Cela semble sensé. Pourquoi faudrait-il que le monde se fasse du souci pour ces deux enfants indisciplinés ? Laissons-les se taper dessus autant que ça leur chante. Les adultes ne devraient pas s’en mêler.
Mais c’est en réalité une suggestion scandaleuse. Parce que les deux enfants ne sont pas de force égale. Lorsqu’un adulte voit un garçon de 14 ans maltraiter sans pitié un enfant de 6 ans, peut-il se contenter de regarder ?
Israël est, au plan matériel, cent fois, et même mille fois plus fort que les Palestiniens. La quatrième armée la plus puissante du monde (selon ses propres estimations) domine la vie d’un peuple impuissant. L’économie israélienne, dotée de quelques unes des technologies les plus avancées au monde, domine un peuple dont les ressources sont quasi inexistantes. Une occupation qui dure depuis 42 ans exerce sa domination sur la moindre parcelle de la Palestine occupée.
Cela ne s’est pas produit par miracle. L’énorme écart entre les forces des deux peuples résulte aussi du soutien apporté par les États-Unis à Israël. Israël n’en serait pas où il en est aujourd’hui sans leur soutien politique, économique et militaire. Chaque année, des milliards de dollars d’aide, l’accès aux armements les plus modernes au monde, l’immunité politique assurée par le véto des États-Unis au Conseil de Sécurité et toutes les autres formes d’assistance ont aidé les gouvernements israéliens successifs à maintenir et à intensifier l’occupation.
Friedman ne propose pas de mettre un terme à ce soutien, qui est en soi une intervention massive dans ce conflit, et au profit de la partie la plus forte. Lorsqu’il suggère que les États-Unis se retirent du conflit, ce qu’il dit en réalité, c’est : laissez le gouvernement israélien poursuivre son action - continuer l’occupation, établir de nouvelles colonies, retirer la terre de dessous les pieds des Palestiniens, maintenir le blocus meurtrier qui interdit à 1,5 million de Palestiniens de la Bande de Gaza – hommes, femmes et enfants – l’accès à presque tous les éléments essentiels à la vie.
C’est une suggestion monstrueuse.
C’est vrai, le prophète Isaïe (11, 6) décrit une situation où le loup cohabitera avec l’agneau. (Et l’humour israélien d’ajouter : pas de problème pourvu que l’on fournisse chaque jour un nouvel agneau.) Et maintenant, c’est le prophète Thomas qui propose de laisser le loup et l’agneau définir eux-mêmes leurs relations.
BENJAMIN NETANYAHOU ne pourrait pas désirer davantage dans se rêves les plus fous. En attendant, il a obtenu satisfaction sur quelque chose de plus modeste : le consentement du président Obama à sa dernière astuce.
Et ainsi, Netanyahou a présenté à la nation un visage torturé pour nous parler de sa décision d’une difficulté inhumaine : suspendre les activités de construction dans les colonies.
Le monde entier a applaudi. Qu’il est admirable de la part de Netanyahou de sacrifier ses principes les plus sacrés sur l’autel de la paix. Il a fait un pas extraordinaire. Aux Palestiniens maintenant de faire à leur tour un grand geste.
Mais il y a quelque chose qui ne va pas dans ce tableau et qui demande une explication.
Pour évoquer le grand Sherlock Holmes qui parlait du curieux incident du chien au cours de la nuit : “Mais le chien n’a rien fait pendant la nuit !” lui dit-on. “C’était cela le curieux incident,” répondit le détective.
On aurait pu penser qu’après une annonce aussi dramatique, de la part du leader du Likoud, les colons allaient pousser un rugissement assourdissant. Il y aurait des émeutes dans les rues de toutes les villes, toutes les routes des territoires occupés seraient bloquées, les colons se révolteraient au Conseil des Ministres et à la Knesset.
Mais le chien n’a pas aboyé. Pas même un grognement, juste un semblant de jappement. La ministre de la culture Limor Livnat a ouvert sa grande bouche pour déclarer que l’administration Obama était “terrible”. C’est à peu près tout. Le colon-ministre Avigdor Lieberman a voté en faveur de la décision en Conseil des Ministres, de même que l’ultra extrémiste ministre du Likoud Benny Begin, le fils de l’ancien Premier Ministre.
