La riposte de la communauté internationale a été immédiate et ferme ; la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU du 2 mars a demandé l’arrêt des combats à une écrasante majorité : 141 voix pour, 5 contre, 35 abstentions. Les 27 pays de l’UE ont été unanimes à condamner l’agression russe, l’UE et les USA ont rapidement fourni des armes à l’Ukraine. Ainsi, la communauté internationale soutient le droit et demande son application. Excellente initiative ! Mais est-ce bien le cas partout ?
Malheureusement, pas en Palestine ! La résolution 181 de l’ONU du 29-11-1947 prévoyait la création de deux États en Palestine mandataire. Qu’attend-elle pour y faire appliquer ses propres résolutions tout à fait conformes au droit international ?
Il y a entre Ukraine et Palestine des similitudes en matière de droit international, mais aussi beaucoup d’hypocrisie et un double langage. Les médias ne parlent de la Palestine que lors d’épisodes d’extrêmes violences, de guerre. Mais il ne se passe pas une journée sans que les forces d’occupation israéliennes démolissent des maisons, des écoles, arrêtent, torturent, blessent ou tuent des Palestiniens. Et Israël continue à construire des colonies illégales sur les terres palestiniennes.
Selon les USA, le Royaume-Uni, l’UE et même Israël (qui s’est cependant abstenu lors du vote de la résolution de l’ONU du 2 mars), l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine sont intouchables.
Mais pourquoi n’appliquent-ils pas le même principe à la Palestine ?
Le peuple de cette terre occupée n’a-t-il pas droit à son intégrité territoriale et à sa souveraineté, sans devoir subir la présence de 250 colonies et les incursions permanentes de l’armée israélienne ? Les Palestiniens sont en droit de se demander pourquoi les dirigeants occidentaux ont imposé de fortes sanctions à la Russie en 5 jours et les ont multipliées par la suite, mais ne prennent pas de mesures contre le colonialisme israélien en 55 ans d’occupation.
Theresa May, ex-Premier ministre britannique, a déclaré qu’il est important de tenir tête à la Russie pour « défendre la démocratie » ; ce principe devrait être appliqué partout, y compris en Palestine occupée. Il est hypocrite d’agir autrement.
La géométrie variable de ce rappel au droit international est inacceptable, pire, insoutenable.
Équilibrisme et géopolitique
La position d’Israël face à l’agression de l’Ukraine n’est pas claire : l’État hébreu ne veut évidemment pas se fâcher avec son protecteur étasunien, mais il se refuse à critiquer trop sévèrement la Russie dont la présence en Syrie est pour lui un atout dans sa lutte permanente avec l’Iran et le Hezbollah, et si les déclarations antisémites de Lavrov sont peu appréciées par le gouvernement de Bennett, elles n’ont pas été considérées pour autant comme un casus belli.
La disparition de l’URSS a permis à Moscou de rétablir des liens diplomatiques complets avec Israël dès 1991. Depuis les relations militaires (drones en particulier) et économiques se sont largement développées. L’immigration, à partir de 1989, de plus d’un million de ressortissants de l’ex-URSS a favorisé les liens entre les deux États. La méfiance commune envers les printemps arabes a contribué à rapprocher Moscou et Tel Aviv.
En août 2013, la reculade des Occidentaux (et en particulier d’Obama) face à l’attaque chimique d’un quartier de Damas par al-Assad a fait comprendre à la Russie qu’elle a les mains libres en Syrie ; Israël approuve, en échange de la possibilité d’attaquer les intérêts iraniens, ce qu’Israël va faire largement, violant délibérément l’espace aérien syrien. L’agression du Kremlin en Ukraine n’a évidemment rien changé de ces amicales pratiques : dès le 24 février, Lapid, a qualifié l’attaque russe de « grave violation de l’ordre international », mais le 26, l’ambassade de Russie en Israël a déclaré que « la coordination militaire avec Israël en Syrie se poursuivra ». Les intérêts bien compris des deux partenaires exigent manifestement mesure et pondération…
Un autre point de friction intervient lorsque Lavrov, le 2 mai, qui évoquait le Président ukrainien d’origine juive Zélensky, a affirmé que « Hitler avait aussi du sang juif ». Une telle contrevérité, dont la logique allait dans le sens de la « dénazification » de l’Ukraine chère à Poutine, a évidemment fait réagir dans le monde entier.
Le tollé a été tel que, le 5 mai, le maître du Kremlin a dû présenter ses excuses au Premier ministre israélien afin de préserver le pacte sur la Syrie. Le partenariat pragmatique entre les deux pays appartient-il désormais au passé ? Il est trop tôt pour le dire, mais la guerre déclenchée par Poutine oblige Israël à clarifier ses priorités.
Jacques Fontaine
>> Consulter et télécharger l’ensemble du n°81 de la Revue PalSol