Le leader de l’opposition travailliste israélienne, Isaac Herzog, ne s’illustre guère par ses positions radicales. Sur les dossiers sensibles, comme le nucléaire iranien ou la colonisation de la Cisjordanie, il est difficile de distinguer ses vues de celles du premier ministre conservateur, Benyamin Nétanyahou. Pourtant, le 5 septembre, M. Herzog a suscité un intense débat en suggérant au gouvernement d’accueillir les réfugiés fuyant la guerre en Syrie. « Notre peuple a lui-même fait les frais du silence du monde », a-t-il rappelé sur sa page Facebook, en référence claire à l’Holocauste. Le lendemain, face aux attaques d’une partie de la droite – une députée du Likoud allant jusqu’à publier son numéro de téléphone, à l’attention des arrivants éventuels –, M. Herzog a ajouté : « Vous avez oublié ce que c’est d’être juif. Réfugié. Persécuté. »
« Ne pas importer le conflit »
Voisin de la Syrie, mais aussi du Liban et de la Jordanie, qui ont accueilli des centaines de milliers de réfugiés fuyant l’organisation Etat islamique (EI), voici Israël à son tour confronté à cette question. Lors du conseil des ministres dimanche, M. Nétanyahou a réfuté toute indifférence mais a confirmé sa position intransigeante, reposant sur des priorités sécuritaires. Estimant que les ressources du pays étaient trop limitées, il a prévenu : « Nous devons contrôler nos frontières » contre les travailleurs clandestins et d’éventuels terroristes. « La Syrie est un pays ennemi, décrypte une source diplomatique. Ce n’est pas pour nous un problème classique de réfugiés. S’il s’agit d’accueillir un petit nombre de Kurdes ou de yézidis, pourquoi pas. Mais importer le conflit, c’est hors de question. Cela risque en plus de renforcer les appels palestiniens au droit au retour de leurs propres réfugiés. » Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a demandé à l’ONU de faire pression sur Israël pour que les Palestiniens vivant dans des camps syriens puissent parvenir en Cisjordanie.
Depuis le début de la guerre en Syrie, il y a quatre ans, un consensus existait en Israël sur la ligne à tenir : pas d’implication directe dans le conflit, le régime de Damas et les djihadistes étant deux maux aussi redoutables ; réactivité militaire pour contrer tout débordement de violence sur le plateau du Golan, zone frontalière occupée par l’Etat hébreu depuis 1967. Du point de vue humanitaire, Israël a soigné dans ses hôpitaux près de 1 700 Syriens, dont de nombreux combattants. Mais cette ligne se trouve aujourd’hui fragilisée. L’inquiétude sur le sort des Druzes, communauté vivant de part et d’autre de la « frontière », l’affaiblissement de l’armée syrienne et la question dorénavant mondiale des réfugiés fuyant l’EI bousculent la neutralité israélienne.
Au sein du Likoud, Ayoub Kara, vice-ministre des affaires régionales, exprime une position minoritaire et divergente de celle du premier ministre. Principal relais politique de la communauté druze, il estime qu’Israël devait accueillir « des dizaines de milliers de réfugiés issus des minorités syriennes, particulièrement les Druzes ». En revanche, Yaïr Lapid, président du parti centriste Yesh Atid, qui occupe d’habitude des positions progressistes, a fait part de ses réserves. « Malheureusement, Israël ne peut pas se permettre d’être entraîné dans le problème de la crise des réfugiés. C’est un problème européen et il n’y a aucune raison pour nous d’en faire partie. » Selon lui, la priorité doit consister à intégrer les clandestins qui se trouvent déjà en Israël.
« Entourer les frontières d’Israël »
M. Lapid met ainsi le doigt sur un paradoxe. L’afflux de milliers de migrants en Europe est largement traité par les médias israéliens. Ceux-ci soulignent les incohérences et les égoïsmes à l’intérieur de l’Union européenne. Ce sont pourtant, dans une écrasante majorité, ces mêmes médias qui emploient le terme d’« infiltrés » – référence historique aux Palestiniens entrant en Israël pour commettre des attentats – pour qualifier les 50 000 demandeurs d’asile africains. Ces clandestins, dont le gouvernement refuse de reconnaître la détresse, viennent essentiellement d’Erythrée et du Soudan. Ils vivent en Israël depuis le milieu des années 2000 et sont employés au noir, à bas coût, dans la restauration ou d’autres secteurs de dur labeur.
Les autorités israéliennes s’obstinent à les considérer comme des réfugiés économiques, sans pouvoir les expulser. Israël enregistre un taux extraordinairement bas (0,15 %) d’attribution du statut de réfugié. Leur sort fait l’objet d’une confrontation régulière entre le pouvoir exécutif et la Cour suprême, qui se prononce contre la détention au-delà d’un an de certains de ces arrivants dans le centre de Holot (désert du Néguev).
L’afflux de ces migrants africains a été arrêté lorsque le gouvernement israélien a fait construire un mur le long de la frontière avec l’Egypte. Ce succès est une inspiration. Israël veut se transformer en forteresse pour ne pas être déstabilisé par les tourments du Proche-Orient. « Dans la mesure du possible, a expliqué dimanche M. Nétanyahou, nous allons entourer les frontières d’Israël avec une clôture de sécurité et des barrières. » Fin juin, le premier ministre avait annoncé l’édification d’une nouvelle barrière, à la frontière avec la Jordanie, pour empêcher des infiltrations de djihadistes. Mais pour l’heure, il n’existe de financement que pour 30 kilomètres tout au sud, entre la ville d’Eilat et le futur aéroport international de Timna, qui ouvrira en 2016, à quelques centaines de mètres de la frontière. Or l’objectif final est de rendre hermétique une bande de 235 kilomètres, jusqu’au plateau du Golan.