Dom : Quelles sont les différences principales entre ces deux organisations, Fatah et Hamas ?
JF Legrain :
Ce sont deux organisations qui ont des origines très différentes. Le Fatah est un mouvement de libération nationale qui est apparu à la fin des années 1950 et au début des années 1960, et qui, au fil des ans, est devenu la principale force du nationalisme palestinien. C’est l’organisation la plus importante au sein de l’OLP [Organisation de libération de la Palestine, composée de plusieurs organisations], et c’est elle qui a constitué l’épine dorsale de l’Autorité palestinienne d’autonomie mise en place dans le cadre des accords d’Oslo à partir de 1993.
Le Hamas est un mouvement de Frères musulmans qui a pour mot d’ordre principal la prédication active d’une certaine lecture de l’islam. Mais à partir de 1987, dans le cadre de la première Intifada, le mouvement des Frères musulmans en Palestine s’est trouvé contraint de participer à la lutte nationale contre l’occupation. Et le mouvement Hamas est né de cette transformation du mouvement des Frères musulmans.
Oups : Quel est le rapport de forces entre le Fatah et le Hamas ? De quels soutiens bénéficient-ils au sein de la population, des pays voisins ?
JF Legrain :
Les élections législatives qui ont eu lieu au mois de janvier 2006 ont montré une bipolarité de la scène politique palestinienne, puisque le Hamas et le Fatah, à eux seuls, ont bénéficié de 90 % des élus et de 80 % des voix.
Le Hamas a bénéficié de la majorité absolue, avec 56 % des élus, quand le Fatah a bénéficié de 34 % des élus. Au niveau du nombre de voix, l’écart était moins important, puisque le Hamas avait 41 % des voix quand le Fatah en a eu 36 %. Donc les deux mouvements, aujourd’hui, constituent bien le cœur de la scène politique palestinienne.
Et tout laisse penser qu’aujourd’hui, dix mois après les dernières élections, le Hamas resterait la force politique principale au sein de l’opinion palestinienne.
Saratoga : Quels sont les soutiens étrangers respectifs de ces organisations ?
JF Legrain :
Le mouvement Fatah bénéficie des alliances traditionnelles des mouvements nationalistes palestiniens et arabes. En tant que membre de l’OLP, il bénéficie d’une représentation au sein de la Ligue arabe et, donc, les Etats arabes de façon générale ont soutenu et soutiennent l’OLP - celle-ci ayant été reconnue, en 1974, comme l’unique représentant légitime du peuple palestinien.
Le mouvement Hamas n’est donc entré sur la scène politique nationale palestinienne et internationale que de façon beaucoup plus récente. Et dans le bras de fer qui l’oppose aujourd’hui au mouvement Fatah et à la présidence de l’autorité exécutive, Mahmoud Abbas, le Hamas bénéficie d’un soutien actif de l’Iran. Mais le Hamas a été réticent pendant très longtemps à jouer cette carte de l’aide financière en provenance de l’Iran, de peur que la politique qu’il souhaite mener soit lue, par la communauté internationale, comme une politique d’alignement sur la politique de l’Iran.
Et le cabinet palestinien, sous la direction du Hamas, bénéficie de façon générale d’un certain soutien de la Ligue arabe, en tant que soutien apporté au peuple palestinien et à l’expression de ce peuple palestinien à travers un scrutin qui a été reconnu comme honnête et transparent.
Dom_1 : Les deux organisations visent l’autonomie de leur pays. Leur lutte interne trouve-t-elle son origine dans la différence des moyens choisis pour atteindre ce but (reconnaissance ou pas d’Israël, mise en place d’un Etat islamiste ...) ?
JF Legrain :
Les deux organisations militent pour la création d’un Etat palestinien et la fin de l’occupation militaire israélienne - occupation directe ou indirecte, selon les régions. Et les deux organisations se revendiquent des diverses résolutions de l’ONU sur le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et à la création d’un Etat. La différence entre les deux organisations, c’est qu’en ce qui concerne le Fatah et l’OLP, il y a eu une reconnaissance du droit d’Israël à l’existence, tout en exigeant la création d’un Etat palestinien à côté d’Israël, donc avec la reconnaissance de la légitimité du partage de la Palestine entre l’Etat d’Israël, qui en occuperait 77 %, et l’Etat palestinien, qui n’en aurait que les 23 % restants.
