C’est une guerre sur deux fronts. Il y a des mois, se disposant à déclencher une nouvelle vague de destructions sur Gaza, l’Etat hébreu estimait que l’élimination du Hamas et de l’“infrastructure du terrorisme” – qui englobe commissariats, maisons et mosquées – serait une mission simple. Israël a aussi compris qu’il lui faudrait, en parallèle, s’efforcer de convaincre le reste du monde de la justesse de sa cause en l’inscrivant dans la lutte menée par l’Occident contre le terrorisme.
Après la débâcle de son invasion du Liban, en 2006, qui a été un désastre non seulement militaire mais également politique et diplomatique, le gouvernement de Tel-Aviv a passé plusieurs mois à préparer le terrain sur le plan national et international avant de lancer son assaut contre Gaza. Il s’est livré à un siège discret mais énergique des gouvernements et diplomates étrangers, tout particulièrement en Europe et dans certaines régions du monde arabe.
Une nouvelle direction de l’information a été mise en place afin d’influencer les médias – non sans succès. Quand l’offensive a été déclenchée, le 27 décembre, des hordes de diplomates, de groupes de pression, de blogueurs et autres partisans d’Israël sont entrés en action. Il s’agissait pour eux de faire passer une poignée de messages clés soigneusement formulés et présentant Israël en victime, alors même que les bombardements de Tsahal ont tué plus de 430 Palestiniens (dont au moins un tiers de civils et de policiers) au cours des premiers jours.
Dan Gillerman, qui était ambassadeur de l’Etat hébreu aux Nations unies il y a quelques mois encore, a été appelé à la rescousse. A l’en croire, les travaux préparatoires, dans le domaine diplomatique et politique, ont débuté depuis des mois. “C’est quelque chose qui a été planifié très en amont, explique-t-il. J’ai été recruté par le ministre des Affaires étrangères pour coordonner les efforts israéliens et je n’ai jamais vu une mécanique aussi complexe, qu’il s’agisse du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Défense, du cabinet du Premier ministre, de la police ou de l’armée, travailler avec une telle coordination, avec une telle efficacité pour faire passer le message.”
Lors de réunions à Jérusalem et à Londres, Bruxelles et New York, les mêmes messages ont été réitérés : Israël n’avait d’autre solution qu’attaquer, en réaction aux tirs de roquettes du Hamas ; l’offensive à venir porterait sur l’“infrastructure du terrorisme” à Gaza et prendrait principalement pour cibles les combattants du Hamas ; des civils seraient tués, mais ce serait à cause du Hamas, qui a choisi comme tactique de noyer ses combattants et ses fabriques d’armement dans la population.
Israël a dépeint le Hamas comme un élément d’un axe du mal islamique formé avec l’Iran et le Hezbollah. Les Israéliens ont affirmé que leurs actions n’auraient rien à voir avec la poursuite de l’occupation de la Cisjordanie, le blocus de Gaza ou l’exécution d’un grand nombre de Palestiniens. “Israël fait partie du monde libre et lutte contre l’extrémisme et le terrorisme. Pas le Hamas”, a assuré Tzipi Livni, la ministre des Affaires étrangères, à son arrivée en France dans le cadre de l’offensive diplomatique. Un peu plus tôt, elle avait eu recours à la rhétorique du “Avec nous ou contre nous” chère à George W. Bush. “Nous vivons des jours où chacun dans la région et dans le monde doit choisir son camp. Et les camps ont changé. Ce n’est plus Israël d’un côté et le monde arabe de l’autre”, a-t-elle dit. Ce message était destiné tout particulièrement aux gouvernements arabes, qui considèrent le Hamas avec hostilité. “De grandes régions du monde musulman et arabe comprennent que le Hamas représente un danger plus grand encore pour eux que pour Israël, soutient Gillerman. Nous en avons constaté les effets dans les déclarations publiques du président Moubarak et même dans celles de Mahmoud Abbas. C’est absolument sans précédent.”
La direction de l’information nationale du gouvernement israélien s’est efforcée d’attirer l’attention des médias étrangers sur les 8 500 roquettes tirées depuis Gaza sur Israël au cours des huit dernières années – et sur les 20 civils que celles-ci ont tués – plutôt que sur le terrible blocus imposé à Gaza et les 1 700 Palestiniens tués dans des opérations militaires israéliennes depuis le retrait des colons juifs, il y a trois ans. On a mobilisé des groupes de pression comme le Centre britannique de recherche et de communications sur Israël (Bicom) et le Projet Israël en Amérique. A New York, des diplomates israéliens ont orchestré une “conférence de presse citoyenne” sur Twitter pour des milliers de personnes.
