Yossi Kuperwasser a été, entre autres, chef du directorat des renseignements militaires, directeur général du ministère des affaires stratégiques [2], et membre du Habithonistin (organisation dédiée au développement du narratif israélien et à la promotion des valeurs du sionisme dans l’éducation). Bref, à 70 ans, cet homme est un expert de la propagande. Il est donc particulièrement utile d’analyser ses propos, en particulier l’image qu’il fabrique des « terroristes » pour justifier ce qu’il appelle le « prix à payer ».
Quel est donc ce « narratif du terrorisme palestinien » qui est au cœur de son argumentaire ? Il le décrit méthodiquement en sept points. Les deux premiers points déconcertent : d’abord, il accuse les Palestiniens de ne pas considérer les Juifs comme un peuple et de ne reconnaître qu’une religion ; puis il déplore que, pour eux, « les Juifs n’ont jamais eu d’histoire souveraine sur ce morceau de terre ». Il nie ainsi ce qui est pourtant parfaitement établi par les recherches historiques et sociologiques contemporaines : les origines multiples des Juifs ne permettent pas de parler d’un peuple, c’est-à-dire d’un ensemble d’individus constituant une nation, vivant sur un même territoire, soumis aux mêmes lois et aux mêmes institutions. On peut, sur ces bases, parler d’un peuple israélien, même si tous les habitants ne sont pas soumis aux mêmes lois. En revanche le « peuple juif », constitué de citoyens de différentes nations est une fiction. C’est ce qu’a montré en particulier l’historien israélien Shlomo Sand il y a quinze ans, dans son ouvrage Comment le peuple juif fut inventé. Avec le deuxième point de son argumentaire, Kuperwasser persiste dans son refus du réel : de fait, il n’existe pas de sources documentaires prouvant l’existence du grand royaume unifié décrit dans la Bible. On sait aujourd’hui que la Judée et Israël étaient alors peuplés de petites monarchies tribales, loin d’être toutes monothéistes. C’est ce qu’a montré en particulier Israël Finkelstein, directeur de l’institut d’archéologie de l’université de Tel-Aviv [3] : le grand Israël des rois David et Salomon n’a jamais existé. Ainsi avec ces deux premiers griefs, Kuperwasser reproche au « terrorisme palestinien » ce qui relève en réalité de la déconstruction par des scientifiques israéliens des fondements du roman sioniste. Grossière stratégie de diabolisation de ces connaissances pour mieux les étouffer ?
Vient son 3e grief : pour les Palestiniens, « les Européens ne pouvaient pas supporter [les Juifs]. Ils les ont renvoyés – et envoyés – dans cet endroit parce qu’ils pensaient que cela les aiderait à éloigner les musulmans d’Europe […] À cela s’ajoute l’approche musulmane du judaïsme, selon laquelle les Juifs sont les descendants des singes et des porcs » (sic). On commence ici à s’inquiéter que de telles sornettes puissent être colportées par un ancien directeur général de ministère ! Dans la foulée il prétend, dans son 4e point : « si vous voulez être un bon Palestinien vous devez et vous voulez contribuer à la lutte contre le sionisme ». Il ne s’agit donc pas de défendre sa terre en luttant contre la colonisation mais d’agir par racisme. Rien d’étonnant, dès lors pour que le grief suivant dénonce une lutte qui « n’est pas seulement nationaliste, elle est aussi religieuse », d’omettre au passage le poids inégalé de l’intégrisme dans l’idéologie israélienne actuelle. Puis il considère, dans son 6e grief, que « les Palestiniens, [affirment qu’ils] sont les seules victimes de ce conflit. Et la logique de la victimisation, bien sûr, justifie le terrorisme actuel ». Enfin, « le dernier élément de ce narratif en sept points est qu’ils ne doivent jamais accepter Israël en tant qu’État juif. C’est pour ça que le conflit se perpétue ». La malhonnêteté intellectuelle atteint alors son comble : il reconnaît que « certains d’entre eux, et même certains membres du Hamas » seraient prêts à une négociation. Mais cette ouverture est à ses yeux un piège perfide puisqu’il ne s’agirait que d’« une étape sur la voie de la libération de toute la Palestine ». Il justifie ainsi la permanence du refus sioniste de tout embryon de compromis. « Combien de personnes adoptent l’ensemble de ces sept points ? » demande alors la journaliste. « Tous », insiste notre propagandiste. « Mais ils sont si peu nombreux à passer à l’acte », relance-t-elle, un peu étonnée. « Abu Mazen […] conseille de n’utiliser la violence que dans ce qu’il appelle la résistance populaire ou la résistance populaire pacifique », rétorque-t-il sans hésiter, au risque de l’incohérence.
