Près de trois mois après le début des soulèvements dans le monde arabe, la logique de la répétition des révolutions tunisienne et égyptienne a été cassée, mais la lame de fond n’en a pas pris fin pour autant. Entre les transitions tunisienne et égyptienne et la descente aux enfers libyenne, le monde arabe présente désormais une grande diversité de situations.
« Et si la théorie des dominos était fausse ? », titrait Rue89 le 17 février. La suite a montré qu’en effet, les scénarios des révolutions tunisienne et égyptienne ne s’est reproduit nulle part ailleurs. Pour autant, la « contagion » démocratique n’épargne personne, avec des conséquences concrètes, comme ce discours inattendu du roi Mohammed VI du Maroc, mercredi dernier, engageant prudemment son royaume sur la voie de la séparation des pouvoirs, une première réponse politique au risque de contestation de la rue.
Il est aujourd’hui possible de répartir les pays arabes en cinq catégories, selon l’ampleur du soulèvement, et la réponse des autorités. Etat des lieux d’un monde arabe qui n’évolue pas à la même vitesse ni nécessairement dans la même direction, mais qui s’est incontestablement remis en mouvement.
– 1. Les révolutions réussies
– 2. La révolution violente
– 3. Les soulèvements réprimés
– 4. Les pays hésitants
– 5. Les pays au calme trompeur
Les révolutions réussies
La couverture du numéro 8 de Rue89 Le MensuelLa Tunisie, la première, a renversé son dictateur, Zine Ben Ali, le 14 janvier, aussitôt suivie par l’Egypte, qui a chassé Hosni Moubarak le 11 février.
Depuis, ces deux pays vivent au rythme agité des périodes de transition, en tentant de faire émerger de nouvelles institutions démocratiques et légitimes, une société civile, des médias libres (voir à ce sujet le dernier numéro de Rue89 Le Mensuel dont la couverture est consacrée à la « Génération révolution »).
Dans les deux pays, la rue n’a pas cessé de s’exprimer, parfois de manière contradictoire, une fois le tyran parti.
Les révolutionnaires ont poursuivi leur action contre les tenants de l’ancien régime qui tentaient de s’accrocher, obtenant, tant en Tunisie qu’en Egypte, le départ du Premier ministre hérité du passé, des premières mesures contre les polices politiques, un début de renouvellement des responsables.
En Tunisie, le parti de l’ancien Président a également été dissout, provoquant une liesse populaire intense.
Ils sont également engagés dans des processus de construction de nouvelles institutions : les Tunisiens voteront ainsi le 24 juillet pour l’élection d’une Assemblée constituante, premier pas vers l’élaboration d’une nouvelle constitution démocratique.
En Egypte, les candidats commencent à se faire connaître en vue d’une échéance électorale encore indéfinie : Mohammed El-Baradei, le prix Nobel de la paix, ex patron de l’AIEA, s’est ainsi d’ores et déjà porté candidat.
Cette évolution n’est pas un fleuve tranquille : la Tunisie a connu de nouvelles violences urbaines début mars, qui ont fait redouter une tentative de déstabilisation de la jeune révolution.
Et l’Egypte connaît également ses soubresauts, avec des violences autour de la place Tahrir, contre les femmes ou contre des manifestants pro-démocratie, ou encore dans de nouveaux affrontements entre communautés copte et musulmane faisant plusieurs morts. Mais aussi des scènes impensables il y a encore quelques semaines, comme cet assaut populaire du bâtiment de la Sécurité d’Etat, véritable « Stasi égyptienne » où étaient stockées les fiches individuelles des Egyptiens (Voir la vidéo)
Ces deux processus se déroulent sous le regard vigilant et actif de l’armée qui, dans les deux cas, reste au cœur d’une transformation restant, après quelques semaines mouvementées, porteuse d’espoir.
La révolution violente
La Libye a basculé dans la violence et l’horreur. Le soulèvement d’une partie de la population, dans la foulée de la Tunisie et de l’Egypte, s’est heurté à la répression violente du régime de Mouammar Kadhafi qui a promis des « rivières de sang » à ceux qui voudraient le renverser.
Très rapidement, l’Est de la Libye s’est libéré du joug du régime de la Jamahiriya de Kadhafi, et de nouvelles autorités révolutionnaires ont été mises en place à Benghazi, la grande métropole de l’Est.
