Le Parti travailliste avance à grands pas vers le terme de son rôle historique et sa disparition de la scène politique israélienne. Déjà, les négociations conduites pendant un mois entre Tzipi Livni (Kadima) et Ehoud Barak avaient placé le Parti travailliste devant une alternative impossible, le forçant en quelque sorte à choisir entre le suicide et l’exécution. Si le Parti travailliste avait rejoint le gouvernement que Livni voulait former, il aurait risqué d’être absorbé par Kadima. Et, comme il a précipité des élections anticipées [prévues le 17 février 2009], ses militants risquent de punir son chef, Barak, pour avoir ramené le Likoud au pouvoir [au coude-à-coude avec Kadima, d’après les sondages].
Aujourd’hui, le Parti travailliste n’a plus le moindre discours que l’opinion publique puisse identifier.
Kadima lui a volé sa combinaison de fermeté militaire et de modération politique. Aujourd’hui, c’est Kadima qui est perçu comme privilégiant les négociations [avec les Palestiniens], face à un Likoud qui s’oppose ouvertement au processus de paix. Les propos tenus par Ehoud Olmert dans son interview à Yediot Aharonot le 29 septembre dernier, où il prône un retrait israélien de tous les Territoires occupés [y compris de Jérusalem-Est], sont ainsi allés beaucoup plus loin que ceux de la plupart des dirigeants travaillistes.
Le microscope le plus sophistiqué ne parviendra jamais à établir les nuances idéologiques entre Kadima et le Parti travailliste. En quoi les Ehoud Olmert, Tzipi Livni, Haïm Ramon et Meïr Sheetrit [dirigeants de Kadima] sont-ils différents des [travaillistes] Ehoud Barak, Benyamin Ben-Eliezer, Yitzhak Herzog et Ami Ayalon ?
Le mapatz gadol [big bang] qu’Ariel Sharon avait déclenché en novembre 2005 en créant le parti Kadima après avoir quitté le Likoud était a priori destiné à frapper mortellement son ancien parti. De fait, le Likoud allait se faire saigner et passer de 38 à 12 sièges [sur 120] à la Knesset aux législatives de mars 2006. Pourtant, a posteriori, c’est le contraire qui s’est passé. En se cramponnant à son discours classique, le Likoud s’est refait une santé dans l’opposition, tandis que le Parti travailliste a continué à s’évaporer. Tel un virus mortel, Kadima a tout simplement absorbé les ressources de son partenaire de coalition : son programme sécuritaire et politique, son système d’élections primaires, sa défense de la cause des femmes et, surtout, son noyau d’électeurs et de donateurs. Les ashkénazes [descendants de Juifs d’Europe centrale] et les riches ont fui le Parti travailliste lorsque Amir Peretz [syndicaliste séfarade d’origine marocaine] en a pris le contrôle [de novembre 2005 à juin 2007]. Maintenant qu’ils se sont jetés dans les bras de Kadima, ils n’ont nulle intention de retourner au bercail.
Comment se peut-il, se désolent certains, que Kadima, un parti artificiel fondé par des transfuges, puisse s’emparer de l’héritage du Parti travailliste, après tout ce qu’a fait ce dernier pour bâtir Israël ? Lorsque viendra l’heure de vérité, se rassurent d’autres, les gens retourneront à leurs racines. Après tout, pensent-ils, le Parti travailliste est parvenu à survivre au Dash [un parti centriste dont la victoire avait précipité l’arrivée au pouvoir du Likoud de Menahem Begin, en 1977], il survivra bien à Kadima. Sauf que les sondages promettent tous au Parti travailliste un renvoi définitif aux marges de la vie politique israélienne.
Les partis politiques ne sont pas éternels. Qui se rappelle le parti des Sionistes généraux [les libéraux-conservateurs du futur président Haïm Weizmann], qui se présentait comme une alternative “civile” au MAPAÏ [Parti ouvrier d’Israël] de David Ben Gourion avant et après la création de l’Etat d’Israël ? Qui se souvient du Parti progressiste [des libéraux centristes d’origine allemande], qui contrôla pourtant le système judiciaire pendant des décennies ? Qui se rappelle enfin le MAPAM [Parti ouvrier unifié, sionistes marxisants], fer de lance des kibboutzim, de la colonisation agricole, du socialisme et de la fraternité internationale ? Après avoir joué un rôle historique essentiel, ces partis ont disparu les uns après les autres pour se faire absorber par d’autres formations.
En Grande-Bretagne, le Parti libéral joua durant la majeure partie du XIXe siècle le rôle de formation politique de gauche face au Parti conservateur. Mais lui aussi a fini par disparaître. Lors des élections de 1923, le dirigeant libéral Herbert Henry Asquith, plutôt que de s’allier aux conservateurs, préféra laisser gouverner le tout nouveau et inexpérimenté Labour, dans l’espoir que les travaillistes tombent et que le Parti libéral récupère ses anciens électeurs. Mais, s’il perdit rapidement le pouvoir, le Labour parvint néanmoins à conserver les anciens électeurs du Parti libéral, et ce dernier fut définitivement marginalisé. En Israël, c’est sans doute le sort qui attend le Parti travailliste d’Ehoud Barak [1]