Une rue déserte du camp de Yarmouk, le 9 avril 2015.
L’Etat islamique (EI) contrôle depuis lundi 6 avril la majeure partie du camp palestinien de Yarmouk, à Damas. Le quartier, en développement jusqu’à l’éclatement du conflit syrien, subit depuis 2011 les conséquences humaines et matérielles de la guerre. Sa possession reste stratégique, tant pour le régime de Bachar Al-Assad que pour l’EI.
Un quartier à part entière
Les premiers Palestiniens se sont installés à Yarmouk à partir de 1957, après la première guerre israélo-arabe de 1948-1949. Situé dans le sud de Damas, à 7 kilomètres de l’hypercentre, ce camp est rapidement devenu l’un des plus importants points d’accueils de la communauté palestinienne au Moyen-Orient et le plus grand du pays, avec 150 000 réfugiés (soit environ 37 % des Palestiniens de Syrie) répartis sur une zone de 2 km². Au fil des années, Yarmouk s’est peu à peu fondu dans le tissu urbain de la capitale syrienne, jusqu’à devenir un quartier à part entière de la ville, où résident également des Syriens et des Irakiens.
Le camp a été établi par le régime syrien, mais il est administré par l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) qui propose de nombreux services comme l’accès à l’éducation ou à la santé.
Des camions des Nations unies distribuent des vivres dans le camp de Yarmouk, le 30 janvier 2014.
Les Palestiniens y ont le statut de réfugiés, qui leur ouvre de nombreux droits et devoirs (accès aux professions, service militaire…), mais ne disposent pas de la nationalité de leur pays hôte, conformément au décret de la Ligue arabe voté en 1959 « pour préserver l’entité et l’identité palestiniennes ». Toutefois, les mariages mixtes y sont fréquents.
Economie dynamique avant la guerre
La population de Yarmouk est essentiellement de classe moyenne et populaire. Dans la seconde partie du XXe siècle, le camp a vu ses conditions de vie se moderniser au fil des années, devenant bien meilleures que celles des autres camps palestiniens de la région. Sur place, les habitants ont développé leur propre système de transport et de commerce, renforçant l’attractivité du quartier. De nombreux bâtiments publics, tels que des écoles ou des mosquées, y ont été construits.
Ravagé par le conflit syrien
Depuis l’éclatement de la guerre en Syrie, en 2011, Yarmouk est devenu un terrain d’affrontements entre les forces fidèles au régime syrien et les multiples groupes rebelles, auxquels se rallient des factions palestiniennes, dont des partisans du Hamas. En décembre 2012, l’aviation syrienne bombarde le camp, provoquant la fuite d’une grande partie de la population. Depuis, le régime a imposé un siège aux habitants pour reprendre le contrôle du camp.
Selon Amnesty International, des dizaines de civils sont morts de faim, en raison de l’interdiction de circulation des personnes et des biens. Entre-temps, plus de 90 % des occupants ont fui les combats, un exil régulièrement comparé à une deuxième « Nakba » (« catastrophe », en arabe, en référence à l’exil de Palestine après la création d’Israël).
Des habitants attendent à l’entrée du camp de recevoir de l’aide des Nations unies, le 4 février 2014.
Une position stratégique pour le régime
L’offensive de l’EI débute mercredi 1er avril par l’intermédiaire d’un groupe rebelle local situé dans le quartier Hajar Al-Aswad, au sud du camp. Selon les activistes palestiniens, l’EI aurait bénéficié d’un appui ponctuel de son rival, le front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaida), pour pénétrer dans le camp et prendre pied à Damas. Un enjeu capital dans sa stratégie d’expansion régionale. « La ville représente le cœur du régime syrien, les forces qui parviendront à la prendre auront une grande légitimité pour la suite », explique Fabrice Balanche, maître de conférences à l’université de Lyon-II et spécialiste de la géographie politique de la Syrie.
Cette position symbolique explique la réaction rapide du régime, qui a commencé à bombarder les positions de l’EI et affirme qu’une opération militaire est désormais « inévitable ». L’OLP a refusé de prendre part aux combats, contrairement à d’autres organisations palestiniennes qui ont accepté de s’allier à l’armée syrienne pour repousser les combattants djihadistes. Ces derniers apparaissent relativement isolés sur le terrain, comme le souligne M. Balanche : « Il ne s’agit pas de la grosse machine de guerre de l’Etat islamique comparable à celle de la vallée de l’Euphrate. Il n’y a pas de véritable soutien logistique derrière. »
Catastrophe humanitaire
En attendant, l’ONU réclame un accès pour pouvoir évacuer les 16 000 personnes toujours bloquées à l’intérieur du camp, où la situation humanitaire ne cesse d’empirer. « L’aide extérieure n’y est plus acheminée depuis longtemps et les besoins humanitaires augmentent de jour en jour », s’alarme le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Une habitante du camp de Yarmouk attend de pouvoir partir, le 4 février 2014.
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a lui-même réagi : « Ce qui se passe à Yarmouk est inacceptable, a-t-il martelé. Les habitants de Yarmouk, dont 3 500 enfants, sont transformés en boucliers humains. »