Le cas de Zakariya Zubeïdi est symptomatique : il témoigne du sentiment croissant d’insécurité politique éprouvé par l’Autorité palestinienne, ce qui l’incite à accentuer sa répression en Cisjordanie. Arrêté le 13 mai à Jénine, où il réside, Zakariya Zubeïdi a été libéré sous caution lundi 1er octobre, après avoir passé près de cinq mois dans la prison de Jéricho, sans procès (celui-ci devrait avoir lieu le 7 octobre) et sans qu’aucune charge ne soit officiellement portée contre lui. Sa détention a été marquée par deux grèves de la faim, et sa libération a été ajournée à plusieurs reprises, au motif de "problèmes techniques", une raison également invoquée pour refuser à son avocat l’accès au dossier.
Son arrestation avait eu lieu une semaine après la mort du gouverneur de Jénine, Kadoura Mousa, qui a succombé à une crise cardiaque quelques heures après que des hommes armés ont ouvert le feu sur sa maison. Grâce à son action et à ses bonnes relations avec les services de sécurité israéliens, l’Autorité palestinienne avait réussi à reprendre le contrôle à Jénine, une ville qui a longtemps été un foyer de l’extrémisme palestinien, et où sévissent encore de puissants clans.
Après la mort de l’ancien gouverneur, les services de sécurité palestiniens avaient procédé à quelque 150 arrestations à Jénine et Naplouse, dont de nombreux anciens membres des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, milice armée issue du Fatah, le parti dominant de l’Autorité palestinienne. Parmi eux, Zakariya Zubeïdi, ancien commandant des Brigades à Jénine pendant la seconde Intifada, qui a longtemps été le combattant palestinien le plus recherché par Israël.
Homme fort de Jénine
L’Etat juif l’avait amnistié en 2007, puis annulé cette mesure en décembre 2011. Cet homme de 36 ans a une personnalité complexe : en 2006, il avait participé, avec Jonathan Stanczak, à la création du Théâtre de la liberté, dont le directeur général était Juliano Mer-Khamis. L’assassinat de ce dernier, le 4 avril 2011, n’a jamais été élucidé. Zakariya Zubeïdi est l’une des chevilles ouvrières du Théâtre de la liberté, mais son passé nourrit sa réputation d’être encore l’un des hommes forts de Jénine.
Les services palestiniens le soupçonnent d’être impliqué dans la tentative d’assassinat de Kadoura Mousa. Ils en veulent pour preuve qu’une arme ayant servi dans l’attaque de la maison de l’ancien gouverneur a été trouvée au domicile de Zakariya Zubeïdi. Jonathan Stanczak, actuel directeur général du Théâtre, assure que l’intéressé avait simplement accepté de "garder une arme qu’on lui avait confiée", sans en connaître l’utilisation passée. Il avance une explication : "dans la lutte de pouvoirs au sein du Fatah, Zakariya est vu comme une menace, un obstacle à Jénine". Sa détention sans procès prouve que "nous ne pouvons avoir confiance en personne au sein du système judiciaire palestinien", nous assure-t-il.
Interrogé, mardi 2 octobre, par Le Monde, Zakariya Zubeïdi a affirmé que l’accusation n’a "aucune preuve" contre lui. S’agissant de l’arme trouvée à son domicile, il explique qu’elle lui avait été confiée par "un officier de l’Autorité palestinienne". "La minute même où j’ai appris qu’il s’agissait d’une arme "sale", ajoute-t-il, je l’ai remise aux autorités. Kadoura Mousa était un très bon ami ; j’ai été l’un de ceux qui ont facilité son accession au pouvoir." L’ancien chef des Brigades d’Al-Aqsa est également convaincu que son arrestation est liée à "une lutte de pouvoirs", et aussi, avance-t-il, "parce que je me suis engagé dans une Intifada culturelle et que j’ai un puissant réseau international."
"Abou Mazen, dégage !"
Le cas de Zakariya Zubeïdi souligne la nervosité des services de sécurité palestiniens à un moment où l’Autorité palestinienne doit faire face à une contestation sociale et politique sans précédent. Des milliers de personnes ont manifesté dans plusieurs villes palestiniennes depuis début septembre pour protester contre la hausse du coût de la vie, et conspuer le premier ministre palestinien, Salam Fayyad. Plus d’une centaine de militants du Hamas, ainsi que des membres de certaines factions du Fatah, ont été arrêtés, l’Autorité palestinienne accusant le Mouvement de la résistance islamique de souffler sur les braises de la contestation.
Or celle-ci n’épargne plus le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas : mardi soir, à l’appel du mouvement Palestiniens pour la dignité, créé sur Facebook, quelque 200 personnes se sont rassemblées au centre de Ramallah pour dénoncer les "arrestations politiques", et, selon l’AFP, crier des slogans tels que "Abou Mazen [surnom de M. Abbas] dégage !" C’est une maigre mobilisation, mais qui aurait été inenvisageable il y a six mois. Il est probable que la répression de l’Autorité palestinienne va se poursuivre : des élections municipales sont organisées, le 20 octobre, en Cisjordanie. Faute de réconciliation avec le Fatah, le Hamas n’y participera pas, ce qui ne peut qu’accroître dangereusement la division entre les deux principales formations du mouvement palestinien.