Après quatre mois de poudre aux yeux, l’armée israélienne a finalement admis, à la suite d’une enquête interne, que l’un de ses propres soldats avait "très probablement" tué la célèbre journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh lors d’un raid dans la ville de Jénine, en Cisjordanie, en mai. Tout en affirmant qu’elle n’était pas certaine de l’identité du tireur, l’armée était suffisamment confiante pour affirmer qu’un soldat avait probablement "tiré par erreur alors qu’on lui tirait dessus" et qu’il n’était pas nécessaire d’ouvrir une enquête criminelle sur cette affaire.
L’intention, aux yeux de l’armée, est impossible à suspecter lorsqu’une balle passe à travers un casque et un gilet de presse pour se loger dans le crâne d’un journaliste.
La conclusion de la culpabilité israélienne n’est pas une nouvelle. Ce qui rend l’annonce exaspérante, cependant, c’est la manière dont l’armée israélienne a confessé le crime avec désinvolture, sachant pertinemment que le tireur ne sera jamais puni pour ce meurtre, et que ses supérieurs au gouvernement ou dans l’armée ne paieront pas le prix pour avoir colporté des mensonges pendant des mois.
La plupart des médias israéliens, quant à eux, se sont contentés de reprendre les affirmations de l’armée, sans chercher à interroger davantage les autorités - comme les journalistes devraient le faire - et en réfléchissant plutôt à la manière d’éviter de tels "incidents" et embarras. L’impunité est tellement ancrée dans la psyché nationale qu’elle est considérée comme un article de foi, voire un droit implicite, auquel presque tous les individus et institutions juifs-israéliens peuvent se sentir habilités.
Pourtant, au milieu de cette réalité d’indifférence, se trouve une leçon édifiante.
Malgré les diversions d’Israël, les Palestiniens et leurs alliés ont démontré qu’ils ont le pouvoir de forcer Israël à se mettre au pied du mur. Les journalistes palestiniens et les témoins oculaires, avec les multiples enquêtes menées par certains des médias les plus importants du monde, ont montré pendant des mois que le tireur ne pouvait être qu’un sniper israélien visant Abu Akleh. L’ensemble des preuves était si écrasant que même l’enquête de l’armée, malgré toute son ambiguïté calculée, avait peu de marge de manœuvre pour suggérer le contraire.
La mobilisation mondiale qui a suivi le meurtre d’Abu Akleh a non seulement fait de "Shireen" un nom connu au-delà du monde arabe, mais a permis que son nom soit repris dans les parlements et les bureaux gouvernementaux du monde entier. Forte de ce soutien massif, la famille d’Abu Akleh, dont sa nièce dévouée Lina, a porté sa cause devant le Congrès américain et le secrétaire d’État Antony Blinken, exerçant une pression directe sur Washington pour qu’il demande des comptes à son bénéficiaire de financement militaire, sans parler de son devoir envers un citoyen américain tué par des forces étrangères.
Ce pouvoir et cette mobilisation ne doivent pas être négligés ou considérés comme acquis. Mais cela met également en lumière le fossé qui sépare le mouvement palestinien en pleine expansion, qui fait évoluer l’opinion publique contre l’apartheid israélien, et les décideurs politiques qui ont le pouvoir politique et économique d’imposer des conséquences sérieuses aux actions d’Israël. Il n’est pas surprenant, mais non moins consternant, de voir comment Washington a "accueilli favorablement" les conclusions d’Israël et lui a simplement demandé de revoir sa réglementation sur les armes à feu - comme si le problème était une mauvaise lecture d’un règlement, et non un système dans lequel la violence est elle-même la règle.
La lutte pour que justice soit rendue à Shireen n’est pas terminée, il convient de se demander sérieusement comment cette justice peut être rendue depuis la base alors que les dirigeants d’en haut refusent de le faire. Il ne fait cependant aucun doute que sa mémoire restera un puissant cri de ralliement pour les Palestiniens dans leur lutte, et qu’elle éveillera davantage de personnes à la brutalité et aux tromperies constitutives de l’apartheid israélien.
Photo : 18 mai 2022 / Nasser Ishtayeh / Flash90
Traduction et mise en page : AFPS / DD