Photo : Itamar Ben-Gvir sur l’esplanade des mosquée à Al Aqsa à Jérusalem le 21 mai 2021 - réseaux sociaux.
La deuxième visite d’Itamar Ben-Gvir dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem en tant que ministre israélien de la Sécurité nationale, le 21 mai, représente un mélange dangereux de religion et de politique.
On a vu M. Ben-Gvir debout, lisant sur son téléphone, apparemment en train de prier. Un tel acte est interdit en vertu du "statu quo" actuel régissant Al-Aqsa, appelé Mont du Temple ou Har Habayit par les juifs, même si un petit groupe de juifs orthodoxes trouve de plus en plus de moyens de prier sur le site sacré.
מתפלל. pic.twitter.com/Ms4zX2nag2
— نير حسون Nir Hasson ניר חסון (@nirhasson) May 21, 2023
Peu après sa visite matinale, M. Ben-Gvir a tweeté : "Les menaces du Hamas ne nous intimident pas. Je suis monté à Har Habayit ! Jérusalem est notre âme, le Néguev et la Galilée sont notre esprit et nous devons agir au nom des deux !"
Réagissant à la visite de M. Ben-Gvir, Basem Naim, homme politique du Hamas, a déclaré à Al Jazeera : "Israël, son gouvernement et son peuple portent l’entière responsabilité de la provocation continue à l’égard de notre peuple et de la profanation de la sainteté d’Al-Aqsa." Il a ajouté que "le fait d’empêcher des maniaques [d’entrer à Al-Aqsa], même s’ils sont ministres" faisait partie de la "responsabilité" d’Israël.
À première vue, bien que la visite de M. Ben-Gvir soit provocatrice, le moment choisi pourrait suggérer un compromis politique. Il s’est rendu à Al-Aqsa après la marche controversée de la "journée des drapeaux" qui marque la prise de Jérusalem-Est par Israël en 1967. Le jour même de la marche, M. Ben-Gvir s’est joint au défilé dans le quartier musulman de la vieille ville, alors que son épouse Ayala Ben-Gvir et d’autres membres du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu ont visité l’enceinte d’Al-Aqsa. Dans l’enceinte d’Al-Aqsa, plusieurs membres du parti Likoud de Netanyahou ont été enregistrés en train de chanter l’hymne national israélien Hatikva avec le Dôme du Rocher en arrière-plan.
#WATCH : MKs @dillouz, @ArielKallner, @HaleviAmit, and fmr. MK @Shuli_MR sing Israel's National Anthem on the #TempleMount in #Jerusalem.
🎥 @Beyadenu pic.twitter.com/WRkWPZtMBX— Israel National News - Arutz Sheva (@ArutzSheva_En) May 18, 2023
Pourtant, les actions de M. Ben-Gvir le 21 mai, qui ont été condamnées par la Jordanie, le département d’État américain et d’autres, ne sont que la dernière tentative en date pour repousser les limites d’un conflit vieux de plusieurs siècles sur ce que les juifs orthodoxes considèrent comme "l’ascension du Mont du Temple". Les premiers signes montrent que ces visites controversées à Al-Aqsa commencent à trouver un écho auprès de certaines parties de la population israélienne qui s’y opposaient auparavant.
Des siècles de calme relatif
À l’époque médiévale, les érudits juifs, chrétiens et islamiques s’accordaient à reconnaître sainteté ancestrale du site d’Al-Aqsa, et notamment la présence des temples juifs. Dans l’Islam en particulier, le statut spécial de la ville a donné naissance à tout un genre d’écrits connus sous le nom de Fada’il al-Quds ou "littérature à la gloire de Jérusalem". Selon Nimrod Luz, auteur du rapport Al-Haram al-Sharif dans discours public arabe-Palestinien en Israël, les premiers musulmans étaient même fiers d’associer Al-Aqsa à des prophètes et rois israélites tels que David, figure vénérée du Coran et premier conquérant de Jérusalem.
