Il a fallu à Israël 22 jours, provoquer la mort de 1 300 personnes et faire 5 300 blessés pour stopper son « Plomb durci » à Gaza. Mais avec ces dommages, en majorité dans les rangs des civils, ou ces destructions considérables de l’infrastructure gazaouie, d’autres dégâts ne tarderont pas à surgir. Beaucoup de protagonistes récolteront les conséquences de ces jours et nuits terrifiants qu’ont vécus les Palestiniens. Parce que sans faire état d’un épouvantable pessimisme, tout le monde semble perdant. Il faudrait peut-être laisser à l’Histoire cette mission de juger, mais des résultats au moins sur le court terme se profilent déjà.
Le premier fait évident avec un peu de calcul révèle que depuis 1948, c’est-à-dire depuis la création même de l’Etat d’Israël, celui-ci fait la guerre aux Arabes en moyenne tous les 6 ans et demi, sans savoir à quoi cela mène si ce n’est que davantage de complications et de haine.
Pour cette guerre contre Gaza, Israël se dit vainqueur. Si l’on s’attache aux faits militaires, c’est le conflit où Israël a enregistré le moins de dégâts, et le front intérieur est resté uni derrière les chefs de guerre. Ceux-ci l’avaient mené sous le titre « Changer la réalité à Gaza ». Un titre qui s’est avéré assez large et flou pour être fixé comme objectif à l’armée. Au lieu de battre à plate couture le Hamas, comme cela était supposé, les Israéliens ont alors annoncé qu’ils visaient « à arrêter les tirs de roquettes palestiniennes sur leurs villes ». A ce jour, et sauf ces destructions massives à Gaza, rien ne prouve qu’une telle mission a été menée à bien. Jusqu’à l’annonce par les factions palestiniennes d’une trêve d’une semaine dans les opérations, des roquettes Qassam visaient encore les territoires israéliens.
En fin de compte, l’armée israélienne a évité d’entrer en profondeur dans la bande de Gaza et a attendu une sorte de compromis, indirect avec le Hamas pour arrêter son opération. Diplomatiquement, si ceci se définit comme victoire, Israël a peut-être réussi à rallier une bonne partie de la communauté internationale derrière sa cause. Il n’est pas question ici de Washington, classiquement et aveuglement loyal à Tel-Aviv, même si « l’accord offert de très bon gré de Rice à Livni sur la lutte contre la contrebande d’armes est certainement un point en faveur des Israéliens », explique le spécialiste des affaires israéliennes Emad Gad.
Par communauté internationale, on parle notamment d’une Europe qui se disait objective. « Une Europe qui s’est montrée peu révoltée par l’action militaire israélienne, si l’on compare avec la réaction européenne lors la guerre au Liban en 2006 », explique Azmi Bechara, ancien député israélien à la Knesset. Un comportement traduisant moins une incompétence qu’une obsession sécuritaire des Européens et qui nuira certes à leurs efforts de conquérir la confiance des Arabes.
Israël veut soigner son image
Ce repli européen n’a pourtant pas empêché Israël de paraître une fois de plus comme un Etat colonial et sans cesse brutal. Une dégradation de son image qui l’a poussé à lancer une sorte d’« attaque » propagandiste pour la réparer. Six ministres israéliens se rendront ainsi dans différentes capitales européennes et devraient intervenir sur les télés publiques. Le ministre de l’Intérieur, qui en fait partie, affirme dans le Yediot Aharonot : « Je ne comprends pas pourquoi le monde fait la leçon contre l’opération israélienne. Personne ne devrait se plaindre à nous de la destruction de Gaza (...) Ce n’est pas nous qui avons initié cela. L’Europe et l’Otan l’ont fait au Kosovo, les Américains l’ont fait à Fallujah ».
Cette performance jugée ternie sur la scène diplomatique, c’est apparemment Tzipi Livni qui en assumera les conséquences. Car elle a échoué à convaincre l’allié américain d’opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité demandant un arrêt immédiat de la guerre. C’est un coup sévère au parti Kadima, estiment les analystes. Et du coup, le grand bénéficiaire est le Travailliste Ehud Barak qui était en chute libre dans les sondages. L’ex-premier ministre du Likoud, Benyamin Netanyahu, reste pourtant le favori des sondages à l’approche des élections.
Chez les Palestiniens, les pertes ne sont pas moins graves. Abou-Mazen, le président palestinien, est l’un de ces grands perdants. Il est apparu comme incapable de représenter et de protéger son peuple contre cette guerre. De la Cisjordanie où il siège, il a ordonné aux forces de sécurité de contenir les rassemblements pro-Gaza. Il a encore rejeté l’idée de cesser la coopération sur la sécurité avec Israël ou de suspendre les pourparlers de paix, déjà en panne.
Il est d’autant plus affaibli qu’une controverse sur l’expiration de son mandat a éclaté en pleine offensive israélienne. Sa survie politique reste ainsi tributaire de la formation d’un gouvernement d’union nationale avec le Hamas. Une réconciliation interpalestinienne serait ainsi rapidement mise en marche sous médiation égyptienne, estiment les observateurs. Sauf si l’improbable scénario d’une destruction totale du Hamas se confirme après le retrait des troupes israéliennes. Parce qu’en dépit de ce « Plomb durci », peu d’indices confirment un affaiblissement radical du mouvement palestinien. Tout comme le Hezbollah au Liban, le Hamas est un parti politique qui dispose d’une assise populaire importante. Emad Gad affirme pourtant que le Hamas « a enregistré des pertes énormes en dépit du discours de victoire lancés par ses chefs ». Gad évoque même une division au sein du mouvement entre « les radicaux et les moins radicaux ». Une division qui, estime-t-il, affaiblirait le mouvement et encouragerait d’autres factions à l’évincer. L’éclatement de nouveaux affrontements interpalestiniens en serait une conséquence. « Les choses tourneront autrement au cas où le Hamas se relèverait de cette frappe en reprenant le contrôle de la situation et en mettant en marche les institutions », précise Gad. Le numéro deux du Hamas, Moussa Abou-Marzouq, affirme ainsi que « le mouvement est en bon état aussi bien que ses dirigeants et ses membres et encore plus sa volonté ». Ramadan Cheleh, dirigeant du Djihad, affirme pourtant que la résistance « reste en faveur du maintien du Hamas au pouvoir ».
L’Egypte en action
La plus importante onde de choc dans ce cas serait à destination de l’Egypte. Son initiative avait subi un coup dur, avec l’annonce d’un cessez-le-feu unilatéral du côté israélien. C’est pourquoi à partir de demain, les Egyptiens accueillent des Palestiniens et des Israéliens pour éviter un nouvel éclatement, au moins dans un futur proche, et pour œuvrer aussi à une reprise des pourparlers de paix. La paix, elle aussi, est une importante perdante dans cette guerre et si elle n’est pas sauvée, c’est toute la stabilité de la région qui est en danger. Israël vient de confirmer une fois de plus qu’il n’est pas un partisan de la paix. Il n’a pas voulu le faire avec les nationalistes laïques, ni avec Arafat neutralisé et encore moins avec le Hamas. Sinon comment expliquer que pendant les 6 mois de trêve décrétée entre les factions palestiniennes et Israël, la paix n’a pas bougé d’un pouce.