AFPS : Kassem, vous êtes directeur général de l’association Beit Atfal Assoumoud d’aide aux réfugiés palestiniens du Liban, (National Institution of Social Care & Vocational Training) basée à Beyrout [1]. Quelle est à vos yeux la situation au Liban aujourd’hui ?
Kassem Aina : En conséquence d’un accroissement de la pauvreté, de luttes politiques et de l’absence de gouvernement, le Liban aujourd’hui c’est le COVID-19, le crime, un conflit armé potentiel et des troubles sociaux. Selon des rapports des médias et des analystes, le chaos dans les rues fait écho aux luttes de pouvoir dans le pays.
AFPS : De quel chaos parlez-vous ?
KA : On s’attend à plus de violence y compris politique. Les conflits familiaux, de quartiers ou confessionnels augmentent et des affrontements armés ont lieu le long de la frontière, à Beyrouth et dans les camps, entraînant l’intervention des Forces libanaises tandis que de nombreuses manifestations bloquent les accès aux différentes provinces et isolent Beyrouth. L’augmentation de la pauvreté (50 % de la population), du chômage et de l’inflation entraîne vols et pillages, notamment pour la nourriture.
AFPS : Y a-t-il des risques de guerre ?
KA : Une guerre est possible entre le Hezbollah et Israël et elle entraînerait des dégâts énormes aux infrastructures libanaises, mais il y a peu de risques de guerre civile. Par contre des combats avec armes et explosifs entre factions sont possibles, y compris des assassinats de dirigeants politiques.
AFPS : on a pu voir de fortes mobilisations contre la vie chère et l’incompétence dues dirigeants politiques libanais. Qu’en est-il ?
KA : Les protestations contre les taxes, la corruption, la limitation des services et les restrictions sur les retraits d’argent ont commencé dans tout le pays en octobre 2019. L’explosion dans le port de Beyrouth a révélé encore plus de corruption chez les politiques. Les obstacles à la formation du gouvernement, la mauvaise gestion de la crise, le manque de nourriture et la forte hausse des prix amènent à d’autres protestations et des émeutes de la faim.
AFPS : Les dizaines de milliers de réfugiés palestiniens qui cherchèrent refuge au Liban et y sont encore plus de 70 ans plus tard sont-ils aussi concernés ?
KA : Les réfugiés palestiniens sont en fait les plus impactés par les crises à répétition qui frappent le Liban.
Les réfugiés palestiniens des camps, qui souffrent depuis longtemps, subissent directement les problèmes sécuritaires, économiques et sociaux et les troubles sociaux. La pauvreté frappe les réfugiés deux à trois fois plus que dans le reste du Liban (80 %) selon l’UNWRA [2].
Dans les camps surpeuplés qui accueillent des réfugiés de Syrie (Palestiniens et
Syriens) la tension est vive depuis 2011. Alors que le COVID-19 se répand, le nombre de cas infectés et de décès chez les Palestiniens est plus du double du taux général au Liban (1%). Sous pression de la situation économique, les réfugiés palestiniens dans les camps tendent à négliger les mesures sanitaires pour se protéger de la pandémie. Leur priorité est de trouver de la nourriture pour leurs familles, pas de rester à la maison ou de dépenser leur argent en matériel sanitaire, gel et masques.
Dans cet environnement fait de maladie, de manque d’emplois, de pénurie alimentaire, de prix très élevés et d’agitation sociale, les tensions internes entre communautés qui partagent un espace restreint ont augmenté.
AFPS : Ces tensions peuvent-elles dégénérer en affrontements ?
KA : Oui, la violence se répand largement dans les camps
Marginalisés, privés de droits, enfermés dans des camps, les réfugiés palestiniens vivent dans un environnement susceptible de produire des attitudes risquées de délinquance et de crime, surtout chez les jeunes.
Les camps ne sont donc pas exempts du chaos qui règne au Liban. L’augmentation de la violence domestique et dans les rues a marqué l’année passée et en 2021 plusieurs cas de meurtres dans les camps ont fait les gros titres nationaux. Certains de ces crimes étaient liés à des vols, d’autres résultaient de disputes familiales ou d’altercations entre dealers. De plus la violence sexiste a récemment augmenté selon plusieurs rapports.
En bref, les crises ont une lourde influence sur les communautés de réfugiés palestiniens au Liban, comme en témoignent l’augmentation de la consommation de drogues et de tabac, de la dépression et des troubles mentaux, des tentatives de suicides chez les jeunes et des problèmes familiaux qui mènent au divorce et à la désintégration des familles.
Traduction : AFPS