Mais à Tripoli et dans une partie de l’Ouest, Kadhafi et ses partisans ont organisé la résistance et le contre-attaque, utilisant l’aviation et les blindés contre les insurgés, armés eux-aussi avec ce qu’ils ont récupéré sur les forces gouvernementales passées de leur côté. Ces derniers jours, les forces loyales à Kadhafi, mieux armées et mieux organisées, ont commencé à regagner une partie du terrain perdu à l’Est. (Voir ce reportage de BFM-TV).
Le développement d’une véritable guerre civile en Libye change totalement le scénario des révolutions largement pacifiques de Tunisie et d’Egypte, dans lesquelles, de surcroît, les armées nationales et républicaines ont pris le partie du peuple au moment décisif.
La Libye place en outre les Occidentaux dans une situation inédite, puisqu’ils sont invités par les insurgés à s’impliquer, y compris militairement, dans ce conflit interne, tandis que Kadhafi, après avoir dénoncé Al Qaeda, s’en prend maintenant à un « complot occidental » pour faire main basse sur son pétrole.
Nicolas Sarkozy s’est illustré dans ce dossier en reconnaissant, le premier, les nouvelles autorités de la Libye libérée, mais dans des conditions qui ont suscité confusion et discrédit, sans même prévenir son ministre des Affaires étrangères Alain Juppé ou ses alliés européens.
Quoi qu’il advienne, que Kadhafi soit chassé du pouvoir, qu’il réinstalle son autorité, ou encore que la Libye soit durablement divisée en deux, le « cas libyen » est pour l’instant à part dans la vague révolutionnaire arabe et semble plus proche du chaos que de la démocratie libérale.
Les soulèvements réprimés
A Bahrein ou au Yémen, des manifestations de masse ont eu lieu pendant des jours, mais se sont heurtées à la répression des régimes en place, au prix de dizaines de morts et blessés, sans pour autant dégénérer en guerre civile comme en Libye.
Dans chacun de ces deux Etats, le contexte politique et social a fortement joué pour empêcher ce mouvement de prendre de l’ampleur et de l’emporter face à des pouvoirs déterminés.
A Bahrein, pendant des jours, les protestataires, principalement chiites comme la majorité de la population, ont tenté de récidiver le précédent de la place Tahrir du Caire. Les manifestants occupent depuis trois semaines la place de la Perle, devenue l’épicentre de la protestation, destinée à obtenir une monarchie constitutionnelle.
Dimanche dernier, les manifestants sont allés protester devant l’ambassade des Etats-Unis pour réclamer la fin du soutien américain au régime de Manama, mettant Washington dans l’embarras alors que cette petite île du Golfe abrite le commandement de la cinquième flotte américaine.
Sur le site de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), une militante des droits de l’homme qui a souhaité garder l’anonymat émet un jugement sombre sur la situation :
« A Bahreïn la société est divisée : une partie de la société appelle à des réformes en profondeur, alors que l’autre partie – tout en demandant des changements politiques – ne souhaite pas la fin du régime politique ni du gouvernement.
Je crains une guerre civile. J’espère que nous n’en arriverons pas là mais la situation ici est très grave et la division entre sunnites et chiites est de plus en plus profonde. »
Signe de ces divisions, la mobilisation des partisans de la famille royale, début mars à Bahrein. (Voir la vidéo)
Le Yémen s’enfonce dans la confrontation
Au Yémen aussi, des manifestations de plusieurs dizaines de milliers de personnes ont lieu presque tous les jours depuis plus d’un mois, sans faire fléchir le Président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis trente-deux ans. Ce dernier a fait une seule concession importante : il ne se représentera pas en… 2013. Insuffisant pour les protestataires.
La répression de ces manifestations a déjà fait 27 morts et des centaines de blessés. Samedi, une nouvelle fois, la police a attaqué les manifestants avec des gaz puissants, faisant trois morts (voir ces images fortes d’Al Jazeera).
Ali Abdallah Saleh s’accroche donc au pouvoir, alors que de plus en plus de tribus yéménites se joignent aux protestations de l’opposition, y compris dans les provinces. Le président yéménite a changé de discours cette semaine, en s’en prenant aux Etats-Unis, auxuquels il a pourtant été très lié dans la lutte contre Al Qaeda.
Il a estimé que les soulèvements qui agitent le monde arabe « de Tunis au sultanat d’Oman […] sont une tempête orchestrée depuis Tel Aviv, sous la supervision de Washington » :
« Il y a un centre d’opérations à Tel Aviv pour déstabiliser le monde arabe, et qui est dirigé depuis la Maison Blanche. »
A Bahrein comme au Yémen, l’issue de ces confrontations reste incertaine.
