Devant un entrepôt de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, au nord de Gaza, les files d’attente se multiplient. Il n’est que 9 heures, mais, déjà, de nombreux Gazaouis se sont regroupés pour la distribution de nourriture. Parmi eux, Mahmoud Hissi se présente devant un guichet, un coupon à la main. « Il y a deux catégories, raconte-t-il. Les coupons jaunes pour les familles les plus pauvres, les blancs pour les autres. Moi, je n’ai droit qu’à un blanc, on me donne moins de nourriture. » Au terme d’une longue attente, un homme lui remet un carton. À l’intérieur, trois litres d’huile, des haricots, du sucre, du houmous. De l’entrepôt, il ressortira aussi avec un sac et demi de farine. « C’est ma ration pour les trois prochains mois, pour toute ma famille. Cela couvre à peine nos besoins, alors vous imaginez si ça s’arrête ? Je n’ai pas d’emploi. On n’a que Dieu et ces coupons pour nous aider. »
Comme Mahmoud Hissi, des familles entières dépendent de ces aides. Pour rencontrer celle d’Ensheran Abu Obaid, il faut parcourir de longs couloirs étroits, au cœur du camp de réfugiés d’Al-Shati. Un petit labyrinthe qui borde la mer au nord-est de Gaza. Il concentre 84 000 personnes sur un demi-kilomètre carré. Cette femme de 70 ans vit avec sa famille dans un appartement vétuste et étroit, au rez-de-chaussée. Autour d’elle, des bambins s’agitent. « J’ai sept enfants et vingt-six petits-enfants ! » annonce-t-elle fièrement. Une de ses petites-filles prépare du pain à même le sol. « Cinquante personnes habitent dans le bâtiment, explique Ensheran Abu Obaid. Nous vivons tous grâce aux aides. Sans elles, on ne pourrait pas manger. Certains de mes petits-enfants peuvent même aller à l’école de l’UNRWA. »
Fermeture des écoles en décembre
L’organisation a ouvert près de 300 établissements scolaires à Gaza. Dans l’école primaire de Jabalia, 1 094 élèves sont répartis dans vingt-sept classes. Ils sont souvent plus de quarante enfants dans des salles surchargées. En début d’après-midi, des petites-filles apprennent l’alphabet arabe, avec les mots commençant par la lettre D. « Dima, Daan, Daftar… » chantent-elles en chœur. Toutes participent, mais au moment de la retranscription, beaucoup n’ont même pas un stylo pour écrire. « C’est très difficile pour nous de continuer à enseigner », soupire Aida Atiya Suliyman qui dirige l’établissement. « Avant, on distribuait des fournitures scolaires en début d’année, des cahiers, des dictionnaires. Aujourd’hui, c’est terminé. Si les parents n’ont pas les moyens de leur acheter les livres, les enfants ne peuvent pas venir en classe. » Ici, l’année scolaire pourrait même devenir la plus courte du monde. Avec son budget actuel, l’UNRWA ne peut assurer ses services que jusqu’en décembre.
Taux de chômage de 53 %
Dans la bande de Gaza, qui compte 1,8 million d’habitants, près d’un million de personnes bénéficie des services de l’UNRWA et 70 % de la population a le statut de réfugié. Ici, le chômage est massif : plus d’un actif sur deux (53 %, selon les derniers chiffres). Chez les jeunes, il culmine à 72 %.
Des profondeurs du camp de réfugiés d’Al-Shati aux appartements aisés du centre de la ville de Gaza, il n’y a que quelques kilomètres à parcourir. Au sommet de son immeuble, Maï Youssef vit avec son mari et ses deux enfants dans un appartement cossu. Pendant dix ans, elle a travaillé pour une organisation internationale basée à Gaza. Elle aidait les jeunes à trouver un stage ou un travail. Un emploi qu’elle évoque désormais au passé. Depuis la décision de Donald Trump de stopper tout financement de l’UNRWA, c’est elle qui doit faire face au chômage. « J’ai dix ans d’expérience et je n’arrive pas à retrouver de travail ! » s’insurge-t-elle. « Même les jeunes diplômés, docteurs, ingénieurs, ne trouvent pas d’emploi. Les gens n’arrivent pas à sortir du chômage. »
La situation a poussé beaucoup de jeunes à participer à la marche du retour ces derniers mois : depuis le 30 mars, les Gazaouis manifestent chaque vendredi le long de la frontière avec Israël. Ils affrontent son armée pour affirmer leur droit de retourner sur leurs terres, conquises par l’État hébreux en 1948. Pierres et cerfs-volants enflammés s’échangent contre les balles des snipers israéliens. Une action perçue comme un dernier recours par de nombreux jeunes, pour attirer l’attention de la communauté internationale. Omar Shaban, politologue au sein de Palthink, un think tank palestinien, craint que, à cause du manque de perspective, la violence ne s’intensifie : « La crise va s’aggraver entre Israël et les milices présentes à Gaza. Si les jeunes ne vont plus à l’école, ils se retrouveront dans la rue. Ils rejoindront des formations militaires, des groupes radicaux. »
Déjà, les heurts se sont intensifiés à la frontière ces derniers jours. Dans les rues de Gaza, des milliers d’habitants organisent des marches pour protester contre les coupes budgétaires et les suppressions d’emploi. Des membres des syndicats, menottés, rythment l’avancée du cortège, sous les discours des leaders, qui appellent à continuer les protestations.