Mohammed Abou Mor, 26 ans, vit et étudie à Alexandrie, en Égypte. Hiba Ferwana, 23 ans, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Leur mariage était prévu en juillet dernier, mais le bouclage du territoire par Israël après le coup de force des islamistes du Hamas, le mois précédent, les a forcés à annuler les festivités.
Mercredi dernier, le jeune homme qui parle avec un petit sourire poli aux coins des lèvres, a accouru à la frontière, où la clôture a été éventrée à l’explosif par des activistes au plus fort du blocus israélien imposé à la bande de Gaza, pour épouser sa fiancée.
« Cette nuit-là, nous avons entendu d’énormes explosions venant de la frontière. Des gens ont commencé dans la rue à crier : +ils ont fait exploser la frontière+ », raconte le père de Mohammed, Jaber, un petit homme au visage buriné.
« A trois heures du matin, continue-t-il, j’ai appelé mon fils et lui ai dit +tu dois venir tout de suite, la frontière est ouverte+ ». « A neuf heures, j’étais là », reprend Mohammed, assis avec les hommes de la famille.
A plusieurs reprises, il a tenté de rejoindre Gaza, en transitant par Israël. Jamais il n’a obtenu d’autorisation. « On l’aurait fait passer par les tunnels (entre l’Égypte et Gaza) pour le marier s’il l’avait fallu », lance son père, en plaisantant à moitié.
« Mais j’ai réussi à revenir grâce à Dieu, renchérit le fils. Demain nous allons faire la fête. Ce sera un grand jour ».
A l’étage, où ont été accrochées des guirlandes, les amies et les femmes de la famille fêtent, comme le veut la tradition, le prochain départ de Hiba qui ira vivre avec son mari en Égypte. Une vieille stéréo diffuse des chansons populaires, des enfants distribuent des douceurs et des jus de fruits.
« En juillet, les faire-part avaient été envoyés, ma robe achetée, la salle réservée. Mais le point de passage est resté fermé et Mohammed n’a pas pu venir », raconte Hiba, entourée de ses amies.
Avec la dot reçue de son mari, elle avait acheté des bijoux en or, des vêtements, rangés dans un grand sac. « Le sac est resté fermé jusqu’à aujourd’hui. Je ne voulais pas l’ouvrir jusqu’à ce qu’il vienne. J’aurais préféré mourir que de ne pas l’épouser ».
Sa mère, Hanane, très émue à ses côtés, tente de contenir ses larmes. « Je suis très heureuse pour elle. Elle va enfin se marier. Mais elle va aussi me quitter et partir chez son mari ».
Devant la détérioration de la situation économique et la montée du chômage, le coût du mariage — entre 10 000 et 15 000 dollars - est devenu prohibitif pour de nombreux jeunes de Gaza.
« Le problème n’est pas seulement l’argent mais aussi le fait qu’on ne trouve plus rien à Gaza. Les gens ne pouvaient même plus acheter de matelas pour la chambre nuptiale à cause du siège », explique Mohammed.
A la frontière entre Gaza et l’Égypte, des marchands palestiniens ont fait venir au cours des derniers jours des dizaines de matelas, des meubles et des appareils ménagers.
Pour Mohammed, après les réjouissances, le plus dur est peut-être à venir : il faudra rentrer en Égypte avec Hiba.
« Moi j’ai un permis de résidence. Je n’aurais pas de problème à passer les barrages et rentrer à Alexandrie. Pour elle, je ne sais pas », lâche-t-il. Sa mine s’assombrit. « Les Palestiniens et les Egyptiens doivent trouver un accord, nous voulons pouvoir passer librement. Nous voulons pouvoir respirer ».