bitterlemons : Quel effet la brèche dans la frontière a-t-elle eu sur la situation sur le terrain à Gaza ?
Sarraj : Eh bien, beaucoup de gens ne sont pas à Gaza actuellement. On dit qu’environ 700 OOO personnes se déplacent entre Gaza et l’ Egypte. Gaza déborde des choses qu’Israël ne nous permettait pas d’avoir auparavant et les gens se pressent sur les marchés pour acheter des ordinateurs, du ciment, des lampes, de l’huile, du carburant et même des fenêtres. Quand Israël a bombardé ce bâtiment à Gaza la semaine passée, toutes les fenêtres des bâtiments avoisinants ont volé en éclats. Comme Israël ne permettait pas que l’on ait des fenêtres, les gens n’ont pas pu réparer, mais maintenant de nouvelles fenêtres sont installées.
On trouve de tout sur les marchés maintenant. Le prix des cigarettes a baissé de 40 à 6 shekels. On trouve du chocolat pour les enfants. Les gens sont euphoriques depuis qu’ils peuvent sortir de la prison, même si le répit va être court. Les gens vont pique-niquer à El Arish, ils y mangent du poisson et y passent deux heures. Parfois des familles y vont pour la journée et rentrent le soir. Gaza est devenu un endroit très dynamique.
bitterlemons : Certaines personnes disent que la chute de ce mur est un succès majeur pour le Hamas. Est-ce aussi votre perception de la situation ?
Sarraj : Que le Hamas l’ait planifié ou pas, je pense que le mouvement n’a été que l’instrument de ce qui s’est produit. Le Hamas vient de prouver à nouveau qu’il est une force avec laquelle il faut compter et que si l’on veut parler de roquettes ou de Shalit [le soldat israélien capturé], ou encore des points de passage ou des relations avec l’Egypte, alors il faut parler avec le Hamas.
bitterlemons : En quoi ceci influe-t-il sur l’image du Hamas dans l’opinion ?
Sarraj : Le Hamas a perdu une partie de sa popularité après l’assassinat d’un certain nombre de personnes pendant les manifestations à l’occasion de l’anniversaire du Fatah, et aussi à cause de certaines atteintes aux droits humains. Cependant, le Hamas est devenu un exemple pour les Palestiniens en général, peut-être parce qu’il n’est pas corrompu et qu’il y a à Gaza une impression de sécurité qu’on n’a jamais connue auparavant. Finalement, les gens s’identifient au Hamas comme victime du blocus israélien. Aussi, bien que l’image soit confuse dans l’ensemble, le Hamas est sorti renforcé.
bitterlemons : N’est-il pas possible que la situation actuelle amène l’Egypte à devoir prendre plus de responsabilité par rapport à Gaza, alors qu’Israël en aurait moins ?
Sarraj : Si, bien sûr. Israël a certainement le projet de revenir à la situation d’avant la guerre de 1967, quand Gaza était sous contrôle égyptien. Si cela se produit, cela aidera Israël à se focaliser sur la Cisjordanie et à la ramener progressivement à la situation d’avant 1967. Ce n’est pas si simple, bien entendu. Il existe des risques sécuritaires dans cette démarche, pour Israël et pour l’Egypte. Ces deux parties puissantes doivent maintenant trouver un compromis et ils doivent prendre en compte que c’est le Hamas qui est aux affaires.
bitterlemons : Est ce que l’Egypte peut se permettre, politiquement, de fermer la frontière ?
Sarraj : Je crois que c’est très difficile parce que le faire risque d’entraîner des émeutes au Caire. Les Frères musulmans y sont très puissants. Et l‘Egypte doit aussi veiller à sa propre sécurité. L’Egypte ne veut pas que des groupes fondamentalistes palestiniens tissent des liens avec les Bédouins du Sinaï, parce que, ensemble, ils peuvent devenir un vrai problème pour la sécurité égyptienne et donner à Israël un prétexte à agir directement dans le Sinaï.
bitterlemons : La position israélienne n’est-elle pas également difficile ?
Sarraj : Le problème pour Israël est le risque sécuritaire potentiel et je pense qu’Israël va devoir se faire à l’idée que le Hamas est ici pour rester et qu’il doit traiter avec le mouvement, peut-être par l’intermédiaire de l’Egypte. Ca m’étonnerait qu’Israël le fasse, mais peut-être peut-il arriver à un accord pour un cessez-le-feu au moins.
bitterlemons : Est-ce que cela inclue les tirs de roquettes ?
Sarraj : Si on s’assoit à une table avec le Hamas et qu’on reconnaît qu’il est un joueur essentiel dans le jeu, on peut résoudre la question des roquettes. Sinon, si on s’obstine à isoler le mouvement, les roquettes vont continuer. Il n’existe pas de mouvement populaire contre les tirs de roquettes. Comment les gens peuvent-ils s’opposer à cette forme de résistance s’ il n’y a pas d’espoir de mettre fin à l’occupation
La semaine dernière Israël a commis un massacre : il a tué 19 personnes, dont le fils de Mahmoud Zahar [un dirigeant du Hamas]. Les gens applaudissent aux roquettes contre Israël et continueront à le faire tant qu’il n’y aura pas d’espoir qu’Israël mette un terme à l’occupation et rende aux Palestiniens leur terre, leurs droits et leur liberté.
bitterlemons : Quelle chance y a-t-il de voir une réconciliation palestinienne ?
Sarraj : Très faible. Même si les Palestiniens veulent la réconciliation, je pense qu’il y a une forte résistance américaine à dialoguer avec le Hamas. Ce n’est que si des dirigeants courageux et sages existaient des deux côtés, et aussi une réelle conviction que seule l’unité peut aider à la cause palestinienne, que la réconciliation serait possible.
Il nous faut considérer que le véritable joueur dans la partie aujourd’hui est le régime fondamentaliste en Amérique et je ne crois pas que l’écroulement de la frontière va persuader les Etats-Unis de parler au Hamas.
Les Européens, à ce que je vois, sont prêts à parler au Hamas, qui est le plus puissant ici, mais les Américains ne cèdent pas. Les Etats-Unis vont même peut-être faire pression sur les Egyptiens pour qu’ils referment la frontière. Ou Washington va tout simplement agir de connivence avec Israël pour poursuivre le siège afin que les gens continuent à affluer dans le Sinaï.