Bombardement aérien, usage de mortier et tirs préventifs systématiques..., ces témoignages décrivent le traitement quotidien infligé aux Palestiniens de Gaza par Tsahal, qui interdit pourtant à ses soldats de s’exprimer sur les opérations passées ou en cours :
« Au matin du troisième jour de l’offensive, raconte un soldat, il y avait une maison à environ 300 mètres de nos lignes (...). Nous avons détecté quatre hommes, âgés de 25 à 40 ans, portant des keffiehs, qui se tenaient debout à l’extérieur et discutaient. C’était suspect. Nous avons fait un rapport aux services des renseignements. (...) La maison a été bombardée tandis que ces types étaient à l’intérieur. Une femme en est sortie en tenant un enfant dans ses bras, et s’est échappée vers le sud.(...) Aucun de ces hommes n’était armé, comme le précisait notre rapport. »
Un autre soldat fait mention d’une utilisation récurrente de mortier 81mm, arme aussi puissante que peu précise, « sans que cela apparaisse justifié ». « La puissance de feu était insensée, précise un troisième témoignage. On arrivait sur place et les explosions étaient hallucinantes. Dès l’instant où l’on arrivait à nos positions, on commençait à tirer sur tout ce qui était suspect. » « Il y a eu une alerte à propos d’une femme kamikaze, raconte un autre soldat, et suite à cette alerte, les instructions sont devenues plus strictes : ne pas laisser des civils approcher les soldats. Si un civil approchait, nous devions le descendre. Nous ne devions pas courir de risques à cet égard. » « La consigne générale était : si vous vous sentez menacés, tirez. Ils n’arrêtaient pas de nous dire que c’était la guerre et qu’à la guerre, on fait feu à volonté », conclut un autre soldat.
« Il y a des bavures et des dérapages dans toutes les guerres, mais ce qui nous trouble, c’est de voir que lors de son opération à Gaza, l’armée israélienne semble avoir changé ses concepts éthiques sans nous le dire, estime Yehuda Shaul, directeur de « Breaking the Silence », une association financée notamment par les gouvernements britannique, espagnol et l’Union européenne. L’utilisation de tactiques de guerre contre les civils palestiniens est injustifiable. »
Selon une ONG palestinienne, le bilan des combats côté palestinien s’élève à 1.417 tués, dont 926 civils, quand l’armée israélienne évoque les chiffres de 1.166 morts, dont 295 civils. Côté israélien, dix soldats et trois civils ont péri.
En Israël, la validité des témoignages des soldats, repris par le quotidien israélien Haaretz, a été mise en cause par l’armée avant même leur publication. « S’il y a lieu de critiquer le comportement de notre armée, ces critiques doivent être adressées au ministère, et non à l’opinion publique », a estimé le ministre de la défense, Ehoud Barak. Et pour Asa Kasher, professeur de philosophie à l’université de Tel-Aviv, auteur du code d’éthique de l’armée et qui considère l’opération Plomb durci comme « légitime », « cette organisation [Breaking the Silence, Shovrim Shtika en hébreu] se targue de défendre des valeurs morales alors qu’elle a en fait une intention : aller dans le sens des accusations palestiniennes », confie-t-il à Haaretz, avant d’ajouter : « Quand les soldats disent qu’ils pouvaient tirer à volonté, soit ils ont agi de leur plein gré et c’est condamnable, soit ils n’ont pas refusé les ordres de leur supérieur, ce qui est également condamnable. Les soldats ont l’obligation légale de refuser des ordres illégaux, de tirer sur des innocents. [...] C’est très facile, des mois après les faits, de jeter la pierre à l’armée en prenant les médias à témoin. »
Dès janvier, au lendemain de l’offensive, le gouvernement israélien réaffirmait son soutien à l’armée. Interrogé par Haaretz, Ehoud Barak, déjà ministre de la défense, affirmait que « les forces de défense israéliennes [avaient] fait tout ce qu’elles pouvaient pour respecter la loi internationale, et pour éviter de blesser des civils étrangers au conflit ».
Plaintes contre Olmert, Barak et Livni à la Cour pénale internationale
Depuis janvier pourtant, plusieurs plaintes contre le gouvernement israélien ont été déposées devant la Cour pénale internationale, compétente pour juger les individus, mais pas les Etats, cela étant du ressort de la Cour internationale de justice.
Le 14 janvier, une délégation conduite par l’avocate et militante libanaise May Al-Khansa a été reçue par le bureau du procureur de la CPI à La Haye pour déposer la première plainte pour « crimes de guerre » contre l’ancien premier ministre israélien, Ehoud Olmert, le ministre de la défense, Ehoud Barak, et la ministre des affaires étrangères sortante, Tzipi Livni. Le procureur de la Cour pénale internationale s’est alors dit incompétent pour enquêter sur d’éventuels crimes de guerre commis au cours de l’offensive dans la bande de Gaza. Les compétences de la CPI se limitent aux crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocides commis sur le territoire d’Etats membres ou par leurs ressortissants. Or Israël n’a pas ratifié le traité créant la Cour pénale internationale, et ne reconnaît pas la légitimité de ce tribunal.
Depuis, d’autre plaintes ont cependant été déposées devant la cour, comme celle rédigée le 22 janvier par un collectif de 450 associations et 40 avocats, pour « crimes de guerre et crimes contre l’humanité », selon Gilles Devers, avocat au barreau de Lyon. Et, le 4 février, l’Autorité palestienne a reconnu la légitimité de la CPI, ouvrant ainsi la possibilité à la Cour d’enquêter sur le territoire de Gaza. Début mars, le procureur de la CPI, Luis Moreno Ocampo, estimait que cette enquête demeurait une « possibilité ». « Nous sommes en phase d’analyse », confiait-il alors. Le dossier n’a pas beaucoup évolué depuis.
Pourtant, dans un rapport publié au début du mois de juillet, l’organisation de défense de droits de l’homme Amnesty international a accusé Tsahal de « crimes de guerre ». Et, la semaine dernière, l’envoyé spécial de l’ONU dans les territoires occupés palestiniens a qualifié l’offensive israélienne à Gaza de « crime contre l’humanité ».
Six mois après la fin de Plomb durci, la population de Gaza continue, elle, de payer le prix des destructions massives et systématiques décrites par les témoignages des soldats publiés par « Breaking the Silence. » L’eau et les vivres parviennent en quantité insuffisante, la plupart des infrastructures ont été détruites, et quelque 600.000 tonnes de gravats commencent à peine à être déblayées, selon le personnel des Nations unies présent sur place.