Pour accueillir, vendredi, à son retour, M. Erdogan, ce dirigeant issu de la mouvance islamiste, des milliers de Turcs, portant des pancartes saluant le "héros de Davos", se sont rendus en pleine nuit à l’aéroport d’Istanbul. Ils étaient encore plus d’un millier à l’acclamer le lendemain en ville, alors qu’il inaugurait une bouche de métro. A cette foule, le charismatique premier ministre, élevé dans un quartier populaire d’Istanbul, a expliqué que, n’étant "pas issu de la diplomatie, mais de la politique", et donc habitué à se battre, il n’avait pas pu laisser passer l’affront fait, en sa personne, à "toute la nation turque".
En réalité, ce qui s’est passé à Davos "n’était pas vraiment un scandale ni de l’héroïsme", estime Ihsan Dagi, un politologue pourtant "pro-Erdogan". Lors d’une table ronde consacrée à Gaza, au cours de laquelle M. Erdogan a pu parler 12 minutes, le modérateur a laissé M. Peres, dernier orateur inscrit, parler 25 minutes. Et ce, avec une rare véhémence pour finir sur un ton accusateur, doigt pointé contre son voisin turc. Lequel a demandé un droit de réponse, ne l’a pas eu, mais l’a pris quand même pour parler de massacres d’enfants. Avant d’être à nouveau prié de se taire. Furieux, M. Erdogan avait quitté la tribune.
Nul n’a mis en doute la sincérité de la colère de M. Erdogan, au caractère par ailleurs notoirement emporté. A Davos, c’était sa première rencontre avec un Israélien depuis le début de l’offensive contre Gaza, qu’il avait violemment critiquée - devenant, avant même sa "sortie" de Davos, le nouveau héros de "la rue arabe" [1].
Discours anti israélien
Pourtant, il fut aussi le premier médiateur à se rendre dans la région. Et s’il n’est pas allé lui-même en Israël, lié à la Turquie par des accords stratégiques depuis 1996, M. Erdogan y a délégué, durant toute l’offensive, un haut diplomate réputé "pro-israélien". Pendant que son conseiller diplomatique, Ahmet Davoutoglou, faisait la navette entre Damas - où il se rendait déjà régulièrement pour tenter de "modérer" le Hamas - et Le Caire.
Malgré cela, M. Erdogan fut accusé par une grande partie de la presse turque libérale - aujourd’hui plutôt dans l’opposition - de passer pour un défenseur du Hamas. Il aurait ainsi compromis les chances d’Ankara d’être accepté comme médiateur impartial au Proche-Orient. "La crédibilité d’Erdogan et de son parti, l’AKP (Parti de la justice et du développement), a été entamée", a déclaré le journaliste Rusen Sakir, expert de ce parti "postislamiste" au pouvoir. Mais, selon Burak Bekdil, chroniqueur critique de l’AKP, "il faut surtout voir que M. Erdogan est en campagne électorale (pour les élections municipales, fin mars) et que son discours anti-israélien et sa sortie de Davos vont lui amener cinq à dix points de plus".
Moins soucieux peut-être de politique intérieure, le président Abdullah Gül et le ministre des affaires étrangères, Ali Babacan, ont cherché à corriger l’impression produite par les propos du premier ministre et chef de leur parti. M. Gül a voulu rassurer la communauté juive de Turquie, qui s’inquiète d’une montée de l’antisémitisme induite par la campagne anti-israélienne de M. Erdogan. M. Babacan a déclaré que la Turquie "n’approuve pas le Hamas et souhaite qu’il se transforme en parti politique", même si "cette organisation ne peut pas être ignorée dans les efforts de paix". Répondant aux critiques, M. Erdogan a déclaré : "Il faut prendre parti, car ne pas dénoncer l’injustice c’est en être complice. (...) Le parti que prend la Turquie, c’est celui de la paix."
Beaucoup ne seront pas convaincus. A commencer par les lobbies juifs aux Etats-Unis, très irrités, alors qu’Ankara comptait sur eux pour éviter un vote au Congrès cette année sur le génocide arménien. Mais les pragmatiques de tous bords soulignent que la Turquie et Israël ont toujours besoin l’un de l’autre et rappellent que M. Erdogan a repoussé les pressions au sein de son parti en faveur d’une rupture de certains liens avec l’Etat juif. M. Peres, de son côté, assurait, vendredi, que l’incident de Davos était clos, souhaitant que "tout puisse continuer comme avant" entre les deux pays. [2]
Selon el-Watan il s’agit d’un Coup de tête :
Quand c’est trop, c’est trop, devait se dire le Premier ministre turc. Et avec Shimon Peres, architecte de la colonisation israélienne des territoires arabes et palestiniens, le monde devra encore subir ses mensonges et son travail de mystification qu’il n’aurait, à vrai dire, jamais pu mener s’il n’avait pas trouvé d’oreilles complaisantes. Et dire qu’avec ce sinistre palmarès, il a été bombardé prix Nobel de la paix. C’est ce discours que le président israélien est venu reproduire au sommet de Davos, convaincu qu’il ne se trouvera personne pour le contredire. Et c’était le cas au départ puisque l’organisateur a pris sur lui de tuer le débat sur Ghaza tenu en l’absence de la partie palestinienne. Du sens unique, et sans contradicteur, Shimon Peres pouvait dire tout ce qu’il voulait. Absolument tout, ne craignant pas le ridicule, et une partie de l’assistance, le scandale pour l’avoir applaudi, alors même qu’il y a eu des centaines de tués palestiniens, et l’usage d’armes prohibées. Et pour couronner le tout, un modérateur pour afficher son parti pris.