Les pays hésitants
Dans plusieurs pays arabes, les appels à manifester consécutifs aux révolutions tunisienne et égyptienne ont connu un certain retentissement, mais pas comparable aux rassemblements massifs de Manama ou d’Aden, ni la violence enregistrée en Libye.
Ainsi, au Maroc, les appels à manifester lancés pour la première fois le 20 février, ont eu un plus grand écho que ne le laissaient supposer les partisans du roi Mohammed VI, pour qui le Maroc était « différent ». Des rassemblements de plusieurs milliers de personnes se déroulent régulièrement depuis février dans les grandes villes du royaume, réclamant une monarchie constitutionnelle.
Même limités, à l’aune de ceux de Tunisie, d’Egypte, de Bahrein ou du Yémen, ces rassemblements et surtout le contexte régional ont été jugés suffisamment importants pour que le roi Mohammed VI prenne l’initiative, mercredi 9 mars, de lancer un processus de réforme constitutionnelle.
Il a en particulier annoncé la création d’une commission chargée de déterminer une modification de la constitution allant dans le sens d’une démocratisation des institutions, avec un Premier ministre « exécutif » et d’une décentralisation. Un référendum populaire validera cette réforme de la Constitution, la première en une décennie au pouvoir, depuis la disparition de son père, Hassan II.
Le roi a fait une promesse plus globale :
« […] la consolidation de l’Etat de droit et des institutions, l’élargissement du champ des libertés individuelles et collectives et la garantie de leur exercice, ainsi que le renforcement du système des droits de l’Homme dans toutes leurs dimensions, politique, économique, sociale, culturelle, environnementale et de développement. » (Voir la vidéo du discours en arabe, sa traduction française ici)
Si on prend ces déclarations au pied de la lettre, c’est l’amorce d’une monarchie constitutionnelle. Le discours a été globalement perçu positivement par la société marocaine, comme une ouverture, certes imparfaite, mais aux antipodes des premiers discours de Ben Ali ou de Moubarak lorsqu’ils ont été confrontés à la contestation de la rue.
Sur France24, le prince Moulay Hicham, le cousin du roi Mohammed VI, qui vit en Californie et qui avait apporté son soutien aux manifestations du 20 février, résume la situation :
« Je trouve que la réaction du Souverain est une réaction politiquement intelligente, moralement avisée. […] Mais il faut savoir qu’il y a deux visions qui s’affrontent : l’une selon laquelle un acte fondateur de cette importance ne peut pas être un cadeau régalien ; et il y a une autre vision qui dit “d’accord pour la dimension légitimité, nous l’acceptons, et dans ce processus il ne faut pas sacrifier la stabilité”, et pour laquelle il est donc important pour éviter tout dérépage de rester dans le contexte de cette commission. » (Voir la vidéo)
Du côté des initiateurs du mouvement, c’est évidemment la première des deux attitudes décrites par Moulay Hicham qui prévaut. Nizar Bennamate, une des figures du « mouvement du 20 » assure ainsi que les nouvelles manifestations prévues pour le 20 mars auront bien lieu, « pour se féliciter de cette avancée, mais aussi pour continuer à protester ». Elle ajoute :
« Les activistes du 20 sont majoritairement contre la logique de la désignation, de la nomination. »
Or dans son discours, le monarque a déjà nommé le président de la commission pour la révision de la Constitution : Abdeltif Menouni, professeur de droit à Rabat.
Dans le discours, on peut également lire : « Il appartient […] à la commission de soumettre les résultats de ses travaux à Notre Haute appréciation. » Les militants les plus engagés ont donc bien compris que s’ils relâchaient la pression, les réformes seraient a minima, nous signale un correspondant de Rue89 au Maroc. « Nous sommes loin de la participation démocratique voulue. »
En revanche, une partie de la population urbaine risque de ne plus comprendre l’intérêt d’aller manifester. Du coup, les manifestations risquent peut être d’être moins nombreuses, mais plus militantes. Avec le risque de voir réprimer ceux qui refuseraient de « jouer le jeu » du Palais, comme le font redouter les incidents sérieux qui se sont produits ce dimanche devant le siège d’un parti politique à Casablanca.
Reste l’attitude du mouvement islamiste Al Adl Wal Ihsane, qui n’a pas jeté toutes ses forces dans la bataille. Vendredi, il a commencé un cycle de « waqafat al masjidiya », des sit-in dans les mosquées, après la prière, officiellement, en solidarité avec les Libyens.
