Y a-t-il encore des mots pour dire ce qui se passe de l’autre côté du mur ou dans la prison vivante de Gaza, là où entrer est devenu une gageure ? Pour ce septième voyage en Palestine, j’ai eu la chance d’accompagner deux responsables, chargées de mission du CCFD, venues évaluer une partie des projets soutenus, avec une priorité pour Gaza.
Que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza, nous avons trouvé un peuple épuisé, sans aspiration politique ni repère, sans espoir et sans attente si ce n’est de trouver des réponses de survie. La Palestine n’existe plus qu’à travers des villes morcelées. En Cisjordanie, le mur a contribué à détruire tout ce qui restait d’espoir. Il prolonge maintenant le checkpoint de Kalandia, celui de Bethléem se termine, chef-d’oeuvre d’absence architecturale. " Chaque olivier déraciné ", témoigne une femme, " est quelque chose de mon identité, de ma culture, qu’ils arrachent ". Ecrasés, enfermés, isolés, les Palestiniens ont le nez dans le mur. sont face au mur.
Gaza, où nous avons pu entrer le 18 mai, est une prison vivante. Chômage massif, pollution, salinisation de l’eau, destructions, incursions, les Gazaouis vivent comme sans espoir et sans avenir ; la mort a rejoint la vie, s’y est comme intégrée. Le bruit permanent des avions entretient une guerre psychologique : " La nuit, mes enfants dorment avec moi, si on doit mourir cette nuit, on sera ensemble. "
Les travaux publics de rénovation ont été abandonnés, des immeubles construits avant l’intifada sont vides. Le quartier de Zeitoun a été détruit mi-mai, les habitants ont installé des tentes sur les décombres. Si les Gazaouis peuvent encore assurer leur autonomie en matière de fruits et légumes, ils sont, pour le reste, consommateurs limités des produits israéliens. La pêche, soumise à autorisation israélienne, est cantonnée à une mince bande maritime où les poissons ont du mal à se reproduire.
Du 18 au 21 mai, nous avons été les témoins impuissants de la tragédie de Rafah. Quatre jours avant l’opération " Arc-en-ciel ", un ami de Gush Shalom est venu m’informer que la presse israélienne annonçait la destruction de huit cents maisons à Rafah. Le monde savait. Rafah était bouclé, nous entendions les avions et les appels des familles par téléphone portable.
Le 19 mai, un étudiant envoie un SMS à son professeur : " Ils approchent, mon voisin vient de mourir, je sais que c’est mon tour, au revoir, la mort ou la vie pour un Palestinien, c’est la même chose ". Ils ont vingt ans. Les messages se succèdent : " Ils ont tiré sur la manifestation pacifique, des jeunes, des enfants saignent au milieu de la route, si on sort, on nous tire dessus. "
Les secours ont été bloqués 24h. Une ambulance de l’UPMRC porte des traces de balles. Beaucoup de blessés sont atteints à la tête ou au thorax. Certains sont opérés à même le sol, dans le petit hôpital de Rafah. Les systèmes d’égout ont été endommagés, le contenu coule à travers la rue.
Le monde s’est ému trois jours, puis tout est retombé. Des gouvernements ont condamné, rituel devenu classique et banal. Nous avons ressenti la force et la terrible injustice de ce silence international. Les Palestiniens, eux, n’attendaient rien. Cette opération n’est qu’un épisode dans ce long processus de destruction.
Si le " politicide " est gagnant en Palestine, au sein même des bantoustans se construit pourtant un projet de société fondé sur la démocratie, le mouvement social, le développement. Pour Anis Gandeel, directeur d’Enfants réfugiés du monde et membre de l’institut Canaan de Gaza, " le débat laïc et progressiste a commencé ". Dans de nombreuses associations, comme dans les clubs de femmes et de jeunes du PARC, se débattent les droits des femmes, des enfants, la démocratie, la recherche d’une éducation nouvelle.
Aider les enfants et les jeunes à combattre le stress, la colère, la haine, à trouver des alternatives à la violence, à vivre une vie d’enfant est une priorité, que ce soit dans les centres de Culture et pensée libre de Khan Younis, pour Enfants réfugiés du monde, l’équipe du Theater for Everybody et bien d’autres. Une attention particulière est portée vers les jeunes qui se renferment, qui n’arrivent plus à exprimer leurs sentiments, futurs candidats aux attentats-suicides. Dans la plupart de ces centres existe un parlement des enfants. A noter aussi le projet avancé d’un centre de la paix au niveau des trois universités de Gaza.
C’est l’étonnant paradoxe d’une société civile palestinienne occupée, meurtrie, qui garde la force de construire pour un futur lointain, fragile, incertain, mais dont il est évident qu’il percera un jour puisqu’il est fondé sur la conviction du droit et de la justice. Que ce soit en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza, c’est la même démarche mais Gaza reste pour moi peut-être le lieu le plus fort de l’isolement, de la souffrance, de l’intolérable mais aussi de l’étonnante capacité des Palestiniens à rester debout et à chercher des alternatives de paix. Elle est une force qu’aucun missile ne pourra vaincre, elle est l’espoir de demain.
Françoise Guyot
Membre AFPS 38 et du CCFD