Photo : Ruines de Sébastia au nord ouest de Naplouse, en 1925, Palestine - Source : Wikipédia
Le 17 juillet, le gouvernement israélien a approuvé un plan de 120 millions de shekels pour « sauver, préserver, développer et prévenir le vol d’antiquités sur les sites du patrimoine en Judée, en Samarie et dans la vallée du Jourdain ». Ce plan fait suite à l’annonce faite en mai que le gouvernement investirait 32 millions de shekels dans le développement du site historique de Sebastia, au nord de la Cisjordanie. Ces plans répondent à la promesse faite par la coalition au parti Otzma Yehudit - dirigé par le ministre de la sécurité nationale Itamar Ben Gvir - d’allouer 150 millions de shekels à la « sauvegarde » du patrimoine juif en Cisjordanie.
En outre, lors de la Journée de Jérusalem en mai, le gouvernement a annoncé une allocation de près de 200 millions de shekels pour les tunnels du Mur occidental et le développement des sites archéologiques contrôlés par les colons à Jérusalem Est (tels que le parc archéologique de la Cité de David), ce qui porte le total des investissements connus pour les années à venir dans les sites du patrimoine juif au-delà de la ligne verte à un montant record de 340 millions de shekels.
Ces projets s’inscrivent dans le cadre d’une campagne de cinq ans orchestrée par Shomrim al Hanetzach (Gardiens de l’éternité), une branche du groupe de colons d’extrême droite Regavim, qui accuse les Palestiniens de détruire intentionnellement les sites antiques. Au cours des dernières années, la campagne a réussi à réunir des millions de shekels de financement gouvernemental pour la surveillance et le blocage du développement palestinien sur les sites anciens ou à proximité de ceux-ci.
Si le vol et la destruction d’antiquités constituent un problème en Cisjordanie, comme dans l’ensemble de la région, le fait de les présenter comme une justification du soi-disant plan d’urgence national annoncé le mois dernier est manifestement une ruse. Moins de 10 % des 120 millions de shekels budgétés pour le plan seront utilisés pour lutter contre le vol et la destruction d’antiquités, tandis que 80 millions de shekels sont affectés au développement du tourisme et à l’infrastructure, y compris les programmes éducatifs visant à sensibiliser le public (juif) à l’importance des sites, les routes et les transports, la signalisation et un site qui servira de « maison du patrimoine » ou de musée pour les antiquités de la Cisjordanie. Le plan comprend également une initiative visant à développer entre quatre et sept sites qui serviront de « points d’ancrage » ou de centres d’intérêt pour le tourisme juif dans la région.
L’archéologie a joué un rôle particulier dans l’entreprise de construction de la nation sioniste depuis les débuts d’Israël. Des figures emblématiques comme Yigael Yadin - chef d’état-major de Tsahal pendant les années de formation de l’État, puis vice-premier ministre - avaient une passion pour l’archéologie, motivée par le désir d’ancrer le sionisme contemporain dans un passé biblique. Dès les années 1970, l’historien Amos Elon a écrit que « les archéologues israéliens ne creusent pas simplement pour trouver des connaissances et des objets, mais pour réaffirmer leurs racines ».
Cependant, au cours des 25 dernières années, la passion israélienne pour l’archéologie biblique a été transformée par les colons en une archéologie ancrée dans le littéralisme biblique, et utilisée comme justification centrale de l’entreprise de colonisation à Jérusalem Est et en Cisjordanie occupées. Dans la volonté de prouver la suprématie juive du Jourdain à la mer Méditerranée, les sites patrimoniaux ont été militarisés.
Au cours de ce processus, les antiquités sont conservées et exposées de manière sélective afin de créer une histoire d’appartenance judéo centrée, tandis que les Palestiniens sont complètement effacés du récit historique. En conséquence, les Juifs sont présentés comme le peuple autochtone de la région, tandis que les Palestiniens sont considérés comme une masse itinérante déterminée à détruire les preuves d’un passé juif et à voler la terre à ses propriétaires légitimes. C’est ce récit qui est utilisé pour effacer les liens des Palestiniens avec les sites du patrimoine, délégitimer leurs revendications sur la terre et les déplacer de leurs maisons et de leurs territoires agricoles.
