Plusieurs centaines de morts à Gaza, dont beaucoup dans la population civile. Le peuple de Gaza, après deux ans de punition collective, est aujourd’hui assassiné de sang-froid. C’était le scénario le plus noir, et il a été a été choisi collectivement. Non seulement par des dirigeants israéliens en veille d’élections qui jouent leur avenir politique sur ce coup de dés, mais aussi par la fraction radicale du Hamas, lassée d’une trêve qui ne leur avait rien rapporté - car jamais le blocus n’a été levé ou un dialogue entamé. Mais aussi par les dirigeants européens, qui, dès 2006, ont choisi leur camp. Ils ont emboîté le pas aux États-Unis pour sanctionner sans états d’âme un gouvernement Hamas légitimement élu. Mais ils ont voulu sauver la face vis-à-vis de leurs propres citoyens : ils ont mis sur pied une aide humanitaire impuissante à pallier les conséquences du blocus. Cette aide ne parvenait même plus à Gaza au cours de ces dernières semaines. En décembre 2008, au Conseil, les dirigeants européens prennent une décision incroyable au vu de la situation humanitaire désespérée sur le terrain : ils accèdent, sans condition et de façon accélérée, à la demande d’Israël de voir son statut politique revalorisé.
Et pourtant, à ce moment-là, ils ne peuvent ignorer l’option militaire, ils ont toutes les cartes en main. Madame Livni s’est déplacée pour les rencontrer à Bruxelles et elle a été très claire. Comme elle l’a été devant la commission des Affaires étrangères du Parlement européen au cours du même voyage : « L’option militaire contre Gaza est sur la table et probable. » Et Livni ajoute aux parlementaires : « Nous avons besoin de l’Europe » ! Et elle insiste : « Israël a besoin de l’Europe ; que la Ligue arabe tente de calmer les Palestiniens ! » Réintroduisant, comme sans y toucher, le choc des civilisations : à chacun de s’occuper des siens. Le Conseil approuve, quasi en catastrophe, la revalorisation d’Israël, mais le Parlement européen, inquiet de l’évolution à Gaza, reporte son vote, soutenu par une campagne de mails impressionnante. La suite est connue. Même l’Égypte a reçu la visite de Tzipi Livni avant l’offensive. Ce pays, connu pour ses médiations, a-t-il plaidé la paix ? En tout cas, il a renforcé ses frontières avec Gaza. La souricière était bien bouclée.
On vient dire aujourd’hui : c’était inévitable. Avec ces tirs de roquettes, Israël devait se défendre. C’est vrai. Mais la meilleure façon de se défendre n’était-elle pas de desserrer l’étau qui étranglait Gaza ? De tenter un dialogue politique qu’il faudra inévitablement ouvrir un jour ? Nous n’avons jamais fait l’effort de comprendre l’islam politique et trouvé la manière de le combattre sans trahir nos valeurs. Nous venons d’accéder implicitement à une offensive militaire que nous tentons aujourd’hui d’arrêter en poussant des cris d’orfraie. Quelle hypocrisie ! Depuis deux ans, les Européens accumulent les contradictions et les incohérences. C’est en toute connaissance de cause qu’ils ont laissé le Hamas participer aux élections de janvier 2006. Mais ils n’avaient pas prévu sa victoire, et donc ils le sanctionnent. Lors du printemps 2007, un petit miracle se produit : les accords de La Mecque, la création d’un gouvernement d’unité nationale et la reprise de l’initiative de paix arabe : 22 pays arabes sont prêts à garantir la paix avec Israël sur les frontières de 1967.
Est-ce que les dirigeants européens sautent sur l’occasion ? Au Parlement européen en tout cas, les députés lancent en plénière au haut-représentant : « Monsieur Solana, foncez ! » Mais le Conseil snobe l’initiative et refuse de considérer le gouvernement d’unité nationale comme un tout.
Les dirigeants picorent parmi les ministres palestiniens et ne tendent la main qu’aux « politiquement corrects », ceux que les États-Unis avaient imposés. Et ils continuent à ignorer le Hamas. Poussé à la faute, celui-ci commet l’irréparable en juin 2007. C’est la première fois qu’un parti qui a gagné les élections et est au gouvernement fait un putsch. Et de réunion de Quartet en réunion, on condamne, à juste titre, les tirs meurtriers de roquettes, mais on « déplore », « regrette » l’extension des colonies et la fermeture des accès de Gaza. Et il y a longtemps qu’on n’évoque plus sur les assassinats extrajudiciaires perpétrés contre des « activistes » et les « dégâts collatéraux ». Il y a des nuances sémantiques qui tuent aussi sûrement que des balles. Et des complaisances qui deviennent des complicités. Le bain de sang de Gaza est le produit de ces complaisances. Nous y avons tous participé. Et pourtant, il n’y a pas, il n’y aura pas d’autre issue que négociée, et nous devrons apprendre à traiter le Hamas en adversaire politique et à le vaincre avec des armes politiques. L’Irak et l’Afghanistan ne nous ont-ils donc rien appris ?