Photo : Une ambulance à Sderot après l’assaut des militants palestiniens de Gaza, le 7 octobre 2023 - Crédits : Oren Ziv (Active Stills Collective)
C’est une journée terrible. Après nous être réveillés au son des sirènes d’alerte sous un déluge de centaines de roquettes tirées sur les villes israéliennes, nous avons été informés de l’assaut sans précédent lancé par des militants palestiniens depuis Gaza sur les villes israéliennes limitrophes de la bande de Gaza.
Les nouvelles affluent, faisant état d’au moins 40 Israéliens tués et de centaines de blessés, ainsi que de personnes qui auraient été kidnappées et emmenées dans la bande de Gaza. Pendant ce temps, l’armée israélienne a déjà commencé sa propre offensive sur le territoire sous blocus, avec des troupes mobilisées le long de la clôture et des frappes aériennes qui ont tué et blessé de nombreux Palestiniens jusqu’à présent. L’effroi absolu des personnes qui voient des militants armés dans leurs rues et leurs maisons, ou qui aperçoivent des avions de chasse et des chars d’assaut, est inimaginable. Les attaques contre les civils sont des crimes de guerre, et je suis de tout cœur avec les victimes et leurs familles.
Contrairement à ce qu’affirment de nombreux Israéliens, et bien que l’armée ait été prise complètement au dépourvu par cette invasion, il ne s’agit pas d’une attaque « unilatérale » ou « non provoquée ». L’effroi que ressentent actuellement les Israéliens, moi inclus, n’est qu’une infime partie de ce que ressentent quotidiennement les Palestiniens sous le régime militaire qui sévit depuis des décennies en Cisjordanie, ainsi que sous le siège et les assauts répétés contre Gaza. Les réponses que nous entendons aujourd’hui de la part de nombreux Israéliens - qui appellent à « raser Gaza », qui disent que « ce sont des sauvages, pas des gens avec qui on peut négocier », qu’« ils assassinent des familles entières », « il n’y a pas de place pour parler avec ces gens » - sont exactement ce que j’ai entendu d’innombrables fois les Palestiniens occupés dire à propos des Israéliens.
L’attentat de ce matin s’inscrit également dans un contexte plus récent. L’un d’entre eux est l’horizon imminent d’un accord de normalisation entre l’Arabie saoudite et Israël. Depuis des années, le Premier ministre Benjamin Netanyahu affirme que la paix peut être obtenue sans parler aux Palestiniens ni faire de concessions. Les accords d’Abraham ont privé les Palestiniens de l’un de leurs derniers atouts de négociation et de leurs dernières bases de soutien : la solidarité des gouvernements arabes, même si cette solidarité est depuis longtemps sujette à caution. La forte probabilité de perdre le plus important de ces États arabes pourrait bien avoir contribué à pousser le Hamas au pied du mur.
Pendant ce temps, les commentateurs avertissent depuis des semaines que les récentes escalades en Cisjordanie occupée mènent à des voies dangereuses. Au cours de l’année écoulée, plus de Palestiniens et d’Israéliens ont été tués qu’au cours de toute autre année depuis la seconde Intifada, au début des années 2000. L’armée israélienne fait régulièrement des incursions dans les villes palestiniennes et les camps de réfugiés. Le gouvernement d’extrême droite laisse aux colons toute latitude pour installer de nouveaux avant-postes illégaux et lancer des pogroms dans les villes et villages palestiniens, les soldats accompagnant les colons et tuant ou mutilant les Palestiniens qui tentent de défendre leurs maisons. Pendant les grandes vacances, des extrémistes juifs remettent en question le « statu quo » autour du mont du Temple et de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, avec l’appui de politiciens qui partagent leur idéologie.
À Gaza, pendant ce temps, le siège en cours détruit continuellement la vie de plus de deux millions de Palestiniens, dont beaucoup vivent dans une extrême pauvreté, avec peu d’accès à l’eau potable et environ quatre heures d’électricité par jour. Ce siège n’a pas de fin officielle ; même un rapport du contrôleur de l’État israélien a constaté que le gouvernement n’a jamais discuté de solutions à long terme pour mettre fin au blocus, ni envisagé sérieusement d’autres solutions que les cycles récurrents de guerre et de mort. C’est littéralement la seule option que ce gouvernement et ses prédécesseurs ont sur la table.
Les seules réponses que les gouvernements israéliens consécutifs ont apportées au problème des attaques palestiniennes depuis Gaza étaient des pansements : si elles viennent du sol, nous construirons un mur ; si elles passent par des tunnels, nous construirons une barrière souterraine ; si elles tirent des roquettes, nous installerons des intercepteurs ; si elles tuent certains des nôtres, nous en tuerons beaucoup plus. Et ainsi de suite.
Tout ceci n’a pas pour but de justifier le meurtre de civils - c’est absolument inacceptable. Il s’agit plutôt de nous rappeler qu’il y a une raison à tout ce qui se passe aujourd’hui et que, comme lors de tous les cycles précédents, il n’y a pas de solution militaire au problème d’Israël à Gaza, ni à la résistance qui émerge naturellement en réponse à l’apartheid violent.
Ces derniers mois, des centaines de milliers d’Israéliens ont défilé pour "la démocratie et l’égalité" dans tout le pays, et nombre d’entre eux ont même déclaré qu’ils refuseraient de faire leur service militaire en raison des tendances autoritaires de ce gouvernement. Ce que ces manifestants et ces soldats de réserve doivent comprendre - surtout aujourd’hui, alors que nombre d’entre eux ont annoncé qu’ils cesseraient leurs manifestations et participeraient à la guerre contre Gaza - c’est que les Palestiniens luttent pour ces mêmes revendications et plus encore depuis des décennies, face à un Israël qui, pour eux, est déjà, et a toujours été, complètement autoritaire.
Traduit par : AFPS