Begin a même expliqué son étrange conduite à la télé : il n’avait aucune raison de voter contre. Après tout, il s’agissait simplement d’un geste destiné à apaiser Obama. Il n’avait pas de contenu réel. La construction de “structures publiques” va se poursuivre (environ 300 nouvelles ont été approuvées cette même semaine). Les constructions seront poursuivies dans le cadre des projets d’habitations dont les fondations ont déjà été réalisées (au moins 3.000 appartements en Cisjordanie). Et, le plus important : il n’y aura absolument aucune limitation à l’activité de construction juive à Jérusalem Est où les constructions se poursuivent à un rythme frénétique dans une demie douzaine d’endroits au cœur de la partie arabe de la ville. Et de plus, la suspension ne durera que pendant 10 mois. Ensuite, a promis Begin, la construction reprendra à pleine cadence.
Cela n’aurait pas calmé les colons s’ils n’avaient pas eu conscience de ce que tout Israélien sait : qu’il ne s’agit que de simulacre. Les constructions vont se poursuivre partout, avec la coopération en douce des autorités officielles tandis que l’armée fermera les yeux. On prétendra que les permis de construire avaient déjà été accordés, que les fondations avaient déjà été réalisées. (Dans nombre d’endroits, des fondations supplémentaires ont effectivement été réalisées, au cas où). C’est ainsi que cela se passait précédemment, sous les gouvernements du parti travailliste et de Kadima, et ça continuera à se passer ainsi désormais. Cette semaine, il est apparu que, pour l’ensemble de la Cisjordanie, il n’y a que 14 (quatorze !) inspecteurs du gouvernement pour superviser l’ensemble de l’activité de construction.
Au cours de la même émission de télé, Yossi Beilin se trouvait assis auprès de Begin. On aurait pu s’attendre que lui au moins allait dénoncer la supercherie, mais non. Beilin loua Netanyahou pour son acte courageux dans lequel il voyait la promesse d’un nouveau départ. Il lui a en cela prêté un important concours en gagnant à sa cause l’opinion publique mondiale et en rassurant les naïfs israéliens. On pourrait difficilement imaginer un exemple plus triste de l’effondrement de la “Gauche sioniste”. L’initiative de Genève a fait place à la Duperie de Jérusalem.
Le plus grand parti d’opposition aussi a fait chorus. Tzipi Livni qui porte le titre impressionnant de “leader de l’opposition”, a marmonné des propos inintelligibles et est retournée se coucher.
ET OBAMA ? Il a de nouveau capitulé Après avoir abandonné son exigence initiale d’un gel complet des constructions dans les colonies, il n’avait pas d’autre choix que de céder une nouvelle fois. Il a réagi à la prestation minable de Netanyahou comme s’il s’agissait d’un grand drame.
Obama a besoin d’un succès. On dit qu’il n’a pas réalisé un seul de ses objectifs dans le domaine international. Alors, voilà une réussite. Netanyahou est en train de geler – pardon, de ralentir – pardon, de suspendre – l’activité de colonisation.
Mon père m’a enseigné dans ma jeunesse de ne jamais céder à un maître-chanteur. Si l’on cède une fois, on se condamne à céder encore et encore, tandis que les exigences du maître chanteur ne cessent de croître. Après avoir cédé au lobby pro-israélien une fois, Obama devra céder encore et encore.
On pourrait presque le plaindre, lui et ses assistants. Un groupe si impressionnant, si solide, si expérimenté – et les voilà qui rentrent de Jérusalem comme l’armée napoléonienne de Moscou.
Nous avons vu le pauvre George Mitchell. L’homme qui a négocié la paix entre les factions meurtrières en Irlande est venu à Jérusalem. Il est revenu encore et encore. Il est venu en représentant de la seule superpuissance qui subsiste dans le monde pour dire aux Israéliens et aux Palestiniens ce qu’ils doivent faire. Ce fut rude. Il a imposé des conditions.
Les officiels israéliens se sont moqué de lui dans son dos. Ils ont l’habitude des gens comme lui. Ils n’en ont fait qu’une bouchée au petit déjeuner. Vous souvenez-vous de William Rogers, le Secrétaire d’État de Nixon et de son plan de paix ? Et du grand Henry Kissinger ? Et même de James Baker qui tenta de nous imposer des sanctions économiques ? Et des “lignes directrices” de Bill Clinton ? Et de la “vision” de Georges Bush ? Le cimetière politique est plein d’hommes politiques américains qui ont tenté d’imposer des limites à Israël sans être en mesure ou sans avoir la volonté de faire usage de la force nécessaire. Bienvenue George. C’est un plaisir de vous voir Hillary.