Le Maroc se croyait différent en raison de l’enracinement de sa monarchie, comparé aux dictatures tunisienne et égyptienne, et le relatif assouplissement des libertés publiques depuis la mort du père de Mohammed VI, le roi Hassan II, un autocrate qui a cruellement réprimé ses opposants.
Mais l’ampleur des inégalités sociales, la richesse personnelle de la famille royale, et un système politique sclérosé avec des élections totalement vidées de tout sens, ainsi qu’une jeunesse très présente sur les réseaux sociaux, sont des ingrédients communs avec le reste du monde arabe, expliquant la mobilisation relativement importante.
Rendez-vous est donc pris, d’abord le 20 mars pour juger de la mobilisation après le discours du roi, puis lorsque le fruit de ces réformes promises sera annoncé. Le Maroc, à ce stade, a pris une voie originale, celle d’un possible compromis, qui ne ressemble à aucune autre dans le monde arabe.
L’Algérie et le souvenir de la décennie sanglante
Autre pays où la mobilisation est restée modeste : l’Algérie, pour des raisons différentes. D’un côté, les autorités ont pris des mesures policières très importantes à chaque annonce de rassemblement d’opposition, tandis que, de l’autre, les protestataires restaient en nombre limité.
Tout se passe comme si l’Algérie, qui sort d’une décennie sanglante et traumatisante, se montrait réticente à prendre le risque de nouvelles divisions et violences. Et le pouvoir algérien, largement discrédité et entaché d’un grand parfum de corruption, a lâché du lest en tolérant le secteur informel à une échelle sans précédent, comme une soupape de sécurité économique et sociale.
Les pays au calme trompeur
Certains pays n’ont quasiment pas connu de soubresauts depuis le début de la vague révolutionnaire. Par exemple l’Arabie saoudite et la Syrie, deux pays-clés du Moyen-Orient, où des régimes très différents, monarchie ultra-conservatrice et théocratique pour le premier, dictature politico-policière laïque pour le second, ont pris leurs précautions pour empêcher toute contestation.
En Arabie saoudite, il y a bien eu des appels à manifester sur Facebook, mais les seuls remous ont été enregistrés parmi la minorité chiite de l’Est du royaume où il y a eu des victimes, et quelques vagues au sein de l’intelligentsia de Djeddah, et un vaste déploiement policier à Ryadh, la capitale, accompagné d’interdictions formelles de tout regroupement.
C’est surtout sur Facebook que l’opposition se fait entendre. Un groupe baptisé « Le peuple veut la réforme du régime » réclame l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, et a reçu plus de 2 000 soutiens. L’initiateur de certains des appels à manifester, Mohammed al-Wadani, a été interpellé et gardé plusieurs jours par la police avant d’être libéré la semaine dernière.
Dans un article publié par la rubrique « Comment is free » du Guardian, la blogueuse saoudienne Eman Al Nafjan, qui anime à partir de Ryadh le Saudiwoman Webblog, estimait la semaine dernière que le royaume était mûr pour une révolution, mais ajoutait cette appréciation de la frustration ambiante :
« Les Saoudiens se sentent coincés, avec peu de moyens d’expression alors qu’au même moment ils sont confrontés aux informations et aux opinions qui ne font qu’ajouter du sel sur la plaie.
Par exemple, le Prince Talal Bin Abdul Aziz, le demi-frère du roi, est allé sur le service arabe de la BBC pour exprimer son soutien à une monarchie constitutionnelle, en estimant que moins que cela serait “diabolique”, selon son propre mot. »
Rentré fin février d’une longue absence du royaume pour raisons médicales, le roi Abdallah, qui est âgé de 86 ans, a pour sa part annoncé des mesures économiques destinées à calmer toute velléité protestataire parmi ses sujets, notamment l’intégration dans les salaires de la fonction publique d’une prime exceptionnelle de 15%, et des milliards de dollars pour l’aide au logement.
Une manière assez classique dans les pétro-monarchies du Golfe d’acheter la paix sociale plutôt que de répondre aux revendications d’une partie de ses sujets, et en particulier d’une jeunesse aux aspirations de plus en plus éloignées de la mentalité des dinosaures qui les gouvernent, et des femmes toujours traitées au mieux en citoyens de seconde zone, au pire en enfants.
La Syrie prête à réprimer
Appel à manifester du 15 mars en Syrie.En Syrie, c’est sur Facebook, pour l’instant, que s’agitent les partisans d’un changement démocratique, faute d’espace public autorisé. Un appel à manifester a été lancé pour le 15 mars, mais qui se heurtera, sans nul doute, à toute la force de l’appareil policier du régime baasiste.
