Francis WURTZ
Six heures pour la
Palestine
Paris 17/05/2008
Chers amis,
Merci aux organisateurs de cette belle manifestation d’attirer l’attention sur la face cachée du 60ème anniversaire de la création de l’Etat d’Israël : le 60ème anniversaire de la Nabka ! Cette période doit être l’occasion d’aider nos concitoyens à prendre du recul, ne serait-ce que sur les 15 dernières années de l’histoire du Proche Orient, et d’éviter ainsi de tomber dans le piège de l’accoutumance à l’inacceptable.
Il y a 15 ans, c’était Oslo ! Les accords alors conclus avaient clairement identifié les questions clés dont la solution du problème palestinien exigeait et exige toujours la solution. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
• les colonies ? loin d’être démantelées, elles ont proliféré ;
• les frontières ? loin d’être devenues les bornes de l’Etat palestinien, elles sont entièrement sous contrôle israélien ;
• les refugiés ? le droit au retour, loin d’être reconnu dans son principe, est la question tabou par excellence ;
• l’eau ? loin d’être équitablement répartie ou gérée en coopération, cette ressource vitale est détournée par l’occupant ;
• Jérusalem ? loin d’être devenue la capitale de l’Etat palestinien, "plusieurs mesures israéliennes combinées (la construction et l’extension des colonies ; le mur ; les démolitions de l’habitat palestinien ; le système des cartes d’identité pour réduire la population palestinienne de Jérusalem ; la rupture du lien avec la Cisjordanie) démontrent clairement qu’Israël entend faire de l’annexion de Jérusalem un fait accompli."
Je précise que cette appréciation sur la politique israélienne à Jérusalem-Est n’est pas celle du communiste Francis Wurtz. Elle est extraite d’un important rapport en 27 points, adressé fin 2004 par tous les diplomates - chefs de postes européens à Jérusalem et Ramallah au Conseil des Ministres de l’Union européenne. Ces diplomates unanimes entendaient sonner l’alarme auprès des gouvernements : laisser se poursuivre cette stratégie cohérente et délibérée de l’occupant revenait à laisser compromettre "la possibilité d’atteindre un accord final acceptable par quelque Palestinien que ce soit". En effet, précisaient nos diplomates avec raison, "la question de Jérusalem-Est est d’une importance centrale pour les Palestiniens, à la fois sur les plans politique, économique, social et religieux"
Voilà pourquoi l’ensemble de nos représentants diplomatiques recommandaient vivement que l’Europe parle clair et prenne des initiatives politiques. Et comment ont réagi les dirigeants européens ? Ils ont refusé de valider ce rapport et ont voulu empêcher sa publication. Seule une fuite a permis d’en avoir connaissance. L’Union sait donc parfaitement où conduit la stratégie israélienne des "faits accomplis" mais elle ne veut pas savoir.
Il y eut parallèlement, la fameuse Feuille de Route du Quartet dont ni le but final - la constitution de l’Etat palestinien - ni l’objectif immédiat - le gel de la colonisation - n’a connu le moindre début de mise en œuvre. Puis, on a eu Annapolis dont Israël, a, une fois de plus, bafoué l’esprit et la lettre. Sans que jamais les dirigeants de l’Union ne s’insurgent. Il est vrai que l’Union, pourtant membre du quartet, avait accepté de se voir retirer toute responsabilité dans le suivi d’Annapolis. Je cite la Déclaration finale du sommet : "les partis conviennent de former une structure (...) dirigée par les Etats-Unis, destinées à suivre l’application de la Feuille de route". "Les Etats-Unis surveilleront et jugeront de l’engagement des deux parties sur la Feuille de route". Exit l’Europe.
Monsieur De Soto, l’ancien représentant des Nations Unies au Proche Orient, l’avait bien noté dans un rapport de fin de mission accablant tant pour les Etats-Unis que pour l’Union européenne : l’une et les autres pratiquent l’"autocensure" face à Israël. Ils ont "précipité l’échec du gouvernement d’unité nationale palestinien en refusant de coopérer". Ils ont laissé s’installer "une prison à ciel ouvert" à Gaza. Ils ont accepté des "faits accomplis" rendant quasi impossible l’édification d’un Etat palestinien. Ainsi parla M. de Soto. À Bruxelles, la consigne fut une fois encore la même : motus et gros dos. "On ne critique pas Israël" s’était entendu dire une présidence tournante du Conseil européen qui s’était aventurée à préparer un projet de Déclaration rappelant la simple vérité sur la politique d’occupation.
Eh bien, ce que les diplomates européens n’obtiennent pas de leurs ministres ; ce que le représentant de l’ONU ne réussit pas à arracher au Conseil, il va falloir que nos concitoyens s’efforcent de l’imposer à nos gouvernements ! Il faut en finir avec l’impunité ! Il faut en finir avec la complicité ! La relation avec Israël doit être évaluée en fonction de l’attitude des ses dirigeants vis à vis des engagements pris à l’égard du processus de paix.
Il ne faut pas laisser l’Union racheter sa lâcheté politique par son aide humanitaire ! Quelle cohérence y-a-t-il à faire, d’un côté de la reconnaissance de l’Etat d’Israël par le Hamas une condition sine qua non de tout dialogue, et de l’autre, de renoncer de fait à obtenir des dirigeants israéliens la reconnaissance d’un Etat palestinien - pourtant réclamée par l’ONU depuis 60 ans ?
A nous d’impulser des initiatives politiques très concrètes, à même de remettre clairement les exigences du droit international comme celles de la simple éthique humaine sur la table.
Par exemple, le 15 avril dernier, nous avons été quelques uns à lancer un appel international à la libération immédiate de Marwan Barghouti, enlevé chez lui et emprisonné en Israël six ans auparavant et qui, dans sa prison, a inspiré le document qui avait servi de base à l’entente nationale palestinienne - finalement torpillée par Israël avec la complicité des USA et de l’UE ! Autre exemple : à la fin du mois de mai, une délégation officielle du Parlement européen se rendra en Palestine. Un certain nombre d’entre nous suggèrent qu’à cette occasion, la délégation demande à pouvoir se réunir symboliquement avec nos ambassadeurs, dans la principale institution palestinienne à Jérusalem-Est, la Maison d’Orient, illégalement fermée par l’occupant.
A quoi servirait-il de disserter sur "l’Union pour la Méditerranée" si l’on n’osait affronter le cœur du problème de la région et l’une des principales sources des tensions internationales ? Ne laissons pas enterrer l’engagement solennel du fameux "Quartet" de créer l’Etat palestinien fin 2008.
Oui, résolument agir pour une solution juste et durable du problème palestinien reste le grand combat émancipateur de notre temps !