadre stratégique que se
situe, en accord discret avec Washington,
l’attaque surprise du 7 juin 1981 par
une escadrille de chasseurs-bombardiers
israéliens du réacteur de Tamouz-1 qui
devait entrer en fonction à Osirak en
Irak. Pour la première fois dans l’histoire,
un Etat accomplit un acte de guerre
contre un autre Etat dans le cadre de la
logique de la guerre nucléaire, et ce selon
la doctrine de la première frappe, préventive,
qui peut détruire par surprise
l’essentiel de l’arsenal nucléaire de
l’adversaire. Un plan analogue est, d’évidence,
déjà prêt pour l’Iran.
L’opération Osirak est devenue le principe
stratégique de la politique israélienne
décidée à maintenir son monopole
nucléaire dans la région. C’est ce qu’on
a appelé la « doctrine Begin ». Cette doctrine
est mise en cause dès le lendemain
d’Osirak : les pays qui développeront
dans la région un programme nucléaire
prendront bien soin de le disperser et
d’enterrer leurs installations.
Avec l’arrivée des missiles balistiques,
la configuration stratégique est totalement
nouvelle. Face à eux, il n’existe pas de
réponse défensive garantie. D’où la
nécessité pour Israël de remettre en question
sa conception de la sécurité issue des
années cinquante. Désormais, l’adversaire
dispose d’une force de dissuasion
qui peut devenir nucléaire, chimique ou
bactériologique. Face à ce risque d’agression
à distance qui nécessiterait une nouvelle
forme de dissuasion plus « stabilisante
», les dirigeants israéliens
maintiennent leur « vieille doctrine »
définie par Ben Gourion et qui était fondée
sur le principe de la « défense offensive
», celle qui consiste à porter la guerre
sur le territoire ennemi afin d’annihiler
sa machine militaire [8]. En même temps
on se dote d’une capacité de deuxième
frappe, en particulier avec des sous-marins.
Une culture de l’agression
Israël, en effet, n’entend pas renoncer à
l’attaque préventive y compris nucléaire
pour garder à tout prix le monopole régional. En fait, la doctrine a été définie
par les Etats-Unis en 2002 qui ont
décidé d’intégrer les armes nucléaires
dans la doctrine de « l’attaque préventive ».
Il s’agit de se préparer à des « interventions
défensives consistant en des
attaques préventives contre des nations
ou des groupes hostiles qui apparaissent
déterminés à utiliser des armes de
destruction de masse contre les Etats-
Unis ». Israël, comme les Etats-Unis,
peut décider de mener « une attaque
préventive sans préavis » même avec
des armes nucléaires.
Ainsi les dirigeants israéliens s’estiment
confortés par la nouvelle doctrine
de George W. Bush dans sa conception
très particulière de la dissuasion. Pour
Israël « ce concept est offensif, la dissuasion
est vécue comme une coercition
anticipée ou par des représailles cinglantes.
C’est l’usage de la force qui,
pour Israël, convainc son entourage de
l’inanité de l’action » [9].
En dernière analyse, la réorganisation
des « forces de défense » en termes de
doctrine et de systèmes d’armes se réalise
de telle manière qu’elle encourage
dans les pays voisins une logique de
course aux armements et, en particulier,
de prolifération d’armes de destruction
massive. [10] L’Etat d’Israël sera
inévitablement perçu comme un ennemi
dangereux et poussera ses adversaires
potentiels à se doter d’une capacité analogue.
Ainsi Israël risque de donner
corps à des menaces comme à une prophétie
qui s’auto-réalise. Tel est le
dilemme posé par l’Iran.
On mesure ainsi le niveau de gravité
de la situation régionale à la veille d’une
possible « attaque préventive » américano-
israélienne contre l’Iran. La conséquence
immédiate en serait une prolifération
nucléaire irréversible,
transformant le Moyen-Orient en région
truffée d’armes nucléaires. Le cataclysme
nucléaire serait à moyen terme
difficilement évitable.
On peut espérer du côté américain un
sursaut de rationalité pour empêcher
l’irréparable. Mais la question définitive
contre la prolifération nucléaire au
Moyen-Orient est à rechercher sur le
plan politique, dans la solution des
conflits en cours à partir de la question
palestinienne, avec la perspective de
constituer une « zone libre d’armes
nucléaires » au Moyen-Orient, perspective
préparée par un renforcement du
régime actuel de non-prolifération, c’està-
dire des instruments de contrôle de
l’AIEA.
A commencer par Israël.
Bernard Ravenel