Comme en chute libre, Gaza semble tomber en vrille, les boulons qui en assuraient la très relative cohésion sautant les uns après les autres. Dernier en date : l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, véritable Etat dans l’Etat à Gaza où elle assiste plus de 70% des deux millions d’habitants. Mercredi, l’institution a confirmé sa décision de licencier plus de 250 employés à Gaza et en Cisjordanie. Il s’agit du premier effet tangible du « gel » des fonds américains en faveur des Palestiniens décrété en début d’année par Washington, donateur principal de l’UNRWA.
Dans l’enclave ravagée par le chômage, un poste à l’UNRWA a longtemps été synonyme de stabilité et de retraite avantageuse. Pour ses employés, surnommés « les fonctionnaires » par la population, le choc est violent. Près de 1 000 postes sont en danger, chacun nourrissant des familles entières sur plusieurs générations. La colère s’est cristallisée sur l’Allemand Matthias Schmale, chef des opérations à Gaza depuis 2017. Lundi, alors que les syndicats venaient d’apprendre l’étendue du plan social (licenciement sec de 113 permanents, passage à mi-temps de 200 autres et incertitude pour des centaines de « temporaires » dont les contrats s’achèvent en décembre), près d’un millier d’employés ont occupé les locaux de la direction. Matthias Schmale n’a pu en sortir que vers 3 heures du matin, après l’intervention à la grenade assourdissante de ses gardes du corps et sous escorte des policiers du Hamas. Le lendemain, une petite foule l’attendait à la sortie de l’hôtel Deira, prisé des diplomates, pour lui jeter des chaussures. Une animosité rarement vue envers une institution qui s’est muée en Etat providence dans le vide laissé par les manquements du Hamas et de l’Autorité palestinienne.
Cris, malaises et essence
Pour Adnan Abu Hasna, porte-parole local de l’UNRWA, cette fièvre illustre surtout « un incroyable niveau de frustration face à une accumulation négative. Nous sommes les derniers fournisseurs de services, la dernière chose que les Gazaouis ont à perdre… » A Gaza, trois programmes d’aides d’urgence vont être dissous : le centre de soutien psychologique, un mécanisme d’emplois aidés affectant 20 000 saisonniers et une aide au logement. Des mesures présentées comme inévitables face à la « menace existentielle » créée par le retrait des Américains et un déficit de 400 millions de dollars, comblé à moitié par une levée de fonds exceptionnelle ces derniers mois. « On a tout fait pour épargner le cœur de nos activités – santé, éducation, aide alimentaire », justifie Abu Hasna.
Mercredi matin, les « fonctionnaires » grévistes ont décidé d’investir jusqu’à nouvel ordre le quartier général de l’UNRWA, au cœur de Gaza City. Badges fièrement portés autour du cou, ils brandissent leurs lettres de licenciement. Dans la cour du bunker, cris, malaises, murs barbouillés à la peinture rouge d’appels à la démission. Un homme s’asperge d’essence, menace de s’immoler avant d’être vite contenu. Tremblant de rage et de peur, Nidal Salem, 46 ans, employé depuis quinze ans en tant que « facilitateur psychosocial », s’emporte : « Je nourris mes parents, je paye les études de mes filles et je suis aujourd’hui un mendiant… » Il assure que les syndicats ont proposé des solutions moins douloureuses. Le clivage entre locaux et expatriés ressurgit. « Le salaire de Schmale peut faire vivre 40 d’entre nous, alors c’est lui qui va partir ! »
« Encourager l’extrémisme »
Pour l’instant, seuls 8% de la main-d’œuvre locale sont menacés. Mais le symbole est fort, et, pour beaucoup, lié à la volonté américaine d’affaiblir l’institution pour imposer à terme sa dissolution, vieille lune de la droite israélienne qui considère que l’agence « fige » le conflit en entretenant l’espoir du retour des réfugiés et leurs descendants.
En outre, la Maison Blanche bloque 250 millions de dollars d’aide annuelle aux Palestiniens, hors UNRWA, approuvés par le Congrès, prétextant le besoin d’un « audit ». Une asphyxie financière censée faire revenir Mahmoud Abbas à la table des négociations : le vieux raïs a coupé les ponts avec les émissaires trumpistes depuis le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem.
Mardi, en marge d’un Conseil de sécurité sur le Proche-Orient à l’ONU, l’ambassadrice américaine Nikki Haley a renvoyé la balle aux pays arabes, accusés de « faire des discours à des milliers de kilomètres plutôt que d’aider réellement » et aux Palestiniens, qui « mordent la main qui les nourrit ». Pour son homologue palestinien Riyad Mansour, Haley est désormais, à l’image de l’administration Trump, « plus israélienne que les Israéliens ». Et Adnan Abu Hasna de prévenir : « Souhaiter la fin de l’UNRWA, à Gaza ou ailleurs, c’est encourager l’extrémisme. Vers qui pensent-ils que vont se tourner ces personnes qu’on nous force à abandonner ? »