C’est à n’en pas douter la liberté de circulation qui était la promesse mise en avant par l’Accord sur les Mouvements et l’Accès, signé il y a plus de 2 ans par Israël et l’Autorité Palestinienne. Le premier des 6 dispositifs constitutifs de cet accord concernait l’existence d’un passage entre Gaza et l’Egypte à Rafah, contrôlé par l’Autorité Palestinienne et l’Egypte. A l’époque, cet accord fut célébré comme un pas historique sur le chemin d’un état palestinien – pour la première fois, nous disait-on, les Palestiniens auraient accès au monde extérieur, et ce en dehors de tout contrôle israélien.
Alors comment se fait-il qu’Israël ait encore été en mesure d’imposer un blocus asphyxiant à la Bande de Gaza, qui abrite 1,5 millions de Palestiniens, dont 80 pourcent sont des réfugiés ? Après que les forces palestiniennes eurent créé des brèches dans le mur-frontière le 23 janvier dernier, mettant un terme au siège, beaucoup de Palestiniens critiquèrent l’Egypte pour n’avoir pas agi de la sorte beaucoup plus tôt afin de soulager les souffrances et les privations qui avaient amené Gaza à quelques jours d’une pénurie complète de nourriture et de médicaments. Mais quel que soit le rôle joué par l’Egypte, elle n’était pas seule.
C’était avant tout grâce aux bons offices de l’Union Européenne (UE), via son rôle officiel dans le contrôle du passage de Rafah, qu’Israël a toujours détenu un véto sur l’ouverture du passage. Dans les faits, chaque fois qu’Israël ne souhaitait pas que le passage soit ouvert, l’UE fort obligemment le gardait fermé.
Le passage de Rafah était ouvert pratiquement chaque jour entre le 25 novembre 2005 et le 24 juin 2006, mais pas 24 heures sur 24 comme prévu à l’origine. Cependant, après le 24 juin 2006 et la capture d’un soldat israélien par des Palestiniens, l’UE, à la demande pressante d’Israël, empêcha son ouverture régulière puis le maintint complètement fermé à partir du 9 juin 2007, après la prise du pouvoir du Hamas à Gaza.
Le Quartet pour parrain
Le soi-disant Quartet pour le Moyen-Orient (les Etats-Unis, l’Union Européenne, la Russie et les Nations Unies) a parrainé la naissance de l’accord, et le Secrétaire d’Etat américain Condoleezza Rice et Javier Solana (le Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union Européenne) étaient à Jérusalem le 15 novembre 2005 pour le lancer.
Rice affirma que l’accord “vise à offrir au peuple palestinien la liberté de circulation, de commerce, la possibilité de mener une vie normale”. Elle ajouta que “pour la première fois depuis 1967, les Palestiniens prendront le contrôle de l’accès et de la sortie de leur territoire. Et ce grâce à un passage international à Rafah.”
Solana encensa également l’accord : “c’est la première fois qu’une frontière est ouverte et non contrôlée par Israël... Alors, comme vous pouvez l’imaginer, c’est un pas très important, c’est une grande première.”
On excusera bien volontiers ceux qui pensent que les Etats-Unis et l’UE avaient ainsi mis en place un passage frontière entre Gaza et l’Egypte “hors de tout contrôle d’Israël” et que dès lors, Gaza ne pouvait plus être étranglée par Israël.
L’UE, tierce partie
Mais la réalité est bien en deçà des incantations de Rice et de Solana. L’accord ne permet pas l’importation via la passage de Rafah de marchandises dans Gaza, et donc ne facilite pas les échanges commerciaux. Et en dépit de l’habillage, le passage a toujours été sous contrôle israélien. Même si aucun Israélien, militaire ou autre, n’est physiquement présent au passage, Israël a toujours pu en commander la fermeture, tout comme il peut fermer les passages entre Gaza et son propre territoire.
On en est arrivé là car, en vertu de l’accord, une tierce partie doit être présente au passage de Rafah pour qu’on puisse en autoriser l’ouverture. La tierce partie, c’est l’UE – et l’UE a toujours refusé d’envoyer des hommes au passage quand Israël ne voulait pas qu’il soit ouvert. Dans les faits, l’UE a agit comme représentant d’Israël.
