L’écrivain français Gabriel Charmes, en visite au pays du Cham en 1882, décrivant un nouvel esprit qui s’installait écrivait : « L’aspiration à l’indépendance domine les esprits. J’ai pu observer, pendant ma présence à Beyrouth, les jeunes musulmans s’occuper à construire des hôpitaux et des écoles et à travailler pour le développement de la nation. Le plus important est que le communautarisme et le racisme étaient bannis. On pouvait trouver des Arabes chrétiens travailler dans les associations musulmanes… »
Une nouvelle ère arabe
Quelques années plus tard, la révolution arabe est déclarée contre l’empire Ottoman. Les Arabes s’allient aux Britanniques et aux Français en échange de la promesse de l’édification de l’Etat arabe. Un Etat que le mouvement national arabe a voulu, lors de son premier congrès réuni à Paris en 1913, moderne, démocratique et laïque… à l’image de la République française disait-il !
Ironie de l’histoire, la nation arabe est politiquement née à Paris, capitale de l’une des deux puissances coloniales qui trahiront les promesses données au monde arabe qui sera divisé et colonisé, avec la Palestine sacrifiée au profit de la construction d’un Etat juif. Ce faisant, l’Occident ferme la porte de la modernité au monde arabe. Plus d’un siècle plus tard, la révolution tunisienne du jasmin et l’égyptienne de Midan Al Tahrir inaugurent sans doute une nouvelle ère arabe. Elles viennent d’acter la volonté populaire de se mettre debout et penser le monde par soi-même. Cela faisait trop longtemps que le doute de soi, la peur, la haine, les interdits et la méfiance envers l’autre remplissaient le cœur des arabes privés de démocratie.
Le silence assourdissant des Occidentaux
En quelques jours, l’Arabe se découvre capable de volonté, de résistance ; il se sent utile, il refait société ; il se pense capable de décider du monde dans lequel il aimerait vivre. Il se veut capable de juger ses dirigeants et leur intégrité, de contester leurs choix et leurs alliances, de contester des décisions politiques imposées par un Occident qui n’a pas encore compris qu’il a tout intérêt à ce que les Arabes puissent accéder à la liberté de penser, forger leur propre opinion et défendre leur droit. Un Occident qui devrait se presser de mettre fin à la politique des « deux poids, deux mesures » concernant la question palestinienne et son traitement injuste et humiliant pour tous les Arabes, à l’exception de leurs dirigeants.
Par ailleurs, le silence de certains intellectuels, qui d’ordinaire se font passer pour les infatigables défenseurs des droits de l’homme, est assourdissant. Ils pensent sans doute que les intérêts d’Israël, ami fidèle de la dictature de Moubarak, sont plus importants que les 80 millions d’Egyptiens qui aspirent à la démocratie.
Quel que soit l’avenir de cette révolution, il est sûr que désormais l’Arabe, où qu’il soit, vient de récupérer sa dignité et l’estime de soi. C’est déjà beaucoup.
Les échos de la révolution égyptienne et tunisienne continuent à retentir dans le monde arabe, de la Lybie à l’extrême sud de l’Arabie. Après plus de quarante années de gestation et de fermentation politique et culturelle, les peuples arabes ont pris confiance en eux, ont fait tomber le mur de la peur et se sont « mis debout ».
Vont-ils totalement réussir à se débarrasser des dictatures militaires, des monarchies tribales et des oligarchies taillées sur pièces qui les soumettent depuis plus d’un siècle ? S’il est encore trop tôt pour répondre par l’affirmative, cela ne relève désormais plus de l’impossible ! Les dictateurs s’accrochent et espèrent museler le peuple en organisant quelques massacres au Yémen et à Bahreïn et un grand en Lybie ! Ils fondent cet espoir sur le silence assourdissant d’un certain occident qui a peur d’une grande démocratie arabe.
Cinq cents cinquante Libyens ont été tués en trois jours, dont 250 bombardés par l’aviation. Pourquoi aucune réaction digne de ce nom n’est parvenue aux oreilles du Dictateur ? Parce que la Lybie a des accords avec l’Europe pour lutter contre l’immigration clandestine africaine. Parce que le régime libyen a monnayé sa « respectabilité » en acceptant de ne plus financer les organisations soupçonnées de terrorisme. Cela rappelle le silence devant le massacre bien plus dévastateur de plus de 2000 palestiniens bombardés à Gaza par la « démocratie » d’Israël, il y a deux ans.
Par ailleurs, les Etats-Unis d’Obama, après avoir rendu hommage à la démocratie naissante en Egypte et en Tunisie, posent leur veto à la résolution présentée par les Palestiniens à l’ONU condamnant le développement des colonies.
Autrement dit, en pleine révolution arabe, les Palestiniens n’ont pas droit à la démocratie ! Le symbole est énorme, Obama est petit.
Les conditions de la réussite
Il ne suffira pas de se débarrasser des dictateurs et de leurs régimes pour que la révolution arabe soit accomplie. Il faudra réussir la refondation de l’histoire arabe à partir des espoirs portés par la jeunesse initiatrice de cette révolution. Il faudra réussir la construction d’une démocratie véritable qui leur permettra de se débarrasser de toutes les anomalies qui empoisonnent les sociétés arabes depuis trop longtemps. Ce qui revient à mener la bataille culturelle, celle des valeurs et de l’acceptation de l’autre.
Cette réussite est la condition sine qua non pour que les sociétés arabes puissent enfin se retrouver autour d’un projet politique, social et culturel commun, qui recueille l’adhésion de tous les « Arabes, hommes et femmes » indépendamment des confessions, des religions, des tribus et des régions. Ce projet devra convaincre que seuls les concepts politiques porteurs de valeurs telles que citoyenneté et laïcité peuvent garantir une réelle démocratie et une égalité de tous en droits. Des valeurs sans lesquelles la démocratie n’est pas possible.
La révolution et la Palestine
Il incombera aussi à la révolution arabe de régler la question palestinienne !
Cette révolution sera en effet boiteuse tant que la question palestinienne, trop longtemps ignorée des gouvernements arabes actuels, n’aura pas trouvé une solution juste. Nous savons que ceci ne sera pas facile. Parlons-en prochainement.