C’est en référence à une note sur le Proche-Orient que j’avais adressée à l’époque à François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste (PS) et Henri Nallet, responsable des questions internationales du PS, que ce reproche m’est adressé. Certains le font de bonne foi, se référant à ce qu’ils ont entendu sans avoir vérifié à la source. Beaucoup le font de mauvaise foi, en toute connaissance de cause, dans le but de disqualifier à la fois la cause palestinienne et moi-même, en me prêtant une pensée purement électoraliste. Il leur est plus confortable de penser qu’on les condamne parce qu’ils sont minoritaires, plutôt que de réaliser le caractère inacceptable de l’occupation israélienne. Ironiquement, ceux qui évoquent mon supposé « communautarisme » sont majoritairement ceux qui vouent une solidarité sans faille à Israël, quel que soit son gouvernement et sa politique.
Je ne compte plus les fois où j’ai dû m’expliquer sur le sujet. En vain, face à l’animosité et à la mauvaise foi de mes contradicteurs. Un mensonge martelé maintes fois devient parfois une évidence aux oreilles de ceux qui l’entendent. Ainsi, de nombreux juifs français me considèrent, sans me connaître, comme un ennemi, sur la base de propos déformés.
Ce que je préconisais dans ma note sur le Proche-Orient, reproduite intégralement dans deux de mes ouvrages[1], était, au contraire, de faire prévaloir des principes universels, plutôt que de prendre en compte le poids des communautés. Le conflit israélo-palestinien bénéficiait de critères spécifiques, que l’on appliquait à aucun autre conflit.
Et c’est bien là que réside le cœur du problème. En effet, faire valoir les principes universels revient à condamner l’occupation d’un peuple par un autre, déjà inacceptable au XXème siècle, encore plus au XXIème. Ce n’est évidemment pas parce que les Arabes sont plus nombreux que les juifs en France que le gouvernement se doit de condamner l’occupation israélienne et prôner l’existence d’un État palestinien, mais parce que cette dernière est illégale, illégitime, contraire aux principes universels et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et source de violence, phénomène déjà mis en avant par le général de Gaulle dès 1967.
La note commençait ainsi :
« Imaginons, à la suite d’un conflit, un pays occuper des territoires en violation du droit international. Trente-quatre ans après, cette occupation se poursuit, malgré les condamnations de la communauté internationale, la population vivant dans ces territoires occupés se voit imposer des contraintes exorbitantes, des lois d’exception et nier le droit à l’autodétermination (…) Dans n’importe quelle situation de ce type, un humaniste, plus encore un homme de gauche, condamnerait la puissance occupante. »
Puis, je me demandais pourquoi cette situation inacceptable était tolérée au Proche-Orient. Comment expliquer que les principes élémentaires du respect de droit international et des peuples à disposer d’eux-mêmes étaient pour ce conflit trop souvent écartés ? La seule explication donnée par ceux qui justifiaient cette incongruité, était justement électorale : il s’agissait de ne pas s’aliéner la communauté juive censée être très largement acquise à la cause d’Israël. Je dénonçais déjà à l’époque « le terrorisme intellectuel qui consiste à accuser d’antisémitisme ceux qui n’acceptent pas la politique des gouvernements d’Israël et non pas l’État d’Israël ». J’ajoutais qu’à miser sur son poids électoral pour permettre l’impunité du gouvernement israélien, la communauté juive est perdante aussi à moyen terme. La communauté d’origine arabe et musulmane s’organisera également et voudra faire contrepoids et, du moins en France, pèsera - si ce n’est déjà le cas - vite plus lourd[2]. C’est pour cela que j’écrivais :
« Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter les principes universels et non pas le poids de chaque communauté. »
Exactement l’inverse des propos qui me sont reprochés.
En décembre 2004, lors d’un entretien au journal Technikart, Malek Boutih m’avait mis en cause à propos de cette note. Le directeur de publication, ainsi que le journaliste qui avait recueilli les propos, ont été condamnés par la 17ème chambre du Tribunal de Grande instance de Paris, en octobre 2006 :
« Ce document au ton mesuré constitue une analyse, laquelle peut être approuvée ou critiquée, de la situation au Proche-Orient comme de la façon dont elle est perçue en France et propose au Parti Socialiste d’adopter une position plus juste, aux yeux de son auteur, et plus conforme à l’intérêt bien compris des deux communautés particulièrement concernées sur le territoire national par le conflit. N’évoquant qu’en passant et pour mieux convaincre ses destinataires des considérations liées au poids électoral relatif des dites communautés, ce document est clairement dénaturé par le résumé sommaire et partial [qui en a été] proposé. »
Chacun a le droit de prendre position sur le conflit au Proche-Orient. Mais si une cause nous conduit à déformer de façon calomnieuse les arguments de ses opposants, c’est que cette dernière doit être difficile à défendre en usant d’arguments légitimes.
À regarder l’actuelle composition du gouvernement israélien et les déclarations de certains de ses membres, on se demande, plus encore aujourd’hui qu’en 2001, comment des personnes qui se réclament de la gauche peuvent encore, non seulement le soutenir, mais de surcroît diaboliser ceux qui le critiquent.
Pascal Boniface vient de publier « Je t’aimais bien tu sais : le monde et la France, le désamour ? » aux éditions Max Milo, « 50 idées reçues sur l’état du monde » aux éditions Armand Colin et « La géopolitique » aux éditions Eyrolles.