Un demi-million d’enfants palestiniens ont bien failli ne pas retrouver les bancs de l’école au mois de septembre. Faute de fonds suffisants pour payer ses enseignants, l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui gère les 700 établissements disséminés dans les camps de réfugiés de la bande de Gaza, de Cisjordanie, du Liban, de Jordanie et de Syrie, semblait résigné en début de semaine à reporter la rentrée d’au moins un mois. Avec tous les risques de troubles qu’une telle décision, inédite dans la longue histoire de cette organisation fondée en 1949, aurait pu entraîner, dans une région déjà passablement déstabilisée.
Mais des contributions financières de dernière minute, en provenance principalement des monarchies du golfe Arabo-Persique, ont permis de conjurer ce scénario de tous les dangers. Jeudi 20 août, dans une déclaration surprise, le commissaire général de l’UNRWA, le Suisse Pierre Krähenbühl, a annoncé que les classes rouvriront comme à l’accoutumée, entre la fin août et mi-septembre, selon les pays. Un soulagement pour les réfugiés palestiniens, qui n’ont souvent que l’éducation pour tenter d’améliorer leur sort. Dans la bande de Gaza, où ils sont 1,2 million, soit un quart de leur nombre total, une cessation de paiement de l’UNRWA, l’un des principaux employeurs de ce territoire où le chômage dépasse 40 %, aurait eu des conséquences dramatiques.
La crise s’est dénouée en quarante-huit heures. Entre lundi 17 et mardi 18 août, une donation de 45 millions de dollars (40 millions d’euros), financée à parts égales par les Emirats arabes unis, le Koweït et les Etats-Unis, est arrivée dans les coffres de l’UNRWA. Ce versement, ainsi que les 19 millions de dollars acquittés une semaine plus tôt par l’Arabie saoudite et les chèques, plus modestes, signés par le Royaume Uni, la Suisse et la Norvège, ont épongé les quatre cinquièmes du déficit de l’agence, chiffré à 101 millions de dollars. De quoi lui permettre de redémarrer ses services éducatifs, dans l’espoir que d’ici la fin de l’année, le reste du découvert sera comblé.
« On nous incite à émigrer »
La semaine dernière, dans le camp de Chatila, à Beyrouth, alors que l’annonce du report de la rentrée scolaire semblait imminente, les réfugiés dénonçaient à l’unanimité un « complot ». « A Chatila, il n’y a pas d’eau, pas d’électricité, et quasiment pas de travail car la législation libanaise nous barre l’accès à la plupart des professions, expliquait Ziad Himmo, le chef du comité populaire, qui gère ce bidonville lugubre et surpeuplé, en partenariat avec l’UNRWA. Priver nos enfants d’éducation, c’est nous inciter à monter dans un bateau pour la Turquie, à émigrer en Europe et à oublier le droit au retour. »
Une référence à la résolution 194 des Nations Unies, le Graal des réfugiés palestiniens, qui leur reconnaît le droit de rentrer sur les terres dont ils ont été chassés en 1948, par les troupes de l’Etat naissant d’Israël. Près de soixante-dix ans après, ce traumatisme national, désigné sous le terme de « Nakba » (« catastrophe » en arabe), continue de modeler les perceptions des réfugiés et de nourrir en eux une forme de suspicion viscérale. « L’UNRWA est le principal témoin de la Nakba, dit Abou Wissam, qui tient une petite boutique, où il rafistole des appareils électroménagers hors d’âge. C’est dans l’intérêt des sionistes de s’en débarrasser ».
Dans les bureaux de l’agence à Beyrouth, plutôt que de conspiration, on parle d’épuisement des pays donateurs, dans un contexte d’explosion des besoins humanitaires et d’exacerbation du conflit israélo-palestinien. La concurrence de la crise syrienne, la reconstruction des camps de Gaza, partiellement détruits durant les offensives israéliennes passées et la dépréciation de l’euro ont tous creusé le « trou » de l’UNRWA. « Nous sommes en déficit structurel, concède Matthias Schmale, le directeur de la branche libanaise. Notre budget de fonctionnement annuel est de 680 millions de dollars. Mais le montant des contributions que nous réussissons à garantir d’une année à l’autre avoisine 350 millions ».
Acrobaties comptables
Ces dernières années, l’organisation onusienne s’en était sortie par des acrobaties comptables, en puisant dans ses réserves, en sollicitant des avances de ses bailleurs les plus fidèles et en repoussant des chantiers de réhabilitation. Mais les réserves se sont épuisées, les bailleurs se sont fatigués et les travaux de maintenance ont dû être lancés. D’où l’intensité de la crise de cette année, que l’enveloppe des pays du Golfe n’a fait qu’amortir momentanément.
Au 1er janvier 2016, l’UNRWA fera face à un nouveau déficit, qui reposera la question de sa viabilité. Le suspense sur la rentrée scolaire, habilement entretenu par sa direction, ne fonctionnera pas à chaque fois. A moins que de nouveau Etats n’intègrent le cercle de ses donateurs réguliers, l’agence devra revoir ses prestations à la baisse. Faute d’argent, elle a déjà cessé de verser aux Palestiniens de Syrie venus se réfugier au Liban le pécule de 100 dollars qu’ils utilisaient chaque mois pour se loger. « Nous savons que dans le camp de Eïn Al-Helw [à Saïda, dans le sud du Liban], des éléments extrémistes, proches de l’Etat islamique, tentent de recruter des Palestiniens, prévient Matthias Schmale. Investir dans l’UNRWA, c’est investir dans la sécurité et la stabilité de la région. »