L’accord donne au personnel de l’UE présent au passage le droit “de s’assurer que l’Autorité Palestinienne respecte toutes les règles applicables et les règlements du point de passage de Rafah et les termes de cet accord” et en cas de non-respect constaté, “d’ordonner le ré-examen et la re-vérification de toute personne, bagage, véhicule ou biens”.
Pour cette tâche, l’UE a mis sur pied la pompeusement nommée Mission d’Aide Frontalière de l’UE pour le passage de Rafah, l’EUBAM Rafah. C’est une force de moins de 100 unités, la plupart des policiers, basée à Ashkelon en Israël.
En plus des contrôleurs de l’UE, qui sont physiquement présents au passage, les forces de sécurité israéliennes peuvent contrôler à distance l’activité au point de passage, par l’intermédiaire de caméras de surveillance et de liens informatiques, et peuvent lister les passages individuels. Les contrôleurs israéliens sont basés en Israël, au point de passage avec Gaza de Kerem Shalom, où est situé un bureau de liaison (entre Israël et l’Autorité Palestinienne). Une des tâches de l’UE, en tant que tierce partie de l’accord, est de “diriger” ce bureau :
“Un bureau de liaison, dirigé par la tierce partie, recevra en direct des images vidéo et des données informatiques sur l’activité à Rafah et se réunira régulièrement pour contrôler la mise en oeuvre de cet accord, résoudre les querelles issues de cet accord, et réaliser d’autres tâches spécifiées dans cet accord”.
Veto israélien
Aussi ridicule que cela puisse paraître, l’UE considère que l’ouverture du passage est une question qui peut être mise en cause par des représentants israéliens dans le bureau de liaison. S’ils n’acceptent pas de l’ouvrir, l’UE n’envoie pas ses contrôleurs au point de passage, ce que les termes de l’accord exigent pour l’ouverture. Ainsi, Israël peut mettre son veto à l’ouverture du passage, même si, selon Rice et Solana, celui-ci “n’est pas contrôlé par les Israéliens”.
Mais sur le site de l’EUBAM, la réponse à la question “Est-ce que l’EUBAM peut ouvrir le point de passage ?” est :
“ Le Point de Passage de Rafah ne peut être ouvert que suite à un accord entre les Parties. L’EUBAM ne peut pas seule ouvrir le point de passage.”
C’est clair comme de l’eau de roche : d’après l’UE, l’accord donne à Israël un droit de veto sur l’ouverture du passage. Rien dans l’accord ne justifie une telle interprétation – et cela contredit totalement les déclarations de Rice et de Solana comme quoi le passage ne serait “pas contrôlé par les Israéliens.”
De plus, toujours selon l’UE, l’accord donne à Israël le droit de fermer le passage alors qu’il est ouvert. Selon un communiqué de presse du 14 décembre 2006, après l’ouverture du passage ce jour-là, “le Gouvernement d’Israël a demandé que le passage soit fermé en raison de l’arrivée attendue du Premier Ministre Haniyeh, dont on rapportait qu’il transportait une forte somme d’argent”. Après avoir consulté Bruxelles, l’UE a fermé le passage.
Depuis que le mur-frontière construit par Israël entre Gaza et l’Egypte a été détruit, l’Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas à Ramallah, l’Egypte et l’UE se sont réunis pour essayer de restaurer les termes de l’accord. Le Hamas, exclu de ces réunions, a déclaré qu’il ne permettra pas le retour à la situation de contrôle israélien de facto via la “tierce partie” et a exigé un rôle dans le contrôle du passage.
Si Gaza doit pouvoir être soustraite à l’asphyxie d’Israël dans le futur, alors on doit mettre un terme au veto israélien sur l’ouverture du passage de Rafah. En complément, le passage doit permettre les importations commerciales dans Gaza, ce qui n’est pas inclut dans le présent accord.
David Morrison écrit pour le Labour & Trade Union Review www.ltureview.com, où un version plus longue de cet article a été publiée. Il vit à Belfast et l’adresse de son site internet est www.david-morrison.org.uk