Pour les juifs du Moyen Âge, qui vivaient sous la domination islamique, un débat s’est engagé sur la licéité religieuse de la visite de l’enceinte d’Al-Aqsa, compte tenu des commandements spéciaux du judaïsme qui protègent la sainteté unique de la zone. Les activistes contemporains du Mont du Temple sont fiers de mettre en avant une lettre écrite par le grand sage juif égyptien Maïmonide, qui décrit au 12ème siècle la visite et la prière sur Al-Aqsa.
Mais ces discussions étaient de nature religieuse et non politique.
Le débat moderne
À l’époque moderne, le nationalisme juif "a divisé les juifs orthodoxes en deux groupes principaux" selon Motti Inbari, auteur de Fondamentalisme juif et le Mont du temple et professeur d’études juives à l’université de Caroline du Nord à Pembroke.
Le premier groupe était dirigé par le rabbin Abraham Isaac Kook (1865-1935), considéré comme le père spirituel du sionisme religieux. Kook voyait les succès du mouvement sioniste, tels que la déclaration Balfour - par laquelle la Grande-Bretagne s’engageait à créer un "foyer national" pour les Juifs en Palestine - d’un "point de vue messianique" explique M. Inbari.
Selon ce point de vue, le voyage de la "rédemption" juive culminerait avec la "reconstruction du Temple et le renouveau du royaume davidien" d’après Inbari.
Le second camp de juifs orthodoxes, explique Inbari, appelé aujourd’hui "ultra-orthodoxe", s’opposait à cette vision du sionisme religieux. Ils ne voyaient "aucune grande valeur [religieuse] dans l’État d’Israël" et aucune signification théologique particulière à la conquête de la Palestine par le mouvement sioniste."
Après la prise de Jérusalem par les Israéliens en juin 1967, au cours de laquelle un drapeau israélien a temporairement flotté au-dessus du Dôme du Rocher, Shlomo Goren, grand rabbin des forces israéliennes conquérantes et sioniste religieux de premier plan, s’est adressé aux soldats juifs : "Aujourd’hui, vous avez accompli le serment des générations : si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite oublie sa ruse ! En effet, nous ne t’avons pas oubliée, Jérusalem, ville de notre sainteté et foyer de notre gloire."
La réponse des juifs ultra-orthodoxes à juin 1967 a également été rapide et sans équivoque, diffusée pour la première fois sur les ondes de la radio israélienne quelques heures seulement après la prise de la vieille ville : la loi juive interdit strictement à tous les Juifs d’entrer dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa en raison du caractère sacré du site.
Au fil des ans, ce point de vue a été répété par des voix juives orthodoxes de premier plan et a été le point de vue constant du Grand Rabbinat d’Israël.
La panique d’Oslo
Pourtant, contre la majorité de ses pairs rabbiniques en 1967, Goren a commencé à développer une nouvelle approche de la loi juive orthodoxe pour permettre l’accès au Mont du Temple.
"Goren a présenté un argument selon lequel, si l’on cartographiait le mont du Temple, on pourrait déterminer où se trouvait le Saint des Saints, puis déterminer les endroits autorisés [pour les Juifs] sur le mont du Temple qui ne sont pas hors limites", a déclaré M. Inbari. Le "Saint des Saints" désigne le sanctuaire le plus intime de chacun des temples juifs et constitue la clé permettant de dessiner une carte de l’emplacement des anciens temples - de nombreux érudits juifs identifient l’emplacement du Saint des Saints avec la pierre de Sakhra dans le Dôme du Rocher.
Goren n’a jamais été seul, mais son point de vue est resté minoritaire, même au sein du camp sioniste religieux, dans les décennies qui ont suivi 1967.
Mais les accords d’Oslo de 1993 ont créé une nouvelle panique au sein du camp sioniste religieux. Non seulement les compromis fonciers pouvaient conduire à la perte de la vieille ville de Jérusalem au profit d’un futur État juif, mais Oslo pouvait représenter un pas en arrière théologique dans le projet de reconstruction d’un temple juif.