Le Hamas, quant à lui, préconise la coexistence de deux Etats en Palestine, tout en refusant d’accorder une légitimité de principe à l’existence d’un Etat non islamique sur la Palestine. Le Hamas préconise donc une simple coexistence de facto entre deux Etats, dans les frontières qui existaient avant la guerre de 1967. Dès lors qu’Israël se serait retiré de l’ensemble des territoires occupés lors de cette guerre - c’est-à-dire la bande de Gaza, la Cisjordanie, et Jérusalem.
Les deux mouvements demandent la création d’un Etat et la fin de l’occupation militaire, mais le Hamas n’a jamais établi de projet détaillé d’Etat. Pas plus que le Fatah ou l’OLP. Et il ne faudrait pas tomber dans une approche de facilité en opposant une OLP qui serait laïque à un Hamas qui prônerait la mise en place d’un Etat islamique.
Dans les deux cas, il y a la reconnaissance du rôle central de l’islam. L’Autorité palestinienne alors sous le contrôle de l’OLP, comme l’OLP dans son projet de Constitution, ont fait de l’islam et de la loi religieuse islamique la source principale de la législation de l’Etat appelé à être créé.
C’est également la position du Hamas, qui s’est toujours défendu de vouloir imposer à la société un cadre de vie islamique. Et en effet, depuis la prise de contrôle de l’exécutif par le Hamas, il n’y a pas eu d’islamisation coercitive de la société.
Saratoga : Dans quel sens le rapport de forces Hamas/Fatah évolue-t-il ? Quels sont les facteurs déterminants ?
JF Legrain :
Nous sommes dans une période où les tensions apparaissent avec une grande force, mais ces tensions ne sont pas nouvelles. Et depuis la victoire du Hamas lors des élections législatives de janvier 2006, nous assistons à une sorte de coup d’Etat permanent, et multiforme, tant de la part de la présidence de l’Autorité palestinienne que du Fatah - mouvement politique qui a été battu lors de ces élections -, contre le cabinet légitimement issu du scrutin.
Ce "coup d’Etat" a pris différentes formes dans les domaines tant civil que militaire et politique, par un ensemble de nominations de hauts fonctionnaires, civils et militaires, visant à empêcher le cabinet de pouvoir fonctionner normalement.
Ce "coup d’Etat" a bénéficié d’une aide - active ou passive selon les cas - d’Israël et de la communauté internationale. Aujourd’hui, la tension entre la présidence et son allié le Fatah d’un côté, et le cabinet avec pour base le Hamas de l’autre, déborde dans la rue, avec la multiplication de heurts armés entre des éléments se réclamant de l’une ou l’autre partie.
Il faut cependant se garder d’employer les termes de "guerre civile" pour aborder les phénomènes violents en cours. Nous sommes en effet aujourd’hui face à une multiplication de "petits" événements et non pas confrontés à des heurts généralisés qui mobiliseraient les deux camps.
Les violences, en effet, sont multiformes : assassinats, enlèvements, heurts armés, menaces contre les personnes ou les biens. Ces violences ont donné lieu à quelque 330 morts depuis le début de l’année, mais les justifications alléguées de ces violences sont extrêmement diverses.
Elles peuvent être politiques, mais dans la majorité des cas, elles relèvent soit de logiques mafieuses, soit de logiques localistes et claniques, et une lecture exclusivement politique serait donc erronée. Mais le problème est fondamentalement celui d’un chaos sécuritaire quasi généralisé en ce qui concerne la bande de Gaza, la Cisjordanie étant relativement épargnée.
Houf : Pourquoi le Hamas est-il si populaire au sein des rues arabes ?
JF Legrain :
Le mouvement Hamas est populaire comme un certain nombre d’autres mouvements arabes - je pense tout particulièrement au Hezbollah, au Liban. Ces deux mouvements sont populaires car ils sont considérés comme héritiers du nationalisme arabe dans sa lutte contre l’occupation militaire israélienne et contre la présence multiforme des Etats-Unis dans la région.
Et le second aspect qui peut expliquer la popularité du Hamas dans les rues arabes, c’est l’identité de type Frères musulmans du Hamas - les Frères musulmans et les islamistes constituant aujourd’hui, dans la quasi-totalité des Etats arabes, la force populaire la plus importante.
Palladio : Est-il normal et souhaitable qu’un parti politique exige d’avoir le monopole des services de sécurité, comme c’est le cas du Fatah d’Abbas dans les territoires occupés ?
