Après sept ans en fonction, le coordinateur spécial pour le processus de paix au Proche-Orient, Robert Serry, présentera son dernier rapport devant les Nations unies à la fin du mois de mars. Il sera sombre. Le diplomate néerlandais quitte son poste alors que la perspective d’une solution négociée entre Israéliens et Palestiniens semble plus éloignée que jamais. Robert Serry confie au Monde sa crainte d’une dégradation plus sévère.
Quelles leçons tirez-vous de ces années de médiation entre des parties qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’entendre ?
J’ai été impliqué dans trois initiatives de paix : Annapolis (en 2007), celle avec le sénateur Mitchell (envoyé spécial du président Obama entre 2009 et 2011) et enfin avec le secrétaire d’Etat John Kerry. Ces trois initiatives américaines ont toutes été suivies par une guerre dans la bande de Gaza. Je n’implique pas de relation directe, mais ce n’est pas une coïncidence. Le Hamas et Gaza sont les gros éléphants dans la pièce. On a toujours dit : conduisons des négociations sérieuses avec l’Autorité palestinienne (AP), puis on s’occupera de Gaza. Ça ne marche pas. Il existe une absence grave de stratégie de paix partagée entre l’Autorité et le Hamas.
J’ai dit dès 2012 que toutes les parties se dirigeaient, dans la réalité, vers une solution à un seul Etat. Lors de mon dernier briefing à l’ONU, j’ai dit qu’on était au seuil de cette porte. On assiste à une extension constante des colonies. Or il existe une différence fondamentale d’opinion entre la communauté internationale, qui estime ces colonies illégales et contraires à la solution à deux Etats, et le gouvernement israélien. En sept ans, la chose possible dans laquelle je me suis engagé a été l’édification de l’Etat palestinien, entreprise avec le premier ministre Salam Fayyad. Mais j’ai prévenu dès cette époque qu’il manquait les fondations politiques. Depuis, cela aussi a été mis à bas.
Justement, Israël a cessé de transférer depuis deux mois les taxes qu’elle perçoit au nom de l’Autorité palestinienne…
L’AP est presque en faillite et peut s’effondrer. Un tiers de son budget est retenu par Israël, alors qu’il était déjà fragilisé par les crédits contractés auprès des banques commerciales palestiniennes. Le premier ministre Rami Hamdallah m’a dit qu’il pouvait encore obtenir un crédit pour payer les salaires de février, mais pas au-delà. Les parties jouent avec le feu. Nous appelons les Israéliens à débloquer ces fonds, même s’ils considèrent que les Palestiniens ont franchi une ligne rouge en allant devant la Cour pénale internationale (CPI). A Ramallah, il y a un leader âgé et affaibli (le président Abbas), qui a toujours misé sur la non-violence et les négociations. Et le voilà les mains vides. Je crois que 2014 a modifié le cours du conflit israélo-palestinien, mais je ne peux prédire dans quelle direction. Il est irréaliste de croire, en tout cas, que les élections israéliennes du 17 mars changeront totalement la donne.
Au cœur de vos préoccupations, il y a Gaza, où la reconstruction tarde…
Gaza peut encore exploser, comme trois fois dans le passé. Il faut en faire une priorité politique. Le gouvernement de consensus, côté palestinien, est incapable de dominer la situation. Il existe une question non résolue, celle des salaires. D’un côté, 45 000 personnes de l’ex-gouvernement du Hamas, toujours dans leurs bureaux mais pas payées. De l’autre, 60 000 ex-employés de l’Autorité palestinienne, qui ne font rien depuis 2007 mais sont payés par Ramallah. Dans toute société, cela conduirait à l’implosion. C’est une des raisons pour lesquelles les roquettes sont à nouveau sorties l’été dernier. L’ONU a facilité un paiement unique, fin octobre, de 30 millions de dollars, soit 1 200 dollars versés à chacun. Ça nous a acheté du temps, mais rien n’est résolu. Il faut une réforme des services publics. Cela contribuera à convaincre les donateurs qu’il faut aider Gaza.
Quant à la reconstruction, le ciment est disponible, malgré toutes les critiques sur le mécanisme de vérification qui porte mon nom. Plus de 70 000 dossiers ont été examinés. Près de 50 000 personnes peuvent déjà acheter du ciment. Beaucoup n’ont pas assez d’argent. Ils empruntent, puis revendent une partie sur le marché noir. Malgré cela, ça marche. Mais on ne peut franchir l’étape suivante sans le soutien des donateurs.
Les donateurs avaient promis 5,4 milliards de dollars (4,9 milliards d’euros) au Caire en octobre. Où est l’argent ?
Pour le moment, moins de 10 % ont été versés. Ce n’est pas assez, on est frustré par la lenteur de la reconstruction. C’est très dangereux. La guerre a laissé Gaza plus désespérée que jamais. J’ai parlé aux Egyptiens, à la Ligue arabe. Un appel commun aux donateurs a été lancé avec le secrétaire général des Nations unies, qui produit des effets. Il y a beaucoup de suspicion à l’égard de l’Autorité palestinienne, qui ne serait pas intéressée par Gaza. Mais le premier ministre Rami Hamdallah fait le maximum, il va au Koweït, en Arabie saoudite, au Qatar, chez les gros donateurs.
Mais la question sécuritaire paraît très alarmante…
Elle se dégrade. Nos locaux ont été attaqués fin janvier, l’Institut français aussi. Je ne dis pas que le Hamas ne contrôle pas la bande de Gaza, mais si rien ne change, si on ne fait pas de ce territoire une priorité, le Hamas pourrait se scinder. Des mouvements plus radicaux prendront pied dans Gaza. Le Hamas doit faire un choix. Où veut-il aller ? Veut-il agir dans les intérêts du peuple de Gaza ? Il s’agirait non pas de démanteler les groupes militaires, mais d’arrêter les opérations pendant trois ou quatre ans, de préserver un cessez-le-feu durable. Si ça arrivait, Israël devrait davantage ouvrir Gaza. Les mécanismes actuels sont conçus pour être temporaires, en attendant la fin du blocus.
Quelles sont les chances d’une nouvelle résolution palestinienne aux Nations unies, après l’échec de décembre ?
Je pense qu’un nouveau gouvernement israélien devra revoir sa politique de colonisation. Sans cela, je ne vois pas comment construire une confiance minimum. Il n’y a jamais eu de cadre politique sérieux pour les négociations. Je crois donc que la communauté internationale devrait définir des paramètres politiques équitables. Je ne crois pas que les négociations seraient juste une affaire de volonté, ça se saurait, depuis vingt ans. Il existe des différences substantielles entre les parties sur Jérusalem et le droit au retour des réfugiés. Il faut rendre un jugement de Salomon. Ça ne peut venir de l’une des parties. La France a essayé de le faire en décembre. Il faut l’implication des Etats-Unis.
En sept ans, j’ai connu deux résolutions du Conseil de sécurité. La 1815, fin 2008, après Annapolis, proclamant le caractère " irréversible " des négociations bilatérales. Deux semaines après, c’était la guerre à Gaza. Et la 1860, en 2009, la seule évoquant Gaza, mais sans définir de stratégie pour la suite. Faute d’orientation politique, je me suis senti seul, comme envoyé spécial.