Un mois après la fin des hostilités, alors que les pourparlers entre le Hamas et Israël reprennent au Caire, quel bilan faites-vous de cette guerre ?
Cette offensive contre Gaza a été sans précédent. Je ne pensais pas que l’on puisse arriver à un tel niveau de violence et de destruction, une telle crise en termes de réfugiés… Ce n’est absolument pas comparable à celle de 2009, ou 2012. Un tel niveau de destruction, à Beit Hanoun, Chajaya, Rafah… À Chajaya, le 20 juillet, il y a 15 100 réfugiés en quatre heures, entre 2 et 6 heures du matin, et 405 000 au total. Cela a été un cauchemar. On n’avait pas vu ça depuis la Nakba (exil des Palestiniens en 1948, chassés par l’armée israélienne - ndlr). Des familles ont perdu quinze, vingt proches, leurs maisons ont été complètement détruites. Nous parlons ici de meurtres de civils, qui n’avaient rien à voir avec les combats, et qui ont cependant été bombardés.
Pour la première fois, des hôpitaux ont été considérés comme des cibles légitimes par Israël. Des ambulances transportant des blessés ont directement été prises pour cible. Il en a été de même pour une unité de production d’électricité, plus de 400 usines, des réserves d’eau, qui ont été rasées. Les 2 millions d’habitants que compte Gaza n’étaient nulle part en sécurité, les civils ont été pour l’armée israélienne des cibles délibérées. Et pour la première fois, pendant 51 jours, Israël a eu l’autorisation de tuer, grâce à la complicité de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, des États-Unis, qui ont soutenu la « légitimité » de l’offensive israélienne contre Gaza. Le fait que l’on ne demande aucun compte de ses actes à Israël l’a poussé à agir de manière extrême, sachant que quoi que fasse l’armée israélienne, personne ne lui reprocherait quoi que ce soit.
Vous qui voyagez beaucoup, et avez reçu de nombreux prix en Europe et ailleurs dans le monde pour votre travail depuis vingt ans, comment expliquez-vous cette passivité de la communauté internationale lors de cette guerre ?
Le constat, c’est qu’Israël bénéficie d’une immunité totale. Le tournant, c’est le rapport Goldstone. (Le rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le conflit à Gaza, dit rapport Goldstone, est un rapport rédigé à la demande du Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur l’opération militaire israélienne Plomb durci de décembre 2008 et janvier 2009 contre la bande de Gaza et sur les tirs de roquettes et de missiles contre des localités civiles israéliennes par le Hamas et autres organisations palestiniennes. Lire ici l’un de nos articles - ndlr.) Si Israël avait dû rendre des comptes à ce moment-là, je suis sûr qu’il n’aurait pas recommencé. C’est du fait de cette véritable immunité qu’ils se permettent toutes ces choses horribles, comme le bombardement des tours d’habitations à la fin de la guerre.
Israël rétorque que ces habitations servaient à abriter des combattants et des armes, que le Hamas se servait des habitants comme de boucliers humains.
Des ONG étaient présentes, 850 journalistes étaient à Gaza, personne n’a confirmé cette histoire de boucliers humains, qui est pure fiction. J’ai parcouru Gaza pendant la guerre et il n’y avait rien de tel, de même qu’il n’y avait pas de combattants dans les habitations. Ils étaient au front et sous terre, pour affronter l’armée israélienne. Pour le reste, le PCHR a condamné sans ambiguïté les actes du Hamas, comme l’exécution extrajudiciaire de dix-huit personnes soupçonnées de collaborer avec Israël, et ce, pendant la guerre. Mais cette histoire de boucliers humains, c’est un grand mensonge, qu’utilise Israël comme une excuse pour justifier ses crimes. Et quand bien même il y aurait eu des boucliers humains, Israël n’a aucune légitimité pour tuer tous ces civils.
D’un autre côté, j’ai été très impressionné et fier de la résistance démontrée par les combattants palestiniens qui disposent, je pense, du soutien d’une large majorité des habitants de Gaza. Les combattants ont agi avec beaucoup de courage, et au moins, nous n’avons pas fait figure de « bonnes victimes » face aux forces occupantes israéliennes, qui commettaient leurs crimes au grand jour. Le résultat de cette occupation sanglante, nous l’avons vu tous les jours, en comptant les corps. Nous avons encore des corps sous les décombres, que nous n’avons pu dégager. Il y a eu des centaines de crimes de guerre durant cette offensive. Viser les civils, telle a été la politique choisie par Israël pour faire pression sur le Hamas sur le plan politique et militaire.