"Les accords d’Oslo ont en quelque sorte créé le sentiment que la fin [messianique] ne se produira pas, ou qu’elle ne se produira pas de la manière à laquelle ils étaient ouverts" a déclaré M. Inbari.
Résultat : une urgence parmi les sionistes religieux. En février 1996, le "Conseil rabbinique de Yesha" (acronyme désignant la Judée, la Samarie et la bande de Gaza) a demandé à chaque rabbin de congrégation de monter sur le Mont du Temple. L’idée était de rendre plus difficile pour un gouvernement israélien de négocier des compromis sur les terres.
Aujourd’hui, même en mettant de côté les visites politiquement explosives de politiciens israéliens comme Ben-Gvir, de plus en plus de Juifs montent sur le Mont du Temple. Un récent rapport de 2023 estime que l’augmentation est de 16 % par rapport à l’année dernière, "avec une moyenne de 140 visiteurs juifs par jour".
Et il ne s’agit pas seulement des sionistes religieux, bien qu’ils constituent le groupe le plus important de juifs se rendant dans l’enceinte d’Al-Aqsa, a déclaré Hayim Alba, membre de l’organisation non gouvernementale "Administration du Mont du Temple", dont le chef, le rabbin Shimshon Elboim, a été photographié marchant à côté de Ben-Gvir lors de sa visite.
"La semaine dernière, de nombreux bus de [juifs ultra-orthodoxes] sont entrés pour la première fois. Chaque jour, il y a des [ultra-orthodoxes] qui entrent pour la première fois" a déclaré M. Alba.
Yareah Tucker, conseiller du United Torah Judaism (UTJ), le parti politique qui représente la plus grande faction de Juifs ultra-orthodoxes en Israël et qui est dirigé par un petit nombre d’érudits religieux juifs, insiste sur le fait que ce n’est "pas à cause des rabbins, mais à cause des extrémistes qui se multiplient." Tucker veut dire que de plus en plus de juifs ultra-orthodoxes désobéissent aux instructions officielles des principaux rabbins de la communauté ultra-orthodoxe concernant l’accès au Mont du Temple, et qu’ils préfèrent entrer sur le Mont du Temple en dépit du point de vue de leur communauté sur la loi religieuse juive.
M. Tucker a souligné que le rabbin Gershon Edelstein, actuel chef spirituel du plus grand bloc de juifs ultra-orthodoxes, a récemment demandé à Moshe Gafni, chef de l’UTJ et ministre du cabinet, d’exhorter M. Netanyahou à appliquer l’interdiction faite aux juifs de se rendre sur le mont du Temple en général, "en particulier dans le climat sensible actuel". En fin de compte, M. Netanyahou a tendu les relations avec l’aile droite de sa coalition - y compris M. Ben-Gvir - en suspendant l’accès des Juifs à Al-Aqsa pendant les dix derniers jours du Ramadan pour la deuxième année consécutive.
M. Alba reconnaît que ce ne sont pas les rabbins ultra-orthodoxes qui ouvrent la voie, mais qu’un mouvement plus populaire au sein de la communauté juive ultra-orthodoxe est en cours. Ces membres de la communauté ultra-orthodoxe s’engagent principalement pour des raisons spirituelles, bien qu’il soit difficile de prédire comment les sentiments nationalistes pourraient se développer à l’avenir.
Tucker ne pense pas qu’il y ait eu un changement fondamental au sein de la communauté ultra-orthodoxe, mais de tels processus prennent du temps. Un dirigeant d’un mouvement du Temple, qui n’a pas accepté d’être nommé, a déclaré à Al Jazeera : "Le processus est en cours... le noyau de 1 000 juifs ultra-orthodoxes existe."
"En fin de compte, les juifs ultra-orthodoxes seront les plus stricts dans ce domaine."
Traduction : AFPS