Photo : Citrons de Palestine en mars 2023 - Source : Wikipédia
Furush Beit Dajan - Le téléphone du bureau d’Azem Hajj Mohammed ne cesse de sonner. Le chef du conseil municipal de Furush Beit Dajan, un village du nord de la Cisjordanie occupée, a travaillé sans relâche toute la nuit, s’efforçant de découvrir l’identité de deux individus originaires du village voisin de Jiftlik.
Les suspects se seraient introduits clandestinement dans le système de distribution d’eau à la faveur de l’obscurité, ce qui aurait déclenché un conflit secret au sujet de l’eau.
Conformément à la législation de l’époque ottomane, les habitants de Furush Beit Dajan doivent recevoir 10 % de l’eau provenant du puits artésien du nord, tandis que Jiftlik en reçoit 90 %. Pourtant, pendant les périodes où la distribution d’eau est faible, certains résidents insatisfaits ont recours à des branchements illégaux, ce qui alimente les tensions croissantes au sein de la communauté, où l’agriculture est la principale source de revenus pour neuf personnes sur dix.
« Je dois rapidement identifier les responsables et jouer le rôle de médiateur avant que ce vol ne se transforme en querelle familiale et n’attire l’attention de l’armée israélienne », a déclaré le maire à The New Arab lors d’une brève pause entre deux appels. « Personne ne veut avouer. Je vais devoir analyser les images de surveillance, les localiser et entamer un dialogue », informe-t-il son adjoint.
Les traces de fatigue, dessinées par des cernes autour de ses yeux, traduisent son épuisement à gérer un village, pris au piège d’un paradoxe. Bien qu’il soit situé au-dessus de la généreuse nappe phréatique de l’Est, l’eau coule au compte-gouttes et de façon rationnée.
La stricte réglementation israélienne en matière d’eau, aggravée par une profonde sécheresse dans la vallée du Jourdain, a provoqué une crise de l’eau sévère, perturbant l’économie du village et poussant les agriculteurs à pratiquer des cultures intensives.
La grande inquiétude d’Azem Hajj Mohammed vient du fait que l’accès à l’eau garantit la paix sociale à Furush Beit Dajan.
Le village s’est fait un nom dans le secteur agraire palestinien, en grande partie grâce à ses vastes vergers de citronniers, un fruit dont la production consomme beaucoup d’eau.
« L’arôme des citrons flottait dans le village comme une brume. L’eau coulait généreusement, alimentant des champs et un moulin. Les ruisseaux coulaient avec une telle vigueur que les enfants risquaient de s’y noyer », raconte ’Abd al-Hamid Abu Firas. L’agriculteur n’avait que dix-neuf ans lorsque, en 1967, Israël a occupé la Cisjordanie et ses ressources en eau après la guerre des Six Jours.
Depuis lors, la disponibilité de l’eau n’a cessé de diminuer. En 1993, les accords d’Oslo ont effectivement accordé à Israël le contrôle de la gestion de l’eau, ce qui lui permet aujourd’hui de contrôler 80 % des réserves d’eau de la Cisjordanie.
Aujourd’hui, les Israéliens, y compris les colons, disposent en moyenne de 247 litres d’eau par jour, tandis que leurs voisins palestiniens de la zone C - sous contrôle militaire israélien total - n’ont que 20 litres, soit un cinquième de la recommandation minimale de l’Organisation mondiale de la santé.
Néanmoins, la pénurie d’eau n’est pas le seul problème du village, étant donné l’abondance des ressources en eau de la nappe aquifère orientale qui se trouve sous le village. La colonie israélienne illégale de Hamra, située à proximité, témoigne de l’inégalité de la répartition des ressources en eau souterraine en Cisjordanie occupée.
Construite en 1971 sur des terres saisies aux Palestiniens, Hamra abrite une plantation tentaculaire de palmiers-dattiers de 40 hectares. La production d’une tonne de dattes nécessite 2 300 mètres cubes d’eau, soit dix fois plus que pour une tonne de tomates.
Face à la baisse du niveau des nappes phréatiques et à l’augmentation des besoins en eau des colonies israéliennes voisines, les agriculteurs ont été contraints de faire un choix profond : abandonner les cultures de citrons indigènes et adopter progressivement la culture intensive et la culture de tomates sous serre, qui offrent un meilleur rapport productivité/eau.
En moyenne, 214 mètres cubes d’eau permettent de produire une tonne de tomates, alors que des études de l’institut néerlandais Delft pour l’éducation à l’eau révèlent que la même quantité de citrons nécessite en moyenne trois fois plus d’eau.
Face à ces obstacles, les agriculteurs sont allés de l’avant en s’adaptant aux circonstances. En conséquence, le paysage autrefois débordant de citronniers a cédé la place à une transformation frappante - le blanc austère des serres de tomates se substitue désormais au vert verdoyant. Sur ses 450 citronniers, Rasmi Abu Jeish, un agriculteur de 50 ans, n’en a conservé que 30, en hommage à l’héritage familial.