On est bien ici face à une stratégie délibérée de diabolisation : l’ennemi, c’est l’ensemble des Palestiniens, et ils n’ont toujours pas compris le « prix à payer ». C’est pourquoi il préconise d’augmenter la pression militaire : « nous devons renforcer notre présence dans les territoires, mettre en place davantage de barrages routiers et de points de contrôle ». Car pour lui la multiplication des barrages aurait trois avantages : empêcher certaines attaques terroristes (?!), « minimiser la présence d’Israéliens dans les villes palestiniennes », ce qui freinerait l’essor de l’économie, et enfin, la population « demanderait aux terroristes d’arrêter » (?!).
Cette pression militaire doit également être plus offensive : « vous entrez dans les camps de réfugiés et vous créez une situation dans laquelle ceux qui sont sur le point de commettre des attaques terroristes vont vous tirer dessus. Vous pourrez alors soit les arrêter soit les abattre ». Il précise cependant « nous voulons les arrêter, nous ne venons pas pour tuer » car bien sûr, « c’est aussi d’un point de vue moral, une meilleure option ». Dès lors, quand il y a des morts, c’est « parce qu’ils ont refusé d’être arrêtés ». Kuperwasser concède ainsi 130 morts Palestiniens depuis le début de l’année [4] parmi lesquels « environ 10 étaient des personnes qui se trouvaient malheureusement dans la ligne de mire, comme, Shireen Abu Akleh et ce bambin récemment à Jénine ». Sur la base de ce bilan tristement fantaisiste, il se déclare satisfait que « très peu de personnes non impliquées » soient touchées. Puis, avec une mauvaise foi confondante, il précise : « bien sûr, tout cas particulier doit être vérifié et nous devons voir ce qui s’est exactement passé ». Il évacue ainsi les conclusions accablantes de nombreuses enquêtes indépendantes, tout comme les refus réitérés d’enquêtes internationales, par exemple dans le cas de Shireen Abu Akleh. Dès lors, rien d’étonnant qu’avec le même cynisme il n’accorde aucune attention aux 219 attaques de colons dénombrées début juin contre des civils palestiniens depuis le début de l’année. Le plus inquiétant dans ce discours, c’est l’aplomb avec lequel notre propagandiste évacue les questions de droit en leur opposant la détermination israélienne à combattre « l’incitation à la haine […] fruit d’un extrémisme soigneusement cultivé ». Selon lui, c’est l’ensemble de la population palestinienne qui est coupable ; ce qui justifie la répression collective – pourtant illégale en droit international. Pire, en ignorant les enseignements de 75 ans d’histoire, il fait mine de croire que le renforcement de la répression armée amènera la population « à se poser des questions […] parce qu’ils en payeraient le prix ». Comme si la coupe n’était toujours pas assez pleine !
On ne peut que retourner à Yossi Kuperwasser ce commentaire (qu’il adresse bien sûr aux Palestiniens), car il qualifie en fait beaucoup mieux la hargne qui est la sienne et la violence des armes qu’il revendique : « Quelle autre société forme des gens qui vont tuer des innocents et qui ont l’impression de faire ce qu’il faut ? Ils sont fiers de ce qu’ils font. C’est complètement fou. »
Bernard Devin