« C’est la Troisième Guerre mondiale. » Invité samedi matin sur le plateau d’I-Télé, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Roger Cukierman, s’est distingué en estimant que la France et l’Occident étaient depuis longtemps engagés dans un conflit généralisé contre les organisations à références islamiques, « quel que que soit le nom qu’on leur donne : Al Qaïda, Daesh, Hamas… » Il reprenait là, comme un copié-collé, la rhétorique déployée par Benyamin Netanyahou depuis cet été et le conflit de Gaza.
Le premier ministre israélien est à Paris ce dimanche, comme le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Après avoir été reçus à l’Élysée par François Hollande, les deux hommes ont cependant pris deux cars séparés pour se rendre à la manifestation et défiler ensemble pendant une grosse demi-heure.
Depuis vendredi, Netanyahou s’efforce d’utiliser de toutes les manières possibles les attentats de Paris pour exporter deux constantes de sa politique de communication : 1) expliquer que le monde et la démocratie sont en guerre contre les organisations à références islamiques et que l’ensemble des démocraties doivent être solidaires de sa guerre contre le Hamas ; 2) faire accroire aux juifs de France et du monde que le seul endroit où ils se sentiront en sécurité est Israël. Une politique qui était déjà celle de son prédécesseur, Ariel Sharon.
Depuis vendredi, Benyamin Netanyahou a donc déployé une rhétorique qui prolonge celle de l’été 2014, au moment du conflit de Gaza. « Nous comprenons que nous nous trouvons dans une bataille commune pour nos valeurs et pour notre avenir, et nous refusons d’être intimidés », a-t-il déclaré vendredi avant de faire le parallèle entre les différents visages d’une même « menace globale », d’une « barbarie » pas intéressée par des « règlements politiques », ce qui constituait une première allusion au conflit israélo-palestinien et au Hamas. « Ces terroristes abattent des journalistes à Paris, a poursuivi Netanyahou. Ils décapitent des travailleurs humanitaires en Syrie. Ils font sauter des églises en Irak. Ils massacrent des touristes à Bali. Ils lancent des roquettes en provenance de Gaza. Ils désirent construire des armes nucléaires en Iran. Ils peuvent avoir des noms différents, a poursuivi Benyamin Netanyahou. État islamique, Boko Haram, Hamas, Al-Chabab, Al-Qaïda, Hezbollah. Mais tous sont mus par la même haine et un fanatisme assoiffé de sang. Et tous cherchent à détruire nos libertés et à nous imposer une tyrannie médiévale et violente. »
« État islamique, Boko Haram, Hamas, Al-Chabab, Al-Qaïda, Hezbollah… » La réflexion indifférenciée qui nous est proposée par Netanyahou sert un autre but politique, la promotion de l’émigration vers Israël, deuxième axe de la communication du premier ministre israélien. Depuis jeudi, Benyamin Netanyahou s’est adressé aux juifs de France, non pas avant tout pour les assurer de son soutien après les attentats de Paris et celui contre l’hypermarché casher, ou encore de sa confiance dans les institutions républicaines et démocratiques françaises, comme l’on fait la plupart des chefs d’État présents ce dimanche, mais au contraire pour accentuer leur inquiétude : « À tous les juifs de France, tous les juifs d’Europe, je vous dis : Israël n’est pas seulement le lieu vers lequel vous vous tournez pour prier, l’État d’Israël est votre foyer », a déclaré le premier ministre israélien. « À moins que le monde ne revienne à la raison, le terrorisme va continuer à frapper », a-t-il encore affirmé sur son compte Twitter à la veille de la manifestation, multipliant par la suite les signes de communication à destination de la communauté juive de France.
Face à cette rhétorique, le premier ministre français, Manuel Valls a répondu sobrement que « la France, sans les Français juifs, ne serait pas la France ».
Dans un communiqué publié en français dès vendredi, le mouvement palestinien Hamas a de son côté condamné l’attentat perpétré par deux djihadistes français contre le journal satirique Charlie Hebdo. Le Hamas « condamne les agressions contre le magazine Charlie Hebdo et insiste sur le fait que la différence d’opinions et de pensées ne saurait justifier le meurtre ». Le Hamas a par ailleurs tenu à répondre à la rhétorique de Benyamin Netanyahou, dénonçant « les tentatives désespérées du Premier ministre israélien Netanyahou de faire le lien, notamment dans son dernier entretien avec l’ambassadeur de France en Israël, entre d’un côté notre mouvement et la résistance de notre peuple, et le terrorisme à travers le monde de l’autre côté ». « Notre mouvement réitère sa position précise des derniers événements à Paris qui est cohérente avec celle exprimée dans le communiqué de l’Union internationale des savants musulmans, qui a condamné les agressions contre le magazine Charlie Hebdo et insisté (sur le fait) que le différend d’opinion et de pensée ne saurait justifier le meurtre. » Contrainte par le tribunal de l’Union européenne, l’UE a, elle, retiré le Hamas de la sa liste des organisations terroristes le 17 décembre 2014.
Vendredi, le chef du mouvement chiite libanais Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait également condamné les attentats de Paris. « En ce moment, il est plus que jamais nécessaire de parler du prophète en raison du comportement de certains groupes terroristes qui se revendiquent de l’islam », a-t-il dit. « À travers leurs actes immondes, violents et inhumains, ces groupes ont porté atteinte au prophète et aux musulmans plus que ne l’ont fait leurs ennemis (...), plus que les livres, les films et les caricatures ayant injurié le prophète (...) Ce sont les pires actes ayant nui au prophète dans l’Histoire », a-t-il ajouté.
Bien davantage qu’une simple réaction aux attentats de Paris, l’amalgame fait par Netanyahou, contre toute logique factuelle et de bon sens, entre Hamas, Hezbollah, État islamique et Al-Qaïda, répond au choix du premier ministre d’utiliser ces attentats, l’essor de l’EI et d’Aqpa et la peur qu’ils suscitent pour justifier sa politique à l’égard des Palestiniens après le conflit de Gaza. Un conflit dont le bilan humain, outre les dégâts sans précédent qu’il a causé, représente au moins 2 147 morts, en grande majorité des civils, et 11 000 blessés parmi les Gazaouis ; un conflit qui a, aussi, conduit à la mort de 66 soldats et 6 civils israéliens. Comme la menace qui viendrait d’une hydre représentée par l’ensemble des organisations islamistes, le concept de sécurité est décidément bien relatif, surtout quand il est manié par le premier ministre israélien.