A cette révolution proche-orientale, Israël ne pourra pas échapper. Par un simple communiqué, son gouvernement a dit espérer une « transition sans secousse ». Est réaffirmée la nécessité de préserver le traité de paix qui « sert les intérêts des deux pays et constitue une garantie pour la stabilité de l’ensemble de la région ».
La veille encore, plusieurs de ses dirigeants voulaient se cramponner à un scénario qui aurait vu un transfert du pouvoir ordonné d’Hosni Moubarak à son vice-président Omar Souleiman. Les principaux ministres et responsables politiques israéliens le connaissent parfaitement et ont fait savoir combien ils l’appréciaient.
Chargé des missions délicates, Omar Souleiman a, depuis des années, multiplié les médiations comme les reprises en main. Maintien du blocus de Gaza sur sa frontière égyptienne ; répression des Frères musulmans comme des militants du Hamas ; concertation sur les problèmes de sécurité ; opposition frontale au Hezbollah libanais : Omar Souleiman connaissait tous les acteurs palestiniens et israéliens. Il est, avec Moubarak, le meilleur garant du traité de paix signé en 1979 entre les deux pays, traité qui a, depuis, déterminé l’ordre régional.
Le basculement de l’Egypte dans une nouvelle histoire met à bas cet édifice. L’Egypte de Moubarak a jusqu’au bout été décrite comme « la clé de voûte » du fragile édifice proche-oriental. Le régime abattu, Omar Souleiman disparu, aussitôt éclipsé par le conseil militaire qui assure la gestion du pays, c’est l’ensemble de cette construction qui va devoir, dans les mois à venir, être revue et aménagée.
Faut-il s’en inquiéter ou, au contraire, s’en féliciter ? Ce même vendredi, les Israéliens auront trouvé un bon argument pour justifier leurs craintes et leur soutien jusqu’au-boutiste à Hosni Moubarak et « à la stabilité ». A Téhéran, le président Ahmadinejad a célébré à grand spectacle les 32 ans de la révolution iranienne de 1979. Pour se féliciter bruyamment de celle en cours en Egypte. « Un nouveau Proche-Orient émerge, a-t-il clamé, libéré du régime sioniste et des interventions américaines dans une région où les pouvoirs arrogants n’auront plus leur place. » Et de défiler dans la foulée en portant une pancarte « Mort à Israël ».
En Israël aussi, le réveil du débat
Depuis trois semaines, le gouvernement israélien justifie ses craintes en brandissant l’épouvantail iranien et en agitant le spectre d’une prise de pouvoir des Frères musulmans en Egypte. Peu importe que la vieille confrérie ne soit rentrée que tardivement dans le mouvement de révolte. Ses dirigeants ont ensuite expliqué qu’ils ne voulaient pas le pouvoir et ne présenteraient pas de candidats à l’élection présidentielle de septembre prochain. Mais l’influence de ce mouvement dans une société travaillée par les courants conservateurs de l’islam suffit à se défier de l’insurrection démocratique qui traverse le monde arabe.
Car cet écroulement du régime Moubarak fait également tomber le rituel d’un « processus de paix » en panne depuis quinze ans. De concert avec Israël et avec les administrations américaines successives – et tout particulièrement avec l’administration Bush –, Hosni Moubarak aura été le garant de ce statu quo pourtant appelé « processus » même s’il masque un immobilisme destructeur.
Les innombrables réunions et sommets de Charm-el-Cheikh, les innombrables reprises de négociations aussitôt bloquées ont ainsi rythmé la vie d’une région bloquée. Et les dirigeants israéliens ont ainsi pu brandir sans relâche l’argument de régimes dictatoriaux, corrompus et instrumentalisant le malheur palestinien pour, non seulement ne rien céder, mais poursuivre à marche forcée le processus de colonisation des territoires occupés.
Cet édifice abattu va très vite poser une autre question stratégique à Israël : celle de sa relation avec les Etats-Unis. Barack Obama avait été fortement critiqué par la droite israélienne pour s’être félicité du renversement de Ben Ali en Tunisie puis pour ses premières déclarations sur l’Egypte demandant « une transition effective ». Accusé de lâcher celui qui fut son meilleur allié, Barack Obama est devenu de fait suspect pour une large partie du gouvernement Nétanyahou. Il est vrai qu’il l’était déjà depuis son discours du Caire, cette « adresse au monde musulman », véritable programme énoncé en juin 2009 (à lire ici).
Mais les révolutions arabes pourraient aussi réveiller des voix en Israël. Déjà, quelques intellectuels ou éditorialistes dénoncent la crispation conservatrice de la classe politique, appelant à se saisir des nouvelles opportunités.
« Un tel discours, écrit le romancier de gauche Yitzhak Laor, ne fait que boucler à double tour le ghetto mental dans lequel nous nous replions de plus en plus, un ghetto isolé du reste du Proche-Orient et de la marche de l’histoire. La cooptation des élites répressives du Proche-Orient a toujours été aidée par le langage doucereux de gens comme l’actuel président Shimon Pérès, qui voulaient nous concilier les faveurs de l’Occident : nous serons une base occidentale au cœur des ténèbres du Moyen-Orient » (lire plus ici).
C’est cette histoire qui s’achève aujourd’hui et dont on ne voit pas comment elle pourrait ne pas bouleverser aussi la politique israélienne.