“En gros, Livni cherche à me convaincre qu’ils font ça pour mon bien”, lance Diana Buttu, une consultante juridique de l’OLP qui avait participé en 2005 aux négociations avec les Israéliens sur le retrait de Gaza. “Des amis israéliens m’ont répété la même chose : ‘Vous devriez être contents qu’on élimine le Hamas. Ils constituent un problème pour vous aussi.’ Je ne crois pas que perpétrer un massacre soit bon pour qui que ce soit.”
Quand le carnage a commencé, Israël a affirmé que la majorité écrasante des quelque 400 morts étaient des combattants du Hamas et que les bâtiments détruits faisaient partie de l’infrastructure du terrorisme. Mais un tiers des tués sont des policiers. Si la police de Gaza est effectivement sous le contrôle du Hamas, Mme Buttu estime qu’Israël déforme la réalité en la présentant comme une organisation terroriste. “Les policiers servent avant tout à maintenir l’ordre, à surveiller la circulation, à lutter contre le trafic de drogue. Ce ne sont pas des combattants. Ils les ont bombardés lors d’une cérémonie de remise des diplômes. Si vous travaillez dans la fonction publique, cela fait-il de vous une cible ? Est-on une cible légitime parce qu’on a voté pour le Hamas ?” poursuit-elle.
L’Etat hébreu affirme que le mouvement islamique a tiré un trait sur le cessez-le-feu que Tel-Aviv était prêt à reconduire. “Israël est le premier à vouloir que cessent les violences. C’est le Hamas qui a rompu la trêve”, a déclaré Mme Livni. Or, à en croire certains, la trêve a été rompue en novembre par l’armée israélienne, quand celle-ci a tué six combattants du Hamas lors d’un raid sur Gaza. Les Palestiniens ont souligné que cet accrochage avait eu lieu le jour de l’élection présidentielle aux Etats-Unis, si bien que le reste du monde ne s’en était presque pas aperçu. Le Hamas avait riposté en tirant une salve de roquettes en Israël. La semaine suivante, six autres Palestiniens avaient été tués au cours de deux attaques israéliennes.
“Ils ont attaqué Gaza militairement, par mer et par air, tout au long de la période du cessez-le-feu”, dit Mme Buttu. Et des Palestiniens ont continué à mourir. Au cours des trois ans qui se sont écoulés entre la prise de pouvoir du Hamas et le début de l’offensive actuelle, les forces israéliennes ont tué près de 1 300 personnes à Gaza et en Cisjordanie. De juin 2007 à juin 2008, les attaques israéliennes ont causé la mort de 68 enfants et jeunes palestiniens à Gaza.
La cause majeure de l’échec du cessez-le-feu est peut-être qu’aucune des parties ne s’entendait sur ses conséquences éventuelles. Pour Israël, la trêve était synonyme de calme. Le Hamas, lui, espérait que Tel-Aviv lèverait le blocus de Gaza, imposé officiellement en réaction aux tirs de Qassam. Or Israël n’a pas mis fin au siège, qui a causé des ravages dans l’économie et entraîné des pénuries dramatiques de vivres, de carburant et de médicaments. Les Gazaouis en ont conclu que le blocus, plutôt que d’interrompre les tirs de roquettes, visent surtout à les punir d’avoir voté pour le Hamas.
L’idée force du message israélien est que, quand l’armée et les colons sont partis, il y a trois ans, Gaza s’est vu offrir une chance de prospérer. “Afin de laisser place à l’espoir, nous avons retiré nos forces et nos implantations, mais, au lieu que Gaza devienne le point de départ d’un Etat palestinien, le Hamas a établi un pouvoir islamiste extrême”, a expliqué Mme Livni. Les responsables israéliens prétendent que le Hamas et, par extension, les gens qui l’ont élu ont préféré haïr et tuer des Juifs plutôt que bâtir un pays.
Les Palestiniens ne sont pas de cet avis. Mme Buttu estime que les Israéliens ont entrepris, dès qu’ils se sont retirés de Gaza, de torpiller son économie. “Quand les Israéliens sont partis, nous nous sommes dit que les Palestiniens de Gaza pourraient vivre un peu plus librement. Nous espérions qu’ils ouvriraient les points de passage. Nous ne pensions pas que nous serions obligés de mendier pour nous ravitailler”, commente-t-elle. Elle rappelle qu’avant même l’élection du Hamas, il y a trois ans, les Israéliens imposaient déjà un blocus complet à Gaza.
Pour Yossi Alpher, ancien membre du Mossad et ancien consultant sur les pourparlers de paix auprès du Premier ministre de l’époque, Ehoud Barak, le blocus de Gaza était une stratégie inefficace qui risquait de renforcer le Hamas. “C’est un châtiment collectif, des souffrances humanitaires. Cela n’a pas amené les Palestiniens de Gaza à se comporter comme nous le voulions. Alors, pourquoi l’avoir fait ? conclut-il. Je crois que les Israéliens pensaient vraiment que, si nous affamions les Gazaouis, ceux-ci obligeraient le Hamas à mettre un terme aux attaques. C’était absurde.”