Avec un taux de participation de près de 72 %, soit près de cinq points de plus que lors du précédent scrutin, c’est un plébiscite. Donné battu depuis des semaines, le Likoud, parti de droite du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, est parvenu à remobiliser son électorat dans la dernière semaine de l’élection législative pour triompher de l’Union sioniste (centre), qui avait la faveur des sondages depuis près d’un mois. Netanyahou a déjoué les pronostics ce mardi en obtenant plus de 23 % des suffrages, cinq points de plus que son principal concurrent, Isaac Herzog. Ce mercredi midi, la radio publique israélienne a effectué une dernière projection donnant 30 députés pour le Likoud, près du quart des 120 sièges de l’Assemblée israélienne, et 24 pour l’Union sioniste. Benjamin Netanyahou est donc en position de force pour former le prochain gouvernement, ce que devrait lui demander le président israélien une fois les résultats officiels publiés, sans doute dès ce jeudi.
En faisant le pari d’une campagne transformée en référendum contre le premier ministre qui briguait un quatrième mandat, l’Union sioniste, liste issue du regroupement du parti travailliste et du parti centriste Hatnuah, a perdu. Isaac Herzog et Tzipi Livni, respectivement numéro 1 et 2 de la liste, ont surtout fait la preuve de leur incapacité à bousculer l’agenda israélien, dicté par la droite depuis 2001. Un agenda qui consiste en une politique du fait accompli permanent pour assurer le processus de colonisation de la Cisjordanie et empêcher la création d’un État palestinien. « Tant que je serai premier ministre, il n’y aura pas d’État palestinien », avait d’ailleurs explicitement affirmé Benjamin Netanyahou la veille du scrutin.
Dimanche 15 mars, place Rabin, à Tel-AvivDimanche 15 mars, place Rabin, à Tel-Aviv © Pierre Puchot
Côté palestinien, les réactions ne se sont pas fait attendre. Pour le négociateur en chef palestinien Saëb Erakat, le chef du Likoud a « enterré la solution à deux États », ce qui constitue un « crime de guerre » supplémentaire que les Palestiniens porteront devant la Cour pénale internationale (CPI) dès le 1er avril, a-t-il affirmé dans un communiqué transmis à la presse internationale.
En votant Netanyahou, les Israéliens savent ce qu’ils doivent attendre du dirigeant du Likoud, dont le premier mandat date de 1996 à 1999. Revenu au pouvoir au lendemain de l’offensive Plomb durci à Gaza durant l’hiver 2008-2009, Netanyahou a lui-même décidé deux fois d’entrer en guerre, en 2012 et à l’été 2014. Trois offensives en moins de six ans, 3 625 Palestiniens tués, dont une majorité de civils, et 79 victimes israéliennes, dont 10 civils. Pour quoi ? Pour rien. Affaibli avant la guerre, le Hamas est sorti renforcé du dernier conflit qui en appelle désormais d’autres. C’est à cette défaite permanente que les électeurs du Likoud ont condamné Israéliens et Palestiniens ce mardi, pour un nouveau mandat de quatre ans.
Tout un paradoxe que cet agenda sécuritaire triomphant quand, selon les mots mêmes d’un ancien directeur adjoint du service des renseignements israéliens (le fameux Mossad) interrogé par Mediapart, « depuis 1973, il n’y a plus de menace pour la subsistance d’Israël ». Une menace que l’électorat israélien surestime, plongé qu’il est dans une profonde crise identitaire, nous dit en outre l’analyste israélien Ofer Zlazberg.
L’environnement international, nourri par la crise syrienne et l’essor de l’organisation de l’État islamique, a en outre servi cette stratégie sécuritaire de Netanyahou. Mais l’épouvantail de l’EI avait également été agité par Avigdor Liberman dont l’un des slogans de campagne était : « Si vous souhaitez que l’EI demeure en dehors d’Israël, votez pour moi », mais qui se retrouve pourtant avec un piteux résultat de 5 députés, 10 de moins qu’en 2009, son meilleur score.
Outre qu’elle conforte une stratégie basée sur la confrontation, avec les Palestiniens, mais aussi avec les États-Unis et Barack Obama, coupable selon le premier ministre de complaisance vis-à-vis de l’Iran, c’est une victoire toute personnelle pour Netanyahou, faite de coups politiques et pensée à court terme. Dimanche soir devant ses partisans, lui-même admettait qu’il y avait « un risque que la gauche arrive au pouvoir » (lire notre précédent reportage). Ce soir-là à Tel-Aviv, son premier coup politique, largement sous-estimé par la presse internationale et israélienne, fut de réunir toute la droite autour de sa personne pour adopter la posture du rassembleur. Le lendemain, son second coup de poker, sous forme de déclaration inédite, lapidaire et absolue – « Il n’y aura pas d’État palestinien si je demeure premier ministre » –, a coupé l’herbe sous le pied de son principal rival à droite, Naftali Bennett, passé de 12 députés en 2013 à 8 lors du scrutin de mardi.
La capacité de Netanyahou à demeurer le premier référent de la droite auprès de l’électorat est impressionnante. Depuis 15 ans, plusieurs dirigeants du Likoud l’ont tour à tour quitté pour former leur propre parti. Il y eut d’abord Liberman, capitalisant sur l’électorat russophone pour forcer Netanyahou à le nommer vice-premier ministre et ministre de la défense en 2009 ; il y eut Bennett, ancien directeur de cabinet de Netanyahou, militant pro-colonisation coopté par le parti religieux « Foyer juif » et l’un des hommes forts de la dernière coalition ; puis, enfin, Moshé Kahlon. Dernier à quitter le navire en novembre 2014, le départ de Kahlon, très populaire auprès des militants du Likoud mais que le premier ministre n’avait pas souhaité intégrer au cabinet de sécurité, incarnait tout ce qui allait causer la défaite de Netanyahou, isolé à force de décider seul.
Critiqué publiquement par ces cadres historiques, Netanyahou a plié, mais il n’a jamais rompu. Le chef de la droite, c’est lui, ont encore dit une nouvelle fois les militants et électeurs du Likoud. C’est d’ailleurs l’un des éléments le plus inquiétant de cette élection : en le confortant dans sa manière solitaire de gérer le pouvoir, les électeurs ont donné un blanc-seing pour la politique du pire : celle de la guerre permanente qui, tous les 18 mois, produit une nouvelle opération israélienne contre Gaza, à défaut d’une règlement régional qui ne peut aboutir que grâce à la solution à deux États. Une dynamique que le score inédit (14 députés) de la Joint List, regroupement des partis arabes israéliens et du parti communiste Kadash (lire ici notre entretien avec la candidate Ayda Souleman à Haïfa), ne compensera qu’en partie. Plus que jamais avec ce scrutin, la société israélienne a fait état de ses divisions, et de son incapacité à envisager l’avenir en dehors d’un agenda sécuritaire dont Netanyahou s’affirme plus que jamais comme le grand dépositaire.