JF Legrain :
Bien évidemment, non. Nous sommes aujourd’hui, comme je le disais tout à l’heure, face à une sorte de coup d’Etat, puisque les prérogatives normalement attribuées au cabinet lui sont refusées par la présidence. De façon paradoxale, le président Mahmoud Abbas dénie au premier ministre Ismaïl Aniyeh les pouvoirs qu’il avait arrachés de haute lutte à Yasser Arafat, lorsque lui-même était son premier ministre en 2003.
La Loi fondamentale palestinienne fait la différence entre certains services de sécurité, qui relèvent de la présidence, et d’autres services, qui relèvent du ministère de l’intérieur. Depuis la victoire du Hamas, la présidence s’est arrogé le contrôle de l’ensemble des services de sécurité. Et pendant de longs mois, elle a refusé de reconnaître la création d’une force dite "exécutive", une force de police créée par le ministère de l’intérieur.
Saratoga : Quels sont les modes de financement de ces mouvements ?
JF Legrain :
Les financements de l’Autorité palestinienne, puisqu’il est question aujourd’hui d’une Autorité, d’une présidence et d’un cabinet, sont de trois ordres : la part la plus importante des financements provient du reversement par Israël des taxes prélevées sur les denrées qui transitent par son territoire ; entre 40 et 50 % des revenus de l’Autorité proviennent normalement de ce reversement, qui est stipulé dans les accords de l’autonomie. Mais depuis la victoire du Hamas, Israël a unilatéralement gelé le reversement de ces sommes.
La deuxième source de revenus provient des taxes prélevées par l’Autorité elle-même sur les Palestiniens ; un montant en temps normal qui représente à peu près 20 % de l’ensemble des revenus de l’Autorité.
Le reste des revenus - selon les années, selon les cas, entre 40 et 50 % - provient des aides internationales. Aides qui ont donc été gelées par la communauté internationale, celle-ci refusant de verser des financements au cabinet. L’aide internationale a donc été exclusivement ciblée soit vers la présidence palestinienne, soit vers des ONG et des associations civiles.
Abu_ali_mustafa : Quels place et rôle pour les autres organisations politiques palestiniennes ?
JF Legrain :
Cette place est à la fois marginale et importante. Marginale, on l’a vu lors des élections législatives mais aussi présidentielle, avec cette situation de quasi-monopole du Fatah et du Hamas dans le partage de la scène politique.
Mais c’est un rôle important en tant que représentant de l’identité palestinienne, chacune des organisations pouvant se revendiquer d’une participation commune et effective à la lutte nationale des dernières décennies. Et toute décision concernant l’avenir du peuple palestinien doit faire appel à l’ensemble de la scène politique : les deux grandes organisations bien sûr, mais également des petites organisations, dont la présence est d’ailleurs reconnue par tous comme nécessaire dans la construction du consensus national palestinien.
Daviddavid : Comment ce bras de fer entre le président et le gouvernement palestiniens peut-il se calmer ?
JF Legrain :
La réponse est évidemment difficile à apporter. Le problème, c’est qu’aujourd’hui le Fatah, non seulement n’a toujours pas tiré une analyse des raisons de sa défaite, mais a refusé cette défaite.
Le Hamas, pour sa part, est entré dans des élections alors même qu’il niait la légitimité des principes à la base des institutions pour lesquelles il concourait. Le Hamas, en effet, a toujours refusé les accords d’Oslo, considérant que ceux-ci n’étaient pas à même d’apporter la solution légitime au conflit israélo-palestinien.
L’une des portes de sortie serait l’autodissolution de l’Autorité d’autonomie par un commun accord entre le Fatah et le Hamas, qui viserait à mettre la communauté internationale face à ses responsabilités. Cette communauté, depuis des décennies, préconise la création de deux Etats en Palestine, l’Etat d’Israël et l’Etat palestinien, mais elle n’a jamais pris les moyens pour parvenir à la mise en œuvre de ses propres résolutions.
En dissolvant l’Autorité d’autonomie, les Palestiniens conduiraient la communauté internationale à une implication effective, plus seulement financière, mais également politique et éventuellement militaire, en accord avec ses propres principes.
Mais il s’agirait là d’une rupture avec la politique internationale des dernières décennies, dont la dérive a pu être observée vers un désengagement politique au profit, de facto, de la première puissance dans la région, Israël, qui bénéficie du soutien actif des Etats-Unis. Donc un abandon des principes au profit d’une logique des simples rapports de forces.
Chat modéré par Constance Baudry