C’est ce que le Premier ministre turc a voulu dénoncer des propos et une organisation plus que maladroite. Un coup de colère qui a fait le tour de la planète, et suscité bien des satisfactions à commencer par celle des Palestiniens. Reste maintenant à analyser la portée de ce geste ou plus simplement de cette réaction, car c’est bien de cela qu’il s’agit et que les Israéliens veulent à tout prix minimiser. Ils déclarent que cela n’aura pas de conséquence sur les relations avec la Turquie dont l’élément fondamental est l’accord militaire conclu en 1996. On peut alors penser que la réaction de Tayyip Erdogan rapproche davantage son pays des pays arabes, mais dans le même temps, sans trop l’éloigner, et même en aucun cas, d’Israël. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, la Turquie peut exploiter ce coup de tête pour crédibiliser davantage sa démarche d’intermédiaire dans tout processus de paix entre pays arabes et Israël.
Et vis-à-vis de ce dernier, les choses deviennent encore plus claires, Ankara faisant valoir qu’alliance ne veut pas dire soumission, et toute vérité est bonne à dire, surtout aux amis afin qu’ils ne persistent pas dans l’erreur. Erdogan a donc soulevé une question de simple bon sens, que l’Israélien Shimon Peres semble, quant à lui, avoir perdu, puisque la guerre contre Ghaza a permis une nouvelle fois de connaître la vraie nature d’Israël. Du terrorisme d’Etat. Ce que plus personne ne conteste. Il était temps. Le Premier ministre turc en a donné le signal. Un signal suffisamment fort pour que les excès et les mensonges israéliens ne soient plus tolérés. Car le message s’adresse aussi aux plus proches alliés d’Israël, placés dans l’embarras par ce dernier. Aller dans le sens de leurs opinions respectives qui manifestent contre Israël, ou alors continuer à soutenir ce dernier.
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Depuis, Israël a protesté ; selon le NouvelObs le 31 janvier : Incident Erdogan : Livni appelle la Turquie à "respecter" Israël
La ministre israélienne des Affaires étrangères appelle le Premier ministre turc à "respecter" Israël après l’accrochage verbal de Recep Tayyip Erdogan avec le président israélien, Shimon Peres à Davos.
La ministre des Affaires étrangères israélienne, Tzipi Livni a appelé dimanche 1er février le Premier ministre turc à "respecter" Israël après l’accrochage verbal de Recep Tayyip Erdogan avec le président israélien Shimon Peres, à Davos en Suisse, sur le conflit de Gaza.
"Nous entretenons avec la Turquie des relations stratégiques importantes, c’est pourquoi j’attends de la Turquie qu’elle fasse preuve de respect vis-à-vis d’Israël malgré les manifestations de rue (en Turquie) et les images très dures diffusées sur Gaza", a affirmé Tzipi Livni lors d’une intervention sur la radio publique.
"Il faut se parler"
"Il est possible de tout réparer, il faut se parler, mettre les choses sur la table, tenir compte de nos intérêts communs, mais aussi de nos divergences", a poursuivi la ministre israélienne.
Elle a également souligné qu’il fallait "comprendre que le Hamas ainsi que l’Iran constituent un problème pour tous les pays de la région".
Tzipi Livni a déploré que la Turquie se soit "positionnée autrement" et qu’elle ait été notamment "le premier pays à accepter de recevoir" une délégation du Hamas peu après la victoire du mouvement islamiste en janvier 2006 face au Fatah du président Mahmoud Abbas.
Principal allié
La Turquie est le principal allié d’Israël dans le monde musulman. Les deux pays ont noué des liens économiques étroits depuis qu’ils ont signé un important accord de coopération militaire en 1996, qui avait d’ailleurs suscité la colère des pays arabes et de l’Iran.
Le Premier ministre turc s’est mis en colère la semaine dernière lors d’un débat public au Forum économique mondial de Davos. Il a quitté la scène en reprochant aux organisateurs de l’empêcher de parler après une longue intervention du président Peres.
Recep Tayyip Erdogan, qui dirige une formation issue de la mouvance islamiste, a fustigé quasi-quotidiennement la récente offensive de 22 jours d’Israël dans la bande de Gaza, qui a fait plus de 1.300 morts côté palestinien. [4]