En août 2003, dans le cadre du jumelage entre le camp de réfugiés de Khan Younis et la communauté d’agglomération d’Evry, une délégation de seize jeunes de 12 à 14 ans et six adultes palestiniens a pu effectuer un séjour à Evry en région parisienne. J’ai accueilli et accompagné deux garçons du groupe avec qui j’ai partagé ma vie de famille.
Je suis devenue leur "French mother" qu’ils souhaitaient revoir de retour dans leur pays. J’ai donc répondu à l’invitation de leur famille. Ce voyage au sein du groupe Evry Palestine avait aussi pour objectif d’établir une correspondance scolaire entre enfants d’Evry et de Khan Younis.
C’est la première fois que je me rendais dans la bande de Gaza. Après le franchissement du check-point d’Erez, ce fut la perte de repères. la route, aléatoire, était coupée, il fallut faire demi-tour et emprunter des petits chemins tortueux, en suivant au hasard une voiture, entre des blocs de maisons.
On a l’impression irréelle de n’être nulle part, on ne sait pas où on va, c’est l’angoisse et pourtant il faut encore affronter l’incertitude d’arriver à destination, incertitude due aux fermetures et ouvertures imprévisibles des barrages.
Le paysage qu’on observe est en train d’être remodelé, il est en passe de devenir un paysage minéral. Le vert végétal disparaît, les cultures fruitières (oliviers, figuiers, palmiers, orangers) arrachées laissent la dominance à la couleur ocre de la terre dévastée, éventrée. A la place des habitations détruites s’installe un no man’s land effrayant qui me donne la sensation d’être épiée.
J’ai vu la dureté de la vie quotidienne des habitants du camp. Les coupures quotidiennes d’électricité - de quelques heures à la journée entière, parfois la nuit - entraînent des coupures d’eau, une eau qui, chez nous, serait qualifiée d’" impropre à la consommation ". Toutes les nuits, on entend des tirs plus ou moins proches, plus ou moins éloignés, par rafales, qui s’arrêtent puis reprennent. Les enfants dorment avec la lumière allumée, quand le courant n’est pas interrompu, avec les vêtements de ville, pour fuir rapidement au cas où...
La destruction des habitations amène à l’implantation de tentes sous un soleil implacable, avec quelques fois juste un matelas pour tout mobilier... Les routes coupées rendent très difficiles et incertains les allers et retours imposés par le travail hors des lieux de résidence. On ne sait si on pourra rentrer chez soi le soir.
En dépit de cet enfer quotidien, j’ai trouvé un accueil extrêmement chaleureux de la part des habitants. J’ai été émue par leur sens de l’hospitalité - pour nous presque excessif. J’ai maintenant une famille là-bas. J’admire leur courage, leur envie de vivre et leur patience.
Une image s’est gravée en moi : au milieu d’un champ rasé de toutes ses cultures, il ne restait qu’une jeune pousse d’olivier, que les bulldozers n’avaient pas écrasée, petite plante prête à repartir vers la vie, tout comme les enfants de ma famille d’accueil qui osent avoir des projets d’avenir.
Josette Pineau
Evry Palestine