« Le fait de ne compter que sur une seule culture rend les agriculteurs vulnérables aux fluctuations des prix et les incite à recourir aux pesticides et aux engrais pour obtenir des bénéfices stables. À long terme, ce cycle néfaste épuise la fertilité des sols et les rend impropres à l’agriculture », explique Muqbel Abu-Jaish, du Palestinian Agriculture Relief Committees, une organisation qui soutient les agriculteurs locaux dans la gestion des ressources en eau.
Avec la disparition des agrumes, le village est devenu plus chaud, presque insupportable pendant les étés torrides où les températures dépassent les 40°C dans la vallée du Jourdain. L’accès limité à l’eau, associé aux politiques expansionnistes des colonies israéliennes et aggravé par le changement climatique, a réduit l’agriculture à seulement 2,6 % du PIB de la Cisjordanie.
Une étude de l’université publique palestinienne d’An-Najah révèle une tendance inquiétante à la baisse des précipitations annuelles dans le nord de la vallée du Jourdain.
En analysant les relevés climatiques de 1970 à 2019, l’étude a révélé une réduction de 4,5 mm par décennie sur une moyenne de 140 mm de précipitations par an dans cette zone désertique sujette à la sécheresse, ce qui met en évidence l’impact lent mais croissant du changement climatique sur la recharge des nappes phréatiques de la région, qui dépend fortement de l’irrigation. Les précipitations d’automne devraient diminuer de 40 % dans les régions du nord et du centre d’Israël et du territoire palestinien occupé.
La jeune génération d’agriculteurs a accepté le changement de production, mais cela ne s’est pas fait sans heurts. « Même si l’eau s’est raréfiée, nous avons décidé de continuer à pratiquer l’agriculture. La charge de travail a considérablement diminué, mais il n’y a pas grand-chose d’autre ici pour nous. C’est comme si la vie s’était éteinte sans eau. Nous devons faire avec », explique Saeed Abu Jaish, 25 ans, dont la famille a réduit les terres cultivées de 15 à deux dounams, tous convertis en serres.
Les restrictions israéliennes imposées aux Palestiniens pour la mise en place d’infrastructures, même rudimentaires, de collecte et de stockage des eaux de pluie, ne font qu’aggraver les difficultés. L’ensemble du village se trouve dans la zone C, fermement placée sous la juridiction administrative et militaire israélienne, ce qui interdit de fait tout projet d’agriculture ou de construction.
En 2021, le maire a réussi à ériger un réservoir d’eau agricole, mais l’armée israélienne l’a rapidement démantelé en l’espace de quelques heures - ce qui reflète un schéma récurrent, comme en témoigne le sort de 270 installations d’eau dans la zone C au cours des cinq dernières années.
En conséquence, le conseil local a les mains liées lorsqu’il s’agit de moderniser le système d’approvisionnement en eau, qui remonte à l’époque de la domination britannique avant 1948. Sur les neuf puits qui alimentaient autrefois le village, la moitié est à sec.
Les autres puits ont vu leur débit diminuer inexorablement, passant d’un généreux 2 000 mètres cubes par heure avant 1967 à seulement 30 mètres cubes aujourd’hui, comme l’explique le maire Azem Hajj Mohammed à The New Arab.
Les restrictions d’eau en Cisjordanie occupée ont un autre impact critique et durable. Un vestige législatif de l’ère ottomane, qui fait désormais partie de la législation israélienne, permet de qualifier les champs palestiniens en jachère de « terres d’État » s’ils sont restés inexploités pendant trois ans.
En raison de la pénurie d’eau, de l’augmentation des coûts et des restrictions israéliennes, les agriculteurs abandonnent les terres qui ne peuvent pas être irriguées, ce qui réduit leurs revenus et pèse sur les finances familiales. L’irrigation des terres inexploitées de la zone C pourrait rapporter environ 704 millions de dollars à l’économie palestinienne, soit à peu près 7 % du PIB.
« Je ne vois aucune perspective d’amélioration dans le statu quo actuel, où les accords d’Oslo accordent à Israël le contrôle de l’eau. Le nombre de colons ne cesse d’augmenter alors que les réserves d’eau diminuent. Sans un changement, la situation ne peut qu’empirer », affirme Issam Khatib, professeur d’études sur l’eau et l’environnement à l’université de Birzeit.
À 63 ans, Adir Abu Anish ne s’occupe que d’un sixième de ses 50 dunams. Au milieu des serres de tomates, il se risque à planter des vignes qui, selon lui, se faneront au bout de quelques années. Son ruisseau d’irrigation, autrefois fiable, est désormais contaminé par les eaux de la ville voisine de Naplouse, ce qui a incité le maire à intenter une action en justice.
À l’ombre de ses vignes, Abu Anish soupire : « Traditionnellement, les parents lèguent des richesses. Nous, nous laissons des terres stériles. »
Traduit par : AFPS