Un avant-goût de ce que nous réserve l’avenir
Il existe plus de 6 000 sites archéologiques connus en Cisjordanie, ce qui témoigne des multiples civilisations et cultures qui se sont épanouies sur ce territoire tout au long de l’histoire de l’humanité. Cette multiplicité de sites est une bénédiction pour l’archéologie mais une malédiction pour les Palestiniens, car elle a donné aux colons et au gouvernement l’occasion de développer des sites dans toute la Cisjordanie à des endroits stratégiques, qui fonctionneront à la fois comme des forteresses physiques dans l’espace palestinien et comme des édifices thématiques consacrés à la suprématie culturelle et historique juive.
L’image des Palestiniens comme un peuple sans racines qui ne se soucie pas du patrimoine est une autre construction des colons, et Sébastia en est un exemple instructif. Le Tell de Sébastia, un site archéologique situé au nord-ouest de la ville de Naplouse, est assimilé à l’ancienne ville de Samarie (Shomron), capitale du royaume d’Israël en 9-8 avant notre ère. On y trouve également des vestiges uniques des périodes hellénistique, romaine, byzantine, musulmane et croisée. Certains des sites de ces dernières périodes sont situés dans le village palestinien de Sébastia, qui est adjacent au tell (monticule archéologique).
Le site lui-même se trouve en zone C, sous contrôle israélien total, tandis que le village de Sébastia est situé en zone B, sous contrôle conjoint israélien et palestinien. Depuis des siècles, les habitants de Sébastia préservent et chérissent les ruines du tell et celles du village, ce qui constitue un exemple type de la manière dont une approche de conservation peut être intégrée à la vie d’un village. Le site est une source importante de revenus pour les villageois, qui gèrent des restaurants et des boutiques de souvenirs, et travaillent comme guides touristiques sur le site. Les initiatives de conservation entreprises par la municipalité de Sébastia et supervisées par l’UNESCO ont abouti à un plan professionnel de conservation et de gestion du site, qui a également été placé sur la liste indicative des sites du patrimoine mondial en tant que site palestinien.
Mais la droite israélienne ne peut accepter que les Palestiniens aient eux aussi des revendications historiques sur ces terres, ni leur reconnaître le droit de gérer leurs sites patrimoniaux. Ces dernières années, les colons apparaissent de plus en plus nombreux sur le site du Tell de Sébastia, escortés par l’armée. A plusieurs reprises, celle-ci a ordonné le retrait du drapeau palestinien placé à l’entrée du site, bien que celui-ci se trouve en zone B. Le plan du gouvernement israélien pour Sebastia qu’il a dévoilé en mai révèle essentiellement son intention de retirer le site aux villageois qui y vivent et de les priver de leur patrimoine, de leur terre ainsi que de leurs moyens de subsistance.
Le cas de Sébastia est un avant-goût de ce qui nous attend. Avec un gouvernement dans lequel Otzma Yehudit et le Parti sioniste religieux de Bezalel Smotrich détiennent des ministères clés dans le domaine du patrimoine - Amichai Eliyahu est le ministre du patrimoine et Smotrich lui-même supervise l’Administration civile, qui comprend un volet archéologie - il n’y a rien ni personne pour arrêter un processus global de prise de contrôle de vastes étendues de la Cisjordanie au nom du patrimoine.
Eliyahu a d’ailleurs formulé cette même intention lorsqu’il a pris ses fonctions au ministère, en écrivant : « Le patrimoine des deux côtés de la ligne verte bénéficiera d’une protection totale... le summum sera la protection des biens patrimoniaux de la terre de la Bible et du peuple éternel ».
Traduit par : AFPS