La Syrie est dirigée par le rejeton de la dynastie républicaine Assad au pouvoir depuis quatre décennies : Bashar el-Assad, ophtalmo de formation, et surtout fils cadet de son dictateur implacable de père décédé en l’an 2 000, Hafez el-Assad.
Les débuts de son règne, il y a dix ans, furent prometteurs et on a même pu parler de « printemps de Damas ». Mais le printemps a été de courte durée.
Les vieilles habitudes ont repris le dessus et, en février, Tal Al-Mallouhi, une blogueuse syrienne de 19 ans, a été condamnée à cinq d’emprisonnement par la Haute cour de sûreté à Damas, accusée d’« espionnage » au profit des Etats-Unis. Un sinistre avertissement envers tous ceux qui voudraient utliser les réseaux sociaux pour organiser des protestations.
Pourtant, en Syrie, les motifs de mécontentement ne manquent pas, qu’il s’agisse du fossé croissant entre une minorité qui accapare les richesses et une grande masse d’exclus, l’absence de liberté, et la mainmise sur le pouvoir de la minorité alaouite.
Mais chacun sait en Syrie que le pouvoir n’hésite pas à écraser les révoltes dans le sang : le souvenir du soulèvement des habitants de la ville de Hama, qui a fait 10 000 morts en 1982, reste dans tous les esprits.
Les Palestiniens demandent l’unité
Reste, enfin, l’inconnue palestinienne. La Palestine n’est pas (encore) un Etat, mais deux entités distinctes aujourd’hui : la bande de Gaza dirigée par les islamistes du Hamas, et la Cisjordanie occupée par Israël et en partie autonome, sous l’égide de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.
Lorsque les manifestations ont démarré en Egypte voisine, il y a eu une grande nervosité parmi les responsables palestiniens et les rassemblements de soutien ont été interdits par l’Autorité palestinienne.
Même à Gaza, où le Hamas revendique une filiation directe avec les Frères musulmans égyptiens qui participaient à l’occupation de la place Tahrir du Caire, on ne se réjouissait pas de ces événements qui risquaient de plonger la région dans l’inconnu.
Appel à manifester du 15 mars dans les territoires palestiniens. Les territoires palestiniens sont donc, de fait, restés largement à l’écart de la lame de fond qui traverse l’ensemble du monde arabe. C’est potentiellement en passe de changer, comme le signalait Hala Kodmani sur son blog Neo Arabia, avec un appel à manifester le 15 mars, lancé sur Facebook, par un groupe intitulé « Le peuple veut la fin de la division ».
Hala Kodmani ajoutait :
« Autant, sinon plus que tous les autres peuples arabes, les Palestiniens ont des raisons de se soulever. Ils en ont d’ailleurs beaucoup plus l’habitude que les autres à travers leurs révoltes contre l’occupation israélienne.
Mais l’inattendu étant devenu la règle des révolutions arabes, c’est d’abord contre leurs propres dirigeants que les jeunes Palestiniens se mobilisent pour mettre fin à l’insupportable déchirure que leur imposent les deux gouvernements du Hamas à Gaza et du Fatah en Cisjordanie.
Signe de la maturité politique instinctive de cette nouvelle jeunesse, ils signifient clairement leur priorité : l’union nationale est vitale pour mener la bataille pour les droits nationaux. »
Ce rendez-vous du 15 mars risque de se dérouler dans un contexte très tendu, après le meurtre, ce week-end, d’une famille de colons juifs en Cisjordanie, attribué à un Palestinien toujours en fuite. Le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a promis des représailles, même si l’Autorité palestinienne a condamné cet acte.
De fait, le quotidien israélien Haaretz rapportait récemment que l’armée israélienne, alarmée par les révolutions tunisienne et égyptienne, élaborait des plans pour faire face à de possibles mouvements de masse, non violents et durables, parmi les Palestiniens : une « troisième intifada », expression qui commence à faire son chemin dans les esprits, en référence aux soulèvements palestiniens des années 80 et du début des années 2000.
C’était avant le meurtre de la colonie d’Itamar, qui montre que les menaces peuvent être nouvelles, ou anciennes.
Mais, on le voit, il n’y a pas un pouce du monde arabe qui échappe aujourd’hui à la vague protestataire née du geste de Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, cette obscure bourgade tunisienne devenue le point de départ d’un mouvement historique dont nul ne peut prédire, à ce stade, quand elle s’arrêtera, et à quoi ressemblera le paysage du monde arabe une fois la situation stabilisée.