C’est en marge du sommet d’Annapolis que le secrétaire à la Défense, Robert Gates, ancien numéro deux de la CIA, a fait lire le rapport américain à son homologue Ehoud Barak, ancien chef d’état-major et patron du renseignement militaire israélien. La question a ensuite été longuement abordée entre le président Bush et le Premier ministre Ehoud Olmert. Les Israéliens n’ont donc pas été pris par surprise et, à Jérusalem, cette question a fait l’objet de plusieurs réunions du gouvernement et du cabinet de sécurité. D’où ressortent deux idées directrices.
1) Malgré tout le mal qu’on pense à Jérusalem [1]du document, ne pas se heurter de front aux différentes agences américaines afin de ne pas compromettre davantage une coopération jugée plutôt en dents de scie, voire insuffisante, avec les services secrets des Etats-Unis. Surtout, éviter de s’immiscer dans le débat sur le dossier iranien qui oppose au sein même de l’exécutif américain les colombes aux faucons et, parmi eux, un certain nombre d’acteurs clés au Moyen-Orient, comme Condy Rice ou Dick Cheney.
2) Maintenir la ligne alimentée par les services israéliens faisant état d’une menace imminente (2009 pour le Mossad, contre 2015 pour les services américains), mettre en exergue les faiblesses, les imprécisions du nouveau rapport, et s’efforcer de fournir à la communauté internationale, via l’Agence internationale de l’Energie atomique, les renseignements qui vont dans ce sens.
En fait, à quelques détails près, les services israéliens et américains disposent des mêmes informations de base fournies par la surveillance satellitaire, les écoutes des responsables iraniens et les rapports Humint, c’est-à-dire ceux des agents sur place. C’est dans leurs conclusions qu’ils différent.
En Israël, on admet qu’il est bien possible que, pour des raisons techniques, les Iraniens aient gelé leur programme militaire nucléaire en 2003. Mais le Mossad et les renseignements militaires sont pour une fois d’accord : ce programme clandestin a repris en 2005. Surtout, ils insistent sur un fait que le rapport américain ne remet en aucun cas en question : pour disposer d’une bombe, il faut de l’uranium enrichi, un missile vecteur de l’arme et la bombe elle-même. Or Téhéran, qui continue d’enrichir son uranium tout en accélérant le développement de missiles de longue portée, sera assez vite capable de disposer aussi de la dernière composante d’un programme nucléaire militaire, c’est-à-dire la technique de fabrication de la bombe elle-même.
« Nous préférons toujours l’action internationale conduite par les Etats-Unis mais nous devons nous assurer que nous pouvons protéger notre pays par tous les moyens », s’est empresse de déclarer l’ancien Premier ministre Bibi Nétanyahou, qui considère le dossier iranien comme l’un des leviers de son possible retour au pouvoir. Autrement dit, si le rapport de Washington écarte toute option militaire américaine dans l’immédiat, ne ravive-til pas l’hypothèse d’une frappe israélienne unilatérale ? Il y a plusieurs mois, des fuites à Tel-Aviv avaient fait état de préparatifs avancés en vue d’une attaque des sites iraniens, y compris avec des armes nucléaires tactiques, des mini-bombes atomiques pour atteindre les centrales enterrées. Mais une frappe israélienne ne pourrait se faire que par voie aérienne, en survolant plusieurs pays où d’importants contingents américains sont déployés sous la protection de FUS Air Force. Israël devrait donc, pour ce faire, disposer des codes de vols américains afin d’éviter toute méprise. Or en 1991, lors de la première guerre du Golfe et des tirs de Scud irakiens sur Tel-Aviv, les Américains avaient refusé de les fournir.
Le Nouvel Observateur