C’est un paysage de collines gorgé de soleil. Une terre de bergers et de cultivateurs palestiniens, qui ont creusé dans la roche, il y a bien longtemps, des grottes pour y vivre et des réservoirs pour retenir l’eau de pluie. Les grottes ont été détruites par l’armée israélienne, les réservoirs condamnés. C’est une terre d’oliviers et de vignes, de routes escarpées et d’horizons bouchés, où seuls les petits lézards jouissent d’une réelle liberté de mouvement.
L’injustice prend racine dans ces collines, situées au sud de la ville d’Hébron et de la Cisjordanie. Les habitants de Susiya en sont les témoins et les victimes. Leur village misérable est devenu le symbole international de la colonisation israélienne, au point d’être cité, le 20 juillet, dans un communiqué des ministres européens des affaires étrangères, réunis à Bruxelles. Un symbole des destructions et de l’impunité de l’occupation dans cette « zone C » de facto annexée, contrôlée par l’administration israélienne (Cogat) et l’armée, couvrant 62 % de la Cisjordanie.
Depuis trente ans, les colons israéliens cherchent à obtenir le départ des villageois, pour assurer une continuité entre leurs propres avant-postes, illégaux. Ils pensent être sur le point d’y parvenir. Le 3 août, la Haute Cour de justice se prononcera sur un recours des 340 habitants, qui veulent empêcher la destruction programmée de leurs domiciles précaires : des tentes, avec des tapis au sol, sans autres meubles que des chaises, parfois un mur de parpaing. Ces installations de fortune forment un campement éclaté sur toute la colline. La Cogat a prévenu. Elle n’attendra pas la décision judiciaire pour passer à l’acte. Le ramadan étant fini, elle compte ordonner la destruction de la moitié des habitations dans les prochains jours, soit 37 lieux bâtis sans permis israélien. Un permis que les autorités n’accordent quasiment jamais aux Palestiniens dans cette zone C. Vingt-et-une tentes ont été financées par des pays membres de l’UE, de même que des panneaux solaires.
« Nous avons présenté un plan d’aménagement pour le village, qui a été rejeté, explique Nasser Nawadja, 33 ans, porte-parole du village, militant de l’ONG israélienne B’Tselem. L’Etat nous propose maintenant de nous installer ailleurs, près de la ville de Yatta, mais ces terres appartiennent à d’autres Palestiniens. Et puis, si on vit loin de nos cultures, on les perdra. On n’y aura plus accès. » Nasser se souvient comment son père le portait, en 1986, au moment d’évacuer le village pour la première fois : « Il n’est pas question que je prenne mes enfants dans les bras pour qu’on soit à nouveau réfugiés. »
Grignotage
En 1986, la découverte d’une très ancienne synagogue sur l’emplacement historique de Susiya a provoqué son classement en site archéologique et l’apparition d’une colonie homonyme. Il a fallu tout abandonner et tout reconstruire, quelques centaines de mètres plus loin. Après le meurtre d’un colon israélien en 2001, en pleine seconde Intifada, l’armée procéda à une nouvelle expulsion. Les incidents violents, provoqués le plus souvent par les extrémistes messianiques israéliens, se multipliaient. Leur sécurité fut invoquée en guise de justification par l’administration civile.
Les Palestiniens s’installèrent alors à l’endroit actuel, au milieu des terres qu’ils possèdent depuis l’époque ottomane. Des terres dont ils ont perdu en partie l’usage et la propriété, au fil des ans. Les Israéliens ont défini une zone tampon extrêmement étendue autour de la colonie de Susiya – avec ses maisons en dur, ses arrivées d’eau impeccables, ses pylônes électriques – dans laquelle les villageois ne peuvent s’aventurer. Les colons, eux, ont disposé des fûts, tous les cent mètres, avec un arbre dedans. En vertu de la loi, ils peuvent revendiquer la propriété de ces terres, dès lors qu’ils les ont cultivées pendant dix ans. Ce grignotage a une doctrine, une méthode et un vernis légal.
Une mobilisation internationale sans précédent donne encore de l’espoir à Susiya, dont le sort déterminera celui des dix-sept autres villages sur ces collines. Depuis deux mois, les diplomates occidentaux se succèdent sur place. Ils appellent les autorités israéliennes à ne pas passer à l’acte.Détruire les habitations serait « provocateur et dommageable », a souligné le 16 juillet le porte-parole du département d’Etat américain, John Kirby. Les ministres des affaires étrangères de l’UE ont renchéri, appelant Israël à arrêter le processus de « transfert forcé de population et de démolition » à Susiya.
Cet écho rare donné à une situation banale s’explique par la mobilisation d’ONG et de militants israéliens, qui ont fait du campement l’étendard de la lutte contre l’expropriation des terres. Parmi elles, B’Tselem, les Rabbins pour les droits de l’homme (RHR) ou encore Breaking the Silence, l’organisation des anciens combattants de l’armée. Né aux Etats-Unis, Arik Ascherman suit le dossier Susiya depuis quinze ans pour le compte de RHR. Cette ONG dont il est le cofondateur assure le conseil juridique des habitants. Il sait à quel point l’influence étrangère sur la politique de colonisation a été faible. Le premier ministre Benyamin Nétanyahou, dont la majorité est très étroite et déportée vers la droite radicale, a une équation politique complexe à gérer.
« Je ne peux pas dire ce que va peser Susiya aux yeux de la communauté internationale, soupire-t-il. Cela peut aller dans les deux sens, après l’accord sur le nucléaire iranien. On peut vouloir lâcher du lest en faveur du gouvernement israélien, ou bien au contraire mettre la pression au sujet des colonies. » Le véritable adversaire d’Arik Ascherman est l’ONG nationaliste israélienne Regavim, l’un des lobbies des colons. Rejetant toute référence au droit international, elle veut rendre impossible la vie des Palestiniens locaux, afin de les forcer au départ. Regavim retourne l’argument des constructions illégales contre les villageois, en exigeant en justice la destruction de leurs habitations. A ses yeux, l’Union européenne est complice de cette illégalité, du fait de ses programmes d’aide.