Le 9 mai dernier, le Conseil européen des relations internationales (European Council of Foreign Relations – ECFR) a rendu public un rapport d’un de ses chercheurs, Nick Witney, sur la situation en Israël-Palestine. Ce dernier constate qu’il ne reste que quelques mois avant que l’État d’Israël ait de facto quasiment annexé la Cisjordanie. Une telle évolution rendrait l’option de deux États non-viable sur le terrain.
Le processus de paix au point mort
Or le processus de paix israélo-palestinien, bien qu’au point mort aujourd’hui, a cette option pour clé de voûte. Par conséquent, que cette option devienne une fiction, et le processus de paix lui-même en devient une.
Le rapport Witney recommande à l’Union européenne d’endiguer cette évolution par des mesures de boycott : surtaxation des exportations israéliennes en provenance des colonies cisjordaniennes, rétablissement des visas pour les colons voulant se rendre en Europe, interruption des coopérations européennes avec l’Université israélienne d’Ariel, notamment. Il est pour autant extrêmement peu probable que de telles mesures de rétorsion soient prises par l’Union européenne, qui a historiquement d’excellentes relations diplomatiques, scientifiques et commerciales avec Israël.
Il est tout aussi improbable qu’une réponse politique à la hauteur de l’enjeu provienne des deux grandes formations politiques palestiniennes, le Fatah et le Hamas. Rivales, elles en sont encore au stade des négociations pour parvenir à un gouvernement palestinien unique, objet de leur prochaine réunion au Caire prévue ce 14 mai.
Une ligne commune impossible à trouver
De surcroît, il leur est impossible d’exprimer une ligne politique commune. D’un côté, le Fatah a une approche de négociation, il reconnaît Israël, il revendique un territoire palestinien sur les frontières de 1967, et il accepte le principe d’échanges de territoires sur cette base. De l’autre, le Hamas a une approche de lutte armée, il ne reconnaît pas Israël, et il revendique un territoire palestinien aux dimensions de l’intégralité du territoire israélo-palestinien [1].
Au demeurant, face à la colonisation israélienne de la Cisjordanie, dont l’essence même condamne le processus de paix dans ses termes actuels – deux États –, aussi bien la ligne du Fatah que celle du Hamas est une impasse.
D’un côté, la négociation, approche du Fatah, ne peut faire sens lorsque l’interlocuteur entreprend une démarche unilatérale contraire aux termes mêmes de son objet. De l’autre, la lutte armée, approche du Hamas, est contre-productive à triple titre : la disproportion du rapport de forces rend tout succès militaire illusoire ; les attentats n’ont pas sur l’opinion publique israélienne un impact tel qu’il soit susceptible de créer une pression sur le gouvernement israélien ; l’adversaire prend prétexte de la lutte armée pour écarter toute négociation.
Il ne reste donc, en définitive, qu’une seule option aux partisans palestiniens et israéliens du processus de paix : la désobéissance civile.
Une minorité active suffit
Théorisée au XIXe siècle par Henry David Thoreau [1], notoirement pratiquée en Inde avec Mohandas Gandhi pour chef de file, elle se résume à un mot d’ordre simple de désobéissance à la loi, non-violente et pacifique.
Ses méthodes les plus efficaces et les plus connues sont la grève de l’impôt, la grève du travail, le boycott des biens et services, la destruction en quantités symboliques de biens et services, et la résistance passive face à l’arrestation. Pour mémoire, une base militante potentielle existe en la matière y compris parmi les Israéliens : en janvier de cette année, 53% d’entre eux sont pour deux Etats et 41% croient cette option possible ; par ailleurs 43% sont contre la colonisation de la Cisjordanie [2].
Il est évident que ni la totalité des partisans palestiniens du processus de paix, ni la totalité de ses partisans israéliens, ne participeraient à un mouvement de désobéissance civile. Il suffit cependant dans les deux cas qu’une minorité active fasse tache d’huile, pour que le mouvement atteigne le seuil nécessaire pour être politiquement efficace.
Un mouvement à l’image politique positive
En toute logique, un tel mouvement, avec pour unique exigence la décolonisation de la Cisjordanie, aurait un impact bien plus lourd sur le gouvernement israélien, en atteignant l’économie israélienne, que tout autre moyen d’action politique.
Qui plus est, l’image publique d’un tel mouvement, pacifique et non-violent, serait sans nul doute très positive dans l’espace médiatique, et auprès de l’opinion publique aussi bien palestinienne qu’israélienne [2].
Enfin, l’Histoire enseigne que de tous les leviers d’action à l’encontre d’une de ses politiques, la désobéissance civile est la seule vis-à-vis de laquelle tout gouvernement se trouve désemparé.
[Notes
[1] Henry David THOREAU, "On the Duty of Civil Disobedience", 1849. Texte intégral mis en ligne par le Project Gutenberg Ebook (en anglais).
[2] "Le Matin", "Une majorité d’Israéliens pour un Etat palestinien", 4 janvier 2013.]