Dictateur, seul rempart contre l’islamisme : l’argument a été très souvent brandi par les grandes puissances, occidentales notamment, pour justifier leur soutien aux régimes autoritaires en place dans le monde arabe. Aujourd’hui, ces régimes subissent le soulèvement de leur population. Certains comme en Egypte et en Tunisie sont tombés, d’autres sont fortement fragilisés. Les puissances occidentales et notamment les Etats Unis ou l’Union européenne ont prononcé des discours soutenant les révoltes populaires et le transfert du pouvoir.
La peur de l’islamisme est-elle un argument "dépassé" ?
iloubnan.info : Cet argument "dictateur seul capable d’empêcher la prise de pouvoir des islamistes", de quand date-t-il ?
Barah Mikail : A ma connaissance, on ne peut pas dater cette idée de manière précise. Cela étant dit, avant même d’en arriver à la question des islamistes et de leur affirmation potentielle, il ne faut pas oublier que les lendemains de la Seconde guerre mondiale avaient donné une représentation similaire des enjeux prévalant aujourd’hui en la matière. Avec les évolutions de la Guerre froide, beaucoup de gouvernements occidentaux considéraient que la consécration de régimes et gouvernants autoritaires, voire dictatoriaux, pouvait être une nécessité pour qui aspirait à limiter l’extension du communisme ou des idées trop socialisantes à l’échelle de la planète. La consécration par les Etats-Unis du général Pinochet au Chili, mais aussi leur contribution au renversement du gouvernement Mossadegh en Iran, le montrent bien. Pour ce qui est de l’islamisme, il n’a donc incarné en soi qu’une continuité sur le plan du fonctionnement, avec en parallèle un déplacement de la nature de l’ennemi tel qu’envisagé essentiellement par les Occidentaux après la chute du Mur de Berlin (1989).
Les USA n’avaient-ils pas favorisé dans les années 70 et 80 la montée de l’islamisme pour contrer le communisme, leur bête noire de l’époque ?
Tout à fait. Et il s’est avéré que leur stratégie s’est retournée à leur encontre, les Talibans tombant dans le droit fil des Mudjahideen (combattants afghans) qu’ils avaient soutenus auparavant. Mais c’est à partir de là que l’on voit que tout est affaire de contexte, et que la notion d’animosité est tout sauf figée dans le temps. Quand l’islamisme l’aura cédé un jour à un autre type d’ennemi, on aura probablement la même tendance de la part des puissances du monde à vouloir consacrer des gouvernants autoritaires mais efficaces contre leurs ennemis. Le pire, c’est qu’elles ne paraissent pas pour autant prêtes à retenir les leçons qui s’imposent. Le soutien des Mudjahideen a, d’une certaine manière, mené aux attentats du 11-Septembre. Mais cela n’a pas pour autant empêché les Etats-Unis d’armer des tribus en Irak en 2007, pour motifs de lutte contre al-Qaïda… sans pour autant se poser, à l’époque, la question de savoir ce que ces mêmes tribus feraient de leurs armes une fois l’objectif sollicité obtenu. Le résultat, c’est la réticence d’une partie non négligeable des représentants de ces tribus à faire allégeance à l’Etat irakien.
Cette peur est-elle justifiée ? Pourquoi ?
Il faut être d’accord sur ce que l’on entend par « islamisme ». Dans le cas d’al-Qaïda et consorts, oui, il y a de quoi avoir peur, cette formation étant capable de nihilisme et d’attentats aveugles. Mais pour ce qui est formations islamistes oeuvrant dans un cadre national, on peut être un peu plus rassurés, tout en devant cependant raisonner au cas par cas. Les Frères musulmans égyptiens, le Hezbollah libanais, le Hamas palestinien, en dépit de leurs diversités potentielles de conceptions et de stratégies, sont cependant conformes à l’action et la défense de leurs intérêts conformément à un cadre national ; et quand bien même elles ont été ou sont capables de violences, cela ne va pas pour autant jusqu’à être une violence aveugle ciblant des citoyens innocents. Par contre, il va de soi que devant les actions de formations similaires agissant en Afghanistan ou au Pakistan, même quand le cadre national les motive, les dégâts à large échelle n’en sont pas moins parfois au rendez-vous. Je crois donc qu’il faut être conscient de ce que les islamistes peuvent compter au rang de forces politiques dans beaucoup de contextes, et que c’est leur marginalisation qui, au contraire, a le plus de chances de mener à leur radicalisation.
Finalement, Al Qaeda n’a-t-il pas formidablement joué le jeu que l’occident mène depuis des années ?
Al-Qaïda a profité des contradictions présentes chez les Occidentaux et leurs alliés pour développer une stratégie conforme à ses propres intérêts. Mais ne concentrons pas pour autant le tout sur ce seul aspect. Les Occidentaux ont leurs torts, incontestablement, mais cela ne valide pas pour autant ni ne légitime les actes d’al-Qaïda, qui demeurent extrêmement violents et coupables à l’égard de civils innocents.