Al-Ahram Hebdo : Vous étiez à Gaza au cours de l’offensive israélienne, en tant que témoin, que pouvez-vous nous dire de la situation sanitaire et humanitaire ?
Dr Zein Al-Abedine Ali : Bien sûr, la situation était catastrophique, tant sur le plan des destructions, de la crise humanitaire que de la situation sanitaire. Etre sur place est une tout autre expérience, car on est témoin des pires atrocités. Cela dépasse de loin les images que l’on voit à la télévision. Il y avait énormément de cas graves, nous étions dépassés.
Combien de temps êtes-vous restés à Gaza et par le biais de quel organisme vous y êtes-vous rendu ?
— C’est l’Union des médecins arabes qui a lancé un appel pour que des médecins volontaires de différentes spécialités se rendent à Gaza. J’ai donc répondu à cet appel, d’autant plus qu’il y avait un besoin urgent en neurochirurgiens. Nous étions une soixantaine de praticiens égyptiens de toutes les spécialités à participer à cette mission. La plupart d’entre nous sont restés une à deux semaines sur place, quant à moi ma mission était de huit jours.
Nous avons été dispatchés à travers les différents hôpitaux de Gaza. En ce qui me concerne, j’étais à l’hôpital Dar Al-Chéfa, à savoir le plus grand de la bande de Gaza. Et pourtant, la situation n’était pas des meilleures, pour le moins que l’on puisse dire. Il fallait opérer 15 à 30 blessés par jour, en majorité des enfants. Les cas de décès quotidiens étaient très élevés en raison de la gravité des blessures. De plus, très souvent, les interventions chirurgicales se faisaient dans des conditions terribles. L’hôpital ne renferme en effet pas suffisamment de blocs opératoires pour répondre à une urgence pareille. Il fallait donc parfois opérer sur les brancards dans les couloirs de l’hôpital ou opérer plusieurs malades dans le même bloc en même temps.
Les hôpitaux sont donc insuffisamment équipés …
— Bien sûr. Il ne faut pas oublier qu’on est en tant de guerre et que l’on a besoin d’être extrêmement bien équipé pour répondre aux besoins. Les cas graves abondent tous les jours et en ce qui concerne ma spécialité, à savoir la neurochirurgie, nous avions de véritables manques. La situation est tout de même meilleure en ce qui concerne la chirurgie générale, mais le tout reste insuffisant. Et je parle là de Dar Al-Chéfa, le plus grand hôpital de Gaza. Pour ce qui est des autres hôpitaux, les conditions sont évidemment encore plus difficiles.
Il a été beaucoup question au cours de cette guerre de l’utilisation par Israël d’armes dont l’emploi est prohibé sur les populations civiles. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
— En effet, comme vous le savez, le Centre palestinien pour les droits de l’homme à Gaza et Human Rights Watch ont accusé les Israéliens d’utiliser des bombes au phosphore blanc. Causant de terribles brûlures, cette bombe est prohibée au niveau international. En tant que médecins, nous avons été témoins de blessures peu communes, notamment les brûlures bizarres et des éclats d’obus dans tout le corps des blessés. C’est la première fois dans ma carrière de médecin que je vois des cas pareils. Mais il s’agit sans doute de brûlures dues au phosphore, car les symptômes sont connus. J’ai déjà été en mission à Djibouti lors du conflit somalien, mais il ne s’agissait pas des mêmes cas de blessés de guerre. Par exemple, on avait des blessés dont le corps avait subi de 200 à 300 perforations en raison des éclats d’obus. En plus, on y trouvait des corps étranges ressemblant à des clous, ce qui compliquait les opérations de sauvetage, car les membres internes étaient trop endommagés par ces éclats d’obus et avaient subi de nombreuses lésions. Nous avons aussi remarqué la présence d’uranium appauvri dans les corps des victimes des bombardements. Et d’ailleurs, nous sommes en train de procéder ici en Egypte à des analyses pour prouver l’utilisation d’uranium et de phosphore blanc par les Israéliens.