Ce qui est tellement pathétique, c’est que Netanyahou ne trompe même pas Obama. Le président américain a pleinement conscience qu’on lui joue la comédie. Il est très intelligent. Il n’est pas très courageux. Pour le plat de lentilles d’une soi-disant réalisation, il a vendu son droit d’ainesse politique. Même George Bush a réussi à obtenir d’Ariel Sharon qu’il s’engage à démanteler toutes les colonies établies après mars 2001 (inutile de dire que pas une seule ne fut démantelée).
C’est là une grande victoire pour Nétanyahou, sa seconde victoire sur Obama. Ce n’est pas encore la victoire décisive, mais une victoire qui ne présage rien de bon pour les chances de paix dans un avenir proche.
NÉTANYAHOU N’A même pas essayé non plus de tromper les Palestiniens. Il savait que c’était impossible.
Tout Palestinien ne comprend que trop bien les annonces de Nétanyahou. Il lui suffit de regarder par sa fenêtre pour voir ce qui se passe. Après tout, Israël n’investirait pas des milliards dans des constructions nouvelles s’il avait la moindre intention de démanteler les colonies en échange de la paix dans une année ou deux.
On trouve difficilement un endroit en Cisjordanie d’où l’on ne peut voir une colonie au sommet d’une colline, proche ou lointaine. Dans certains endroits, on peut en voir deux ou trois. Si l’on approche plus près, on peut voir des chantiers de construction en pleine activité, ce qui est déclaré et ce qui ne l’est pas, le “légal” et “l’illégal”.
Et, ce qui est plus important : il n’est pas un dirigeant palestinien qui puisse en aucune façon consentir à la poursuite de constructions à Jérusalem Est. La réalisation de projets de logements juifs continue alors que des maisons palestiniennes sont démolies, des fouilles “archéologiques” se poursuivent comme toutes les autres activités destinées à “judéiser” Jérusalem. Pour le dire plus brutalement : rendre Jérusalem “exempte d’arabes”.
Quand Obama capitule face à Nétanyahou, Mahmoud Abbas ne peut plus rien faire. Quand les américains exigent que les Palestiniens répondent au pas “important” de Nétanyahou en faisant eux aussi un pas important, ce n’est rien d’autre qu’une sinistre plaisanterie. Les Américains aident les Israéliens à pousser la balle dans le camp palestinien et demandent ensuite, en roulant hypocritement les yeux, pourquoi, après un geste aussi important des Israéliens, les Palestiniens ne consentent pas à reprendre le “processus de paix”.
Mais Abbas ne peut pas reprendre des négociations sans un gel total de la colonisation, spécialement à Jérusalem. Le seul dialogue qui a lieu maintenant entre Israéliens et Palestiniens se tient avec le Hamas. L’accord d’échange de prisonniers est sur le point d’aboutir à une décision. La principale pomme de discorde qui subsiste est la libération du leader du Fatah, Marwan Barghouti, qui a fait l’objet de cinq condamnations à vie.
Si le marché est conclu et si Barghouti est libéré, ce sera une nouvelle humiliation pour Abbas : on dira que c’est le Hamas et non lui qui a obtenu la libération du leader du Fatah. Barghouti libéré travaillera à réparer la division entre le Fatah et le Hamas et deviendra un candidat crédible à la présidence de l’Autorité Palestinienne. Un nouveau chapitre du conflit va alors s’ouvrir.
IL EST utile de lire en entier le texte de la prophétie d’Isaïe : « Le loup habitera avec l’agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau ; Le veau, le lionceau, et le bétail qu’on engraisse, seront ensemble, Et un petit enfant les conduira. »
Le rôle du petit enfant, à ce qu’il semble, incombe à Obama. S’il accepte, Dieu nous en garde, le conseil de Friedman et sort du tableau, la vision va se transformer en cauchemar. Le gouvernement israélien va augmenter l’oppression, les Palestiniens vont recourir à un terrorisme sans frein, le monde entier sera entraîné dans un chaos sanglant.
Un conseil.