On peut n’être pas papolâtre, déplorer le dogmatisme conservateur de l’homme, avoir été atterré par son manque de contrôle de la bureaucratie vaticane dans la lamentable « affaire Williamson », et néanmoins apprécier sereinement le bilan de son séjour en « Terre sainte » au regard des enjeux d’une paix conforme au droit. Alors que le dialogue judéo-chrétien patine quelque peu, la volonté de lever les méfiances accumulées aurait pu conduire Benoît XVI à des prudences excessives sur le dossier palestinien, prudences dont il aurait été certain que l’extrême droite au pouvoir en Israël se saisirait. Il n’en a rien été. Certes, il n’a pas été à Gaza, mais sur tous les points importants du dossier - le droit des Palestiniens à un Etat viable, la dénonciation de la colonisation et du mur de sécurité… - la rappel des positions de l’Eglise a été sans équivoque. Surtout, et c’est essentiel, le soutien aux Chrétiens de la région, l’exhortation qui leur a été faite de tenir et de résister à la tentation du départ, cet appel-là, bien sûr de nature pastorale, a également une dimension politique progressiste qu’il faut souligner. D’un côté, elle s’oppose implicitement à l’exigence nouvelle, au préalable que voudrait imposer Israël de voir reconnaître la nature juive de l’Etat avant toute négociation avec les Palestiniens. D’un autre côté, face aux islamistes du Hamas et à leur volonté de contrôle sociétal total, se trouve rappelé avec force que la diversité culturelle de la Palestine, avec une pluriconfessionnalité ancrée dans l’histoire longue de la région, n’est pas un facteur de moindre cohésion sociétale, - au contraire.
Sur un plan plus général, on peut se demander dans quelle mesure la fermeté dont le pape a su faire preuve sur la question palestinienne ne reflète pas une prise de conscience croissante, dans les profondeurs du monde catholique, de l’iniquité du sort de tout un peuple. Dans quelle mesure, également, cette fermeté ne contribuera pas à l’approfondissement de cette prise de conscience...
L’autre événement qui a remis un peu d’huile dans la lampe de la paix vient de Washington. Chacun savait que la première rencontre Obama – Netanyhaou donnerait le « la » des relations israélo-américaines au cours de la période à hauts risques qui s’ouvre. Pendant les deux mandatures de Georges W.Bush, les connivences entre les « faucons » israéliens et les « néo-cons » étatsuniens étaient tellement étroites que les Premiers ministres d’Israël arrivaient en terrain conquis aux Etats-Unis : on sait toutes les palinodies qui, avec une lamentable complicité européenne, ont caractérisé le traitement du dossier palestinien par l’administration Bush. Le changement de ton de Barack Obama sur le Proche et le Moyen-Orient apparaît nettement avec le refus de suivre Israël dans sa politique aventuriste à l’égard de l’Iran, l’évocation publique du nucléaire israélien comme question ne devant plus être tabou [1], l’affirmation sans équivoque que le dossier palestinien est prioritaire, les exigences relatives au gel de la colonisation et à la libre circulation des hommes, le rappel de l’objectif incontournable des deux Etats… Ce faisant, ont été soulignées autant de divergences avec la politique de Benyamin Netanyhaou. Le changement de la donne inquiète, aux Etats-Unis comme en Israël, les tenants d’une ligne dure sur tous les dossiers évoqués. On peut s’attendre à ce que les groupes de pression, directement ou indirectement, AIPAC [2] en tête, se mobilisent contre la nouvelle ligne politique qui s’est esquissée. Une hirondelle ne fait pas le printemps, mais le changement est suffisamment important pour être salué comme un espoir, un espoir qui vient s’ajouter à ceux suscités par le discours où Barack Obama avait appelé à un renouveau des relations avec le monde musulman. Il avait plaidé avec force, on s’en souvient, pour une relation fondée sur le respect mutuel et une recherche patiente de convergence des intérêts. Barack Obama doit maintenant, le 4 juin au Caire, prononcer un nouveau discours qui est annoncé comme important. Il sera plus spécifiquement orienté vers le monde arabe : confortera-t-il les attentes suscitées par la nouvelle administration américaine ?
Si le changement d’approche est bienvenu, l’incertitude des avancées est également évidente. Comme l’a résumé Robert Malley, ancien membre de l’équipe de Bill Clinton : « Le moment de vérité n’est pas encore venu ». C’est dire qu’un appui européen explicite aux réorientations amorcées de la politique américaine serait hautement souhaitable. Après le surprenant acte de courage et d’indépendance politique constitué par la « Déclaration de Venise » (1980), les Européens étaient retombés dans un suivisme sans gloire à l’égard de l’administration américaine : ils avaient accepté de se voir cantonnés à un rôle de supplétifs dans l’intendance (financer les reconstructions en Palestine dans l’attente de nouvelles destructions israéliennes). On aurait pu espérer que, enfin libérés de la tutelle et des contraintes de l’ère Bush, ces mêmes Européens profiteraient du vent nouveau pour soutenir la démarche de Barack Obama visant à désembourber le dossier palestinien. Il n’en a rien été, au contraire : tous les commentateurs s’attachent à souligner que, Français et Allemands en tête, les Européens se refusent à actualiser raisonnablement une relation avec lsraël qui, de manière variable d’un pays à l’autre, prend sa source dans l’histoire meurtrière du continent. Des faits majeurs - la répression à Gaza et la participation au gouvernement d’un homme comme Avigdor Lieberman - ont contraint les capitales européennes à des gestes de désaccord homéopathiques (report d’un Sommet prévu au printemps ; report en juin, également, du Conseil d’association UE-Israël) [3]. Mais il ne faut pas oublier qu’au moment même où l’armée israélienne préparait l’intervention à Gaza, l’Union européenne - et cela sur impulsion française – décidait de hausser le niveau de ses relations avec Israël. Ce « rehaussement », étape d’une inclusion concrète d’Israël dans l’espace européen, s’est accompagné bien sûr du rappel litanique de la position européenne sur la question palestinienne, mais cela sans subordonner la mise en œuvre du nouveau statut consenti à Israël à une conditionnalité quelconque touchant au processus de paix. D’ailleurs, récemment encore, la Commissaire européenne en charge des relations extérieures, Mme Benita Ferrero-Waldner, pouvait affirmer sans crainte d’être démentie : « L’approfondissement des relations avec Israël ne peut être vu à la lumière du conflit israélo-palestinien. » Le président de la Tchéquie, pays assurant la présidence de L’UE, a dit la même chose sous une autre forme : « Le processus de paix ne doit pas être lié aux relations entre l’UE et Israël. »
Après avoir été réduite à un sentier de plus en plus improbable, la voie vers une reconnaissance sans faux-fuyants de tous les droits du peuple palestinien semble s’entrouvrir à nouveau. Cela demeure très hypothétique, mais il faut tout faire pour préserver la plus petite chance d’aboutir. Après la longue période de suivisme à l’égard de la politique américaine qui a déconsidéré les Européens, il serait pour le moins malheureux et paradoxal qu’ils manifestent une soudaine indépendance - mais réactionnaire ! - au moment même où un souffle nouveau et encourageant paraît venir de Washington.
La prochaine élection des parlementaires européens, en juin, pourrait utilement être mise à profit dans les Etats membres de l’Union ; cela en interrogeant les partis politiques sur le dossier proche oriental, pour les inciter à des prises de position nettes et ne se bornant pas, comme à l’accoutumée, à tenir une balance faussement égale entre des acteurs inégaux. L’enjeu n’est pas négligeable : n’oublions pas que, parmi toutes les institutions européennes, le Parlement a su à plusieurs reprises prendre de telles positions, fermes et sans complaisance, face à la politique autiste d’israël.
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