Après plus de 30 ans en tant que correspondant en Israël et dans les Territoires palestiniens pour France Télévisions, le journaliste Charles Enderlin, 70 ans, prendra sa retraite dans deux semaines. L’occasion pour lui de partager au micro de Robin Cornet ses impressions concernant le passé, le présent et le futur d’un conflit qui n’en finit pas de miner le fragile équilibre du Proche-Orient.
Vers une nouvelle escalade de la violence ?
Dans un contexte déjà explosif, et alors même que les États-Unis semblent avoir renoncé à instaurer un nouveau processus de paix, l’incendie criminel de vendredi en Cisjordanie illustre un peu plus encore la montée de l’extrémisme de certains colons israéliens. Des radicaux soupçonnés d’avoir mis le feu à une maison de palestiniens dans le but de relancer l’escalade de violence.
Pour Charles Enderlin, après cet épisode dramatique, un nouvel embrasement de la situation n’est pas impossible. Il souligne cependant les efforts communs des deux camps afin d’éviter une nouvelle flambée de violence. "Ici tout est possible, mais, à l’heure actuelle, la police palestinienne de Mahmoud Abbas, l’armée et les services de sécurités israéliens coopèrent sur le terrain. Mahmoud Abbas, depuis pratiquement le début du processus d’Oslo s’est opposé à toute forme de lutte armée. L’alerte est maintenue en Cisjordanie."
L’impunité des colons
Concernant les accusations lancées par les autorités palestiniennes vis-à-vis de l’impunité accordée aux colons depuis des décennies par les gouvernements israéliens successifs, Charles Enderlin confirme.
"Je pense que ce n’est pas une accusation mais une constatation. Et puis vous savez, lorsqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme palestinien, les services de sécurité israéliens disposent de toute sorte d’outils, parfois pas très démocratiques. Si cela avait été un attentat palestinien, il y aurait eu une vague d’arrestations, de détentions administratives, et dans les salles d’interrogatoires, quelqu’un aurait fini par parler. Là, il n’y a pas de vagues d’arrestations dans les colonies israéliennes, et il a fallu que le gouvernement autorise l’arrestation administrative sans procès pour des colons juifs afin que les services de sécurité puissent tenter de trouver les coupables de l’incendie qui a coûté la vie à cet enfant palestinien".
Quant aux raisons de cet attentat perpétré par des radicaux juifs, le correspondant de France Télévisions estime qu’il était parfaitement prévisible. "La semaine dernière, des colons ont été expulsés de deux immeubles construits illégalement. Or, chaque fois que les autorités palestiniennes agissent de la sorte, de jeunes colons s’attaquent à des cibles palestiniennes. Leur objectif est de pousser la situation à l’explosion. Pour eux, c’est la terre d’Israël et elle appartient au peuple juif."
Une vision profondément religieuse, celle des colons, que Charles Enderlin oppose à celle originelle de Theodor Herzl et de David Ben Gourion, qualifiée de libérale, comme il l’a d’ailleurs fait dans son ouvrage "Au nom du Temple".
"Vous savez, même le président de l’État d’Israël, pourtant Likoud et nationaliste, pense qu’il faut donner le droit de vote au Parlement, à la Knesset, aux Palestiniens. Alors que les sionistes ultra-religieux pensent que les Palestiniens n’ont pas de droits en Israël."
Il ne faut jamais dire jamais au Proche-Orient
La possibilité d’un État pour les Palestiniens ne semble pas pour autant être une utopie. "Après quelques décennies, je sais qu’il ne faut jamais dire jamais au Proche-Orient. Maintenant je pense que la probabilité de création d’un État palestinien est très faible. Quatre cent mille colons juifs en Cisjordanie, une vision dans la population israélienne où il n’est pas question de renoncer à Jérusalem-Est qui est, pour le judaïsme, le mont du temple et où se trouve, pour le monde musulman, la mosquée d’Al-Aqsa. Entre nous, je pense que c’est un échec monumental pour la communauté internationale qui n’est pas parvenue à faire avancer le dialogue entre les deux parties."
Échec qu’il explique, notamment par la nouvelle priorité régionale constituée par la lutte contre l’organisation terroriste État islamique, pas ou peu présente en Israël. "En Cisjordanie, le mouvement État Islamique n’est pas très important. A Gaza, la situation est un peu différente, l’EI semble plus présent. Le Hamas lutte d’ailleurs contre l’EI. C’est une des raisons pour laquelle les autorités israéliennes ont fait savoir qu’ils ne s’opposaient absolument pas à un maintien du pouvoir du Hamas à Gaza."
Correspondant, et après ?
Sur le rôle du correspondant et sur son futur Charles Enderlin se montre réaliste. "Dès le moment, qu’en tant que journaliste vous utilisez le langage de la communauté internationale avec des termes comme ’territoire occupés ou colonies illégales’ vous êtes considéré comme un gauchiste. De toute manière un correspondant est ’l’adversaire’ pour les Israéliens. Et quitter la correspondance d’une région comme celle-ci me permet sans doute d’observer la situation avec un certain